06 Février 2023 À 18:05
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Le secteur immobilier est en berne ! La crise se fait bien sentir ces dernières années, comme en témoignent la chute des dépôts d’autorisations de construction, tout comme les demandes de prêts bancaires pour acquérir un logement et corollairement les ventes. Dans ce contexte, les professionnels font part de leur scepticisme quant à la capacité de ce secteur à reprendre du poil de la bête en cette année 2023 qui s’annonce très inflationniste.
À l’érosion du pouvoir d'achat du citoyen suite à la crise de Covid-19, à la hausse des prix des intrants et à l'augmentation du taux des crédits bancaires suite à l'augmentation du taux directeur par Bank Al-Maghrib, s’ajoute un autre élément qui enfonce encore plus le secteur immobilier dans la stagnation. Ce secteur est en effet actuellement en mode attente des décrets d'application des dispositifs d'aide directe aux nouveaux acquéreurs annoncés dans la loi de Finances 2023. «C'est un gros problème auquel nous sommes confrontés actuellement», souligne le vice-président de la Fédération nationale des promoteurs immobiliers (FNPI), Anice Benjelloun. «Le ministère avait promis que ce décret verrait le jour avant la fin de l'année, puis cela a été reporté à fin janvier, et aujourd'hui nous ne voyons rien venir», indique M. Benjelloun au «Matin», faisant remarquer qu'en raison de ce retard, même le petit nombre de clients potentiels qui souhaitaient acquérir un logement sont en attente de pouvoir se faire une idée plus précise de ce qui va être mis en place.
Concernant les logements subventionnés pour les primo-acquéreurs dont les prix ont été fixés à 300.000 dirhams TTC pour les logements économiques et 600.000 dirhams TTC pour ceux réservés à la classe moyenne, les professionnels se montrent très sceptiques sur la capacité à les produire. «Nous ne comprenons pas comment ces chiffres ont été établis. Nous avons adressé au ministère des simulations précises et des cas concrets et nous aimerions savoir quelles sont les différentes composantes de ces prix qui ont été calculés par le ministère ?» dit M. Benjelloun. Et de poursuivre : «au regard du coût du foncier, des prix des matériaux de construction, de la pression fiscale sur le secteur, nous n'avons pas pu, malgré toutes les simulations que nous avons faites au sein de la Fédération, toutes villes du Maroc confondues, parvenir à ces prix».
«Il faut savoir que rien que pour la fiscalité, en plus des taxes habituelles (TVA, IS...), le secteur ploie sous d'autres charges telles que les droits d'enregistrement et de conservation foncière qui sont très lourds et qui s’élèvent jusqu’à 12% du prix de l'acquisition», explique le vice-président de la FNPI. «À la différence de tous les autres secteurs, lorsque nous achetons du foncier, qui constitue notre matière première, nous devons payer des droits d'enregistrement et de conservation foncière», ajoute M. Benjelloun. Une autre spécificité concernant le logement neuf, précise le vice-président de la FNPI, est que celui-ci est soumis à la TVA, contrairement au logement de seconde main. «C’est une contrainte supplémentaire imposée au logement neuf. En France par exemple, les logements neufs sont soumis à la TVA, mais en contrepartie, bénéficient de droits d'enregistrement et de conservation foncière symboliques pour qu’il y ait une équité entre les acquéreurs de logements neufs et de logements de seconde main».r>Et la pression fiscale sur le secteur prend encore de l'ampleur. Selon notre interlocuteur, deux nouveaux droits et taxes ont été introduits cette année : des droits communaux pour l'obtention d'un permis d'habiter et une taxe sur les débris générés par les chantiers de construction.
Au sujet de la montée en flèche des prix des matériaux de construction, les professionnels soupçonnent une entente entre les principaux fournisseurs. La FNPI a donc saisi le Conseil de la concurrence pour qu'il prenne position. «Nous avons déposé cette requête en mai 2022, et nous attendons toujours la réponse du Conseil de la concurrence. Et là aujourd'hui, la question que nous nous posons, c'est : est-ce qu'il faut attendre tous ces mois pour que le Conseil de la concurrence puisse vérifier s'il y a une entente sur les prix des intrants essentiels du bâtiment, à savoir le ciment, le rond à béton, les briques et les planchers ?» se demande M. Benjelloun. «Les prix de ces intrants ont subi une augmentation très importante et il s'agit d'analyser si ces augmentations sont justifiées par une hausse du coût de l'énergie et des matières premières ou bien s'il existe une entente tacite entre les grands producteurs de chaque intrant pour augmenter les prix», s’interroge le vice-président de la FNPI.
Face aux scandales à répétition qui éclaboussent le secteur, les professionnels n'ont cessé de revendiquer l'adoption d'un statut bien défini du promoteur immobilier. «Ces scandales sont principalement imputables à des structures frauduleuses qui n'ont rien à voir avec la promotion immobilière. La Fédération n'a cessé de dénoncer ces pratiques, notamment celles commises par lesdites “amicales d'habitation”». Par le biais de celles-ci, certains commencent à vendre et à encaisser l'argent des acquéreurs sur la base d'un foncier qui n'a même pas été acquis et de plans qui n'ont même pas été approuvés», déplore M. Benjelloun. «Ces amicales servent en effet de véritables attrape-nigauds, en ce sens que les acquéreurs se laissent séduire par les prix bas qui ne manqueront pas d'augmenter. Il est du ressort de l'État de réagir pour faire cesser ce genre de pratique. Un promoteur immobilier, lui, ne peut pas commencer à vendre des logements s'il n'a pas acquis le terrain et s'il n'a pas l'autorisation de construire», précise le vice-président de la FNPI.
Le Matin : Comment se présentent selon vous les perspectives du secteur de l'immobilier, notamment le marché primaire, en cette année 2023, surtout après l'augmentation du taux directeur ?r>Kevin Gormand : les hausses du taux directeur décidées par Bank Al-Maghrib à deux reprises, en septembre et décembre derniers, font planer une menace sur toute l’activité. En effet, la Banque centrale a procédé au relèvement de 50 points de base de son taux directeur à 2% puis à 2,5%. Un recul des crédits immobiliers va affaiblir encore plus le secteur immobilier, déjà en crise en raison de la perturbation des chaînes de production, de la flambée des prix des matériaux de construction. De telles mesures pourraient plonger le secteur immobilier dans une récession profonde, mais il faut garder à l’esprit que le marché immobilier peut être sujet à des fluctuations et que les performances passées ne sont pas une garantie de résultats futures.
Comment les segments du neuf et de l'occasion du secteur immobilier se portent-ils après la crise de Covid-19 ?r>• Pour le segment d’occasion : d’après les chiffres de Bank Al-Maghrib (BAM) et de l’Agence nationale de la conservation foncière du cadastre et de la cartographie (ANCFCC) au troisième trimestre de 2022, le nombre de transactions a progressé de 44,9%, en liaison avec l’augmentation de 60,8% des ventes des biens résidentiels, de 19,8% des terrains et de 11,4% des biens à usage professionnel. Une hausse de 67% des transactions des biens immobiliers résidentiels est observée en comparant T3-2021 à T3-2022. Preuve que le marché du résidentiel d’occasion a repris une tendance haussière.r>• Pour le segment du neuf : si la Covid a eu comme effet une baisse de la demande, l’augmentation des matériaux de construction, elle, a engendré une hausse notable des prix. Celle-ci sera encore plus visible au titre de l’année 2023 et particulièrement pour les projets récemment mis en chantier ou en cours de finition. Cette tendance agira différemment selon le standing :r>• Globalement, le haut standing affiche les rythmes de vente les moins importants du marché du neuf. Une tendance qui aura vocation à s’accentuer en vue de l’augmentation des prix et donc des budgets d’acquisition, ce qui aura pour conséquence une temporisation de l’acquisition ainsi que l’orientation de la demande vers des superficies de plus en plus optimisées.r>• Les acteurs du moyen standing se verront contraints de modérer leurs finitions afin de garder des prix compétitifs du fait que le budget d’acquisition de cette cible n’est pas extensible et que l’évolution des salaires ne va pas de pair avec la tendance haussière des prix. S'ajoute à cela l’augmentation du coût de la dette qui réduit l’éligibilité de ce profil d’acquéreur au crédit.r>• Face à un marché du neuf de moins en moins accessible, le marché de la seconde main est susceptible de connaître une demande plus importante, étant perçu comme un marché de substitution au marché primaire. Ce qui induira à une hausse des prix de la seconde main.
Quels sont, selon vous, les principaux défis qui s’imposent aux investisseurs immobiliers en 2023 ?r>L’augmentation du coût de la dette et des budgets d’acquisition impactera défavorablement le rendement locatif du produit d’investissement (studios essentiellement). Cet impact se fera sentir principalement auprès des investisseurs qui optent pour un financement hybride (fonds propres et crédit) qui constituent selon une étude menée en interne (sur 250 studios vendus) plus de 70% des investisseurs. Face à une stagnation prévisionnelle des loyers, l’investisseur devra s’orienter vers des biens situés dans des zones centrales demandées, présentant des superficies optimisées et par extension des budgets permettant une rentabilité favorable. Et dans la limite du possible réduire la durée du crédit afin d’amortir le coût de la dette.
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