12 Juillet 2017 À 12:16
Le Matin : En tant qu’experte en matière d’entrepreneuriat social, quel rôle peut jouer, à votre avis, l’entrepreneuriat dans la promotion de la démocratie ?Julia Roig : D’abord, permettez-moi de remercier «le Matin» pour m’avoir invité à prendre part à cet événement et représenter mon organisation basée aux États-Unis, créée depuis 27 ans et qui a déjà lancé des projets d’entrepreneuriat social dans pas moins de 50 pays. Ce qu’il faut savoir c’est que le concept de l’entrepreneuriat social est nouveau. En effet, le soutien et l’accompagnement de la société civile font partie des nouvelles valeurs et principes de la démocratie. Une démocratie qui permet à tous les citoyens de s’exprimer et de pouvoir participer réellement à la prise de décision. Dans ce nouveau contexte, l’entrepreneur social peut jouer un rôle important dans l’édification de cette nouvelle forme de démocratie, dans la mesure où il peut contribuer à engager le dialogue, conclure des partenariats entre les différents secteurs et par conséquent contribuer non seulement au développement économique de son pays, mais aussi à son développement politique, dans la mesure où il peut participer indirectement à la résolution des situations de conflit, engager la médiation et renforcer les instruments de négociation.
Vous êtes à la tête d’une organisation internationale dont l’objectif est de renforcer les capacités de la société civile pour une meilleure gestion des institutions démocratiques, entre autres. Quel rôle joue la société civile dans la promotion de l’entrepreneuriat social ?Je pense que les personnes qui ont créé des associations, des ONG ou encore des fondations peuvent déjà être considérées comme des entrepreneurs sociaux, dans la mesure où ils ont pu identifier un besoin au sein de la société et ont créé des structures pour répondre à ce besoin. Par ailleurs, ces entrepreneurs disposent d’une qualité très importante, à savoir leur capacité à innover constamment pour pouvoir trouver des fonds pour poursuivre leur activité et l’État peut justement jouer un rôle dans ce sens, dans la mesure où il peut intervenir pour accompagner ces start-ups afin qu’elles puissent promouvoir les valeurs sociales de la démocratie en investissant dans la promotion de la situation de la femme et de l’enfant et dans l’éducation.
Quels sont à votre avis les obstacles qui entravent encore l’essor de l’entrepreneuriat social dans les pays en développement ?Je pense que l’obstacle commun et majeur que rencontrent les entrepreneurs sociaux à travers le monde est la mobilisation de fonds d’investissement. En effet, nous avons remarqué que le problème de financement ne se pose pas lors du lancement des projets, car tous les intervenants sont motivés au début de financer les nouvelles idées de projets. La principale difficulté réside en effet dans le fait de garantir la pérennité des projets à travers la mobilisation constante des fonds et je pense que pour relever le défi du financement il faut que les entrepreneurs définissent une stratégie à court, à moyen et à long terme. D’ailleurs, étant consciente des difficultés que rencontrent les start-ups dans la levée de fonds, notre organisation œuvre pour accompagner ces structures, souvent dans la deuxième phase de leur projet, soit à travers des séances de coaching, soit via la mobilisation de partenaires économiques qui peuvent accompagner financièrement ces start-ups. Ce qu’il faut savoir, c’est que les entreprises sociales sont constamment confrontées à différents défis, outre le financement. Comme vous le savez, le monde change à une vitesse vertigineuse et les idées qui étaient jusqu’à hier nouvelles sont rapidement dépassées et il faut que les structures entrepreneuriales apprennent à s’adapter à ce changement pour ne pas périr.
Quel rôle peut justement jouer le gouvernement dans l’accompagnement de ces entrepreneuriats ?Je pense que le gouvernement peut jouer un rôle très important dans le maintien et la pérennisation des entreprises sociales en accompagnant financièrement ces entreprises affirmées au lieu de se focaliser uniquement sur l’accompagnement des nouvelles structures.
Et quel rôle peut jouer le secteur privé dans l’accompagnement des entreprises sociales ?Le secteur privé peut être considéré comme le deuxième partenaire des entreprises sociales après l’État. Notre organisation travaille d’ailleurs avec de nombreuses multinationales privées qui ont compris que l’investissement dans l’élément humain est un facteur essentiel pour garantir le développement économique. Nous avons d’ailleurs organisé récemment une rencontre d’échange entre des représentants du secteur privé et de jeunes entrepreneurs au Sénégal et au Nigeria afin de promouvoir les idées de ces start-ups pour qu’elles puissent facilement identifier des fonds.
Dans beaucoup de pays en développement et dans le monde arabe, la femme souffre toujours d’inégalité et de discrimination. Plusieurs facteurs socioculturels entravent son accès dans l’entrepreneuriat. Peut-on considérer l’entrepreneuriat social comme un moyen de combattre ces pesanteurs et d’affranchissement de la femme ?Je pense que l’entrepreneuriat social peut contribuer largement au changement de la condition de la femme au sein des sociétés arabes. En effet, il ne suffit pas d’accorder un prêt à des femmes souhaitant lancer leurs propres projets pour garantir l’aboutissement de ces projets et par conséquent l’émancipation financière de la femme. Les femmes ont aussi et surtout besoin d’être sensibilisées à leurs droits. En effet, l’entrepreneuriat social ne peut pas aboutir s’il a pour simple objectif la réalisation de bénéfices. Pour garantir l’émancipation des femmes par exemple, il faut créer des coalitions pour femmes à l’image des coopératives afin que les femmes puissent échanger leurs expériences et se sentir plus fortes pour relever les défis relatifs à l’entrepreneuriat. Les femmes doivent également s’ouvrir sur le travail avec la gent masculine afin d’améliorer le rendement de leurs entreprises.