02 Avril 2023 À 11:00
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En vieillissant, nos capacités physiques et mentales commencent à se dégrader, ce qui augmente le risque de souffrir de maladies chroniques, nécessitant une polymédication au long cours. Mais attention ! Une mauvaise observance médicamenteuse peut avoir des effets néfastes pour la santé des personnes âgées au lieu de les aider. «Il est alors important pour les personnes âgées de bénéficier d’un usage optimum et raisonné des médicaments. Ce qui est loin d’être toujours le cas si l’on se réfère à de nombreuses études internationales, en Europe comme en Amérique», déclare au «Matin» Dr Khadija Moussayer, spécialiste en médecine interne et en gériatrie. Et d’ajouter que «les études montrent que plus de 25% des prescriptions médicales des personnes de plus de 65 ans sont potentiellement inappropriées – pour lesquelles les risques sont supérieurs aux bénéfices –, 40% des prescriptions des plus de 75 ans sont inappropriées, et que la majorité de ces derniers sont soumis à une polymédication – plus de 5 médicaments – parfois délétère».
La spécialiste précise que ce phénomène a plusieurs raisons. Il s’agit, entre autres, du dosage trop élevé de certains traitements, de la tendance du malade à attendre une solution thérapeutique à tout trouble et à être mécontent de sortir du médecin sans ordonnance, de la fragmentation des soins sans bonne coordination, quand le patient reçoit des médicaments de différents médecins, du désir des médecins de bien guérir tous les troubles par la prescription la plus complète, ce qui peut créer d'autres déséquilibres… «Il a été prouvé qu’un tiers des hospitalisations des séniors dans les pays développés est lié directement ou indirectement à un mauvais usage thérapeutique ! Le Maroc n’échappe pas à ce constat global», affirme-t-elle. «Avec le vieillissement, des changements importants se produisent dans tout le corps rendant la personne âgée (PA) plus sujette aux effets secondaires des médicaments. En effet, la quantité totale d’eau de l’organisme diminue alors que la quantité de tissu adipeux augmente. Ainsi, les médicaments solubles dans l’eau deviennent plus concentrés et ceux solubles dans la graisse s’accumulent davantage dans cette dernière. De plus, les reins sont moins capables d’excréter les médicaments dans l’urine et le foie est moins capable de décomposer de nombreux médicaments», explique Dr Moussayer.
Cette dernière précise que ces différents facteurs font que les médicaments restent en plus grande quantité et plus longtemps dans l’organisme d’une PA que chez un adulte de 30/40 ans et leur passage est notamment plus agressif dans le cerveau. «Le paracétamol, un antalgique utilisé contre la douleur et/ou la fièvre, s’élimine deux fois plus lentement, le diazepam (valium), un tranquillisant, quatre fois plus lentement : il faut 80 heures, soit plus de 3 jours pour éliminer la moitié de la dose donnée de ce dernier. Avec une prise quotidienne, une thérapeutique peut alors s’accumuler jusqu’à l’intoxication qui, de plus, n’apparaîtra souvent que plusieurs jours ou semaines après le début du traitement», alerte le médecin.
Dr Moussayer souligne également que plusieurs catégories de médicaments sont susceptibles d'entraîner des effets indésirables, en particulier certains antalgiques, anticoagulants, antihypertenseurs, antiparkinsoniens, diurétiques, hypoglycémiants et psychotropes. «La sur-médication -plus de 5 médicaments- est trop souvent nocive, car on ne maîtrise pas toujours bien les interactions entre les différentes molécules. Mal employés, certains médicaments sont responsables de véritables pathologies comme la dépression, la dénutrition -par baisse de l'appétit et du goût-, les chutes, l’état de somnolence, la confusion aigüe ou encore les neuropathies. Par exemple, un usage inconsidéré d’antihypertenseurs peut provoquer des baisses trop importantes de la tension, source d’étourdissements, de sensations de vertige et des chutes, souvent à l’origine de la perte d'autonomie et même de la mort». La spécialiste affirme, par ailleurs, que la situation au Maroc est complexe. «Jusqu’à présent, beaucoup de personnes ne bénéficiaient pas des traitements nécessaires, faute de moyens financiers. La généralisation de l’assurance maladie va heureusement améliorer leurs soins.
En revanche, pour ceux qui ont déjà des assurances, la problématique est souvent identique à celle décrite dans les pays les plus développés, sinon parfois pire. Les PA pratiquent encore trop un nomadisme médical, les amenant à se faire soigner à la fois ou successivement par plusieurs médecins en fonction de leurs pathologies, d’où une tendance à la sur-médication », souligne la gériatre. «En Europe, les PA ont un seul médecin référent, le médecin de “famille”, qui les prend en charge globalement en coordonnant l’ensemble des soins et en décidant des thérapeutiques. Cela peut être notamment le médecin généraliste, le généraliste à orientation gériatrique, le spécialiste d’une pathologie particulièrement lourde, le gériatre ou le spécialiste en médecine interne. Ce dernier est d’ailleurs en général reconnu comme le plus apte à prendre en charge les situations complexes et polypathologiques, de par sa compétence transversale.
La règle d’or en gériatrie en tout cas est de se concentrer sur la ou les 2 ou 3 pathologies principales mais de ne pas chercher à tout prix à médicamenter les autres petits écarts à la normalité, comme une légère hypertension». Dr Moussayer insiste enfin sur l’importance de la bonne observance des traitements par les malades eux-mêmes, car c’est souvent leur défaillance qui pose problèmes par sous ou sur-médication. «Respectez les prescriptions médicales, les recommandations des notices d’emploi -en vous faisant aider si besoin est- et ne vous livrez pas à l’automédication !», recommande-t-elle.
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