Nation

Crise à l’hôpital d’Agadir : entre défaillances médicales, colère citoyenne et riposte politique

Secoué par une série de drames – huit décès maternels et des conditions de prises en charge jugées indignes –, l’hôpital Hassan II d’Agadir est au cœur d’une contestation populaire qui a pris une ampleur inattendue. En visite «surprise», le ministre de la Santé, Amine Tehraoui, a limogé plusieurs responsables et promis des mesures d’urgence, tandis que des partis de l’opposition, et même certains de la majorité, alertent sur une crise qui dépasse largement le seul cas d’Agadir.

16 Septembre 2025 À 20:35

Depuis deux jours, une vidéo bouleversante circule sur les réseaux sociaux : on y voit un homme tenant dans ses bras sa nièce de trois mois atteinte de spina bifida, une malformation congénitale grave de la colonne vertébrale. L’enfant, fragile et menacée de paralysie partielle ou totale des membres inférieurs, de troubles neurologiques, d’incontinence et de vulnérabilité accrue aux infections, n’avait pas été prise en charge par l’hôpital Hassan II d’Agadir malgré l’urgence de son état. La séquence, visionnée des centaines de milliers de fois, a provoqué une vague d’indignation. Elle s’ajoute à un autre drame : huit décès maternels enregistrés récemment dans le même établissement. Autant d’événements qui ont cristallisé la colère et poussé, dimanche 14 septembre 2025, des centaines de citoyens à descendre dans la rue pour dénoncer ce qu’ils qualifient de «situation intenable».

La rue en ébullition

Devant l’hôpital régional, les manifestants ont scandé des slogans exigeant des moyens humains et matériels supplémentaires, en particulier dans les services d’urgence et de maternité. Des banderoles dénonçaient «un hôpital de la mort» et «le mépris de la dignité des malades». Les témoignages recueillis sur place évoquent un quotidien marqué par l’attente interminable, les ruptures de stocks en médicaments essentiels, l’obligation pour les familles d’acheter elles-mêmes le matériel de soins et une hygiène jugée défaillante, jusqu’à la présence de chats errants dans les couloirs. La situation n’est pas nouvelle, mais la succession de drames récents a agi comme un catalyseur. «Les gens ne veulent plus venir à l’hôpital parce qu’ils ont peur d’y mourir», s’est emporté le médecin Ahmed Farissi dans une vidéo virale, ajoutant à la colère populaire. Il y dénonce une série d’«aberrations» : des chats errants plus nombreux que les patients, des tubes de sang parfois périmés, des fils chirurgicaux régulièrement introuvables, des internes non rémunérés depuis des mois et un unique bloc opératoire aux urgences, incapable de prendre en charge les cas graves. Un réquisitoire qui a amplifié l’indignation et mis en lumière la gabegie régnant dans cet établissement hospitalier.

La réaction du ministre

Face à la contestation grandissante, le ministre de la Santé et de la protection sociale, Amine Tehraoui, s’est rendu, mardi 16 septembre 2025, à Agadir pour une visite «surprise» à l’hôpital Hassan II. Accompagné du secrétaire général de son département, il a inspecté plusieurs services. Le ministre a d’abord annoncé la prise en charge immédiate de la fillette atteinte de spina bifida, transférée vers le CHU de Marrakech, puis une série de mesures d’urgence. Dans la foulée, Amine Tehraoui a annoncé le limogeage de Lamia Chakiri, directrice régionale de la Santé à Souss-Massa, ainsi que la révocation du directeur de l’hôpital Hassan II et de plusieurs responsables provinciaux et régionaux. S’appuyant sur les premières conclusions d’une commission centrale dépêchée sur place, le ministre a évoqué des «dysfonctionnements majeurs» : absences injustifiées, ruptures récurrentes de médicaments et consommables, équipements en panne ou obsolètes. Le haut responsable a promis la nomination rapide d’une nouvelle équipe dirigeante, un réapprovisionnement pour plusieurs mois et un dispositif de maintenance continue des appareils. Les indicateurs jusqu’ici avancés pour expliquer la saturation : hôpital de recours pour Guelmim et Laâyoune, plus de 33.000 passages aux urgences et près de 3.000 accouchements au premier semestre 2025, dont 668 césariennes n’ont pas apaisé les critiques. «Comment expliquer qu’avec des budgets en hausse, les conditions de soins se dégradent au point de provoquer des drames évitables ?», s’interroge le conseiller socialiste Youssef Andi, qui met en garde contre «une crise de confiance entre citoyens et institutions».

Pression politique et colère citoyenne

Au niveau politique, la séquence a immédiatement provoqué une salve de réactions. Fatima Tamni (Fédération de la gauche démocratique) décrit, dans une question écrite, un tableau «de pénuries structurelles» : absence de consommables de base (gants, solutions intraveineuses, tubes d’analyses, antibiotiques), manque de chariots de transport qui oblige des malades à traverser la voie publique entre services, insuffisance et insalubrité des sanitaires, inexistence d’espaces de repos et de repas pour les équipes de garde, et hygiène dégradée, «jusqu’à la présence récurrente de chats» dans les couloirs. La députée socialiste alerte en particulier sur les salles d’opération «à l’arrêt» faute d’anesthésiques, sur des patients sommés d’acheter eux-mêmes leur matériel et sur l’absence d’équipements vitaux de monitoring.
Dans un registre plus large, Mohamed Ouzzine (Mouvement populaire) replace Agadir dans une cartographie nationale marquée par la défaillance des services de santé. Taounate, Taza, Safi, jusqu’aux zones montagneuses d’Aït Boukmaz... M. Ouzzine accuse l’Exécutif de «décalage persistant entre promesses et réalité». Il rappelle que les textes de réforme (loi-cadre, agences, groupements territoriaux) et l’augmentation des budgets «n’ont pas produit d’effet tangible pour l’usager», citant l’explosion des délais, l’engorgement des urgences et la rupture de stock d’intrants essentiels, «des pansements aux antidotes».
À la Chambre des conseillers, le groupe socialiste met en garde contre «le risque d’une catastrophe sanitaire» à Agadir si des mesures immédiates ne sont pas prises. Le conseiller Youssef Andi avait réclamé un plan d’urgence adossé à des engagements vérifiables : renforts en ressources humaines, rétablissement des stocks, audit indépendant de la chaîne d’approvisionnement et calendrier contraignant pour l’ouverture du CHU d’Agadir afin de desserrer l’étau sur l’hôpital Hassan II. En creux, l’ensemble de l’opposition converge sur trois exigences : redevabilité (enquêtes, sanctions et suivi public des correctifs), moyens (réaffectations urgentes de personnels et de budgets, sécurisation des achats et de la maintenance) et gouvernance (pilotage territorial clarifié, indicateurs de qualité opposables et calendrier d’ouverture du CHU). Reste, préviennent plusieurs élus, que la crédibilité des annonces «se jouera dans les prochaines semaines», à l’épreuve du terrain et sous la pression de nouveaux appels à manifester.

Une contestation qui risque de s’étendre

En effet, le cas d’Agadir n’est pas isolé. Des hôpitaux de Casablanca, notamment l’hôpital Abderrahim Harouchi pour enfants, sont également pointés du doigt. La députée du PAM (majorité gouvernementale), Najwa Koukous, a alerté sur «l’épuisement des équipes médicales» et la pénurie criante de spécialistes, allant jusqu’à des gardes assurées par un seul médecin pour des millions d’habitants. Des décès de nouveau-nés liés au manque d’incubateurs ont été signalés, renforçant le sentiment d’un système à bout de souffle. Pour dimanche prochain, de nouveaux appels à manifester circulent déjà à Agadir. Mais le mouvement pourrait gagner d’autres villes, dans un contexte national où le droit constitutionnel à la santé se heurte à la réalité de salles bondées, de ruptures de stock et de familles livrées à elles-mêmes. L’Exécutif avait pourtant promis une réforme en profondeur, en s’appuyant sur un arsenal législatif voté ces deux dernières années : lois-cadres sur la santé, création d’agences spécialisées et plan de généralisation de la couverture médicale. Mais pour nombre de Marocains, l’écart entre le discours et la pratique ne cesse de se creuser. «Nous ne demandons pas le luxe, juste des conditions humaines pour soigner nos enfants et nos mères», a résumé une manifestante devant l’hôpital Hassan II.
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