Hiba Chaker
14 Mai 2025
À 18:53
Onze heures de débat, plus de mille amendements déposés... Le marathon parlementaire s’est achevé à minuit passé. La Commission de la justice, de la
législation et des
droits de l’Homme à la
Chambre des représentants a adopté, dans la soirée du mardi 13 mai, le projet de loi 03.23 modifiant le
Code de procédure pénale, avec 18 députés pour et 7 contre. Présenté comme une modernisation attendue du Code de procédure pénale, le projet de loi 03.23 vient remplacer le texte en vigueur depuis 2002 (loi 22.01). Derrière les chiffres de 1.380 amendements déposés et 200 seulement acceptés, se cache une tension politique manifeste. La majorité comme l’opposition ont vu leurs propositions rejetées en bloc par le ministre, qui n’a pas hésité à ironiser sur son ouverture démocratique : « Je suis gentil avec tout le monde, j’en refuse autant à la majorité qu’à l’opposition».
Les articles 3 et 7 au cœur du bras de fer
Parmi les 1.380 amendements déposés sur le projet de loi 03.23, les articles 3 et 7 ont cristallisé l’essentiel des tensions. L’article 3 opère un basculement net. Il attribue à la seule autorité du
ministère public, représentée par le procureur général près la
Cour de cassation, le pouvoir d’engager des poursuites en matière de
crimes liés aux
deniers publics. Ce pouvoir ne peut être exercé qu’après saisine formelle, fondée sur des éléments transmis par une série restreinte d’organismes publics, comme la
Cour des comptes, l’
Inspection générale des finances, l’
Inspection générale de l’administration territoriale ou encore l’
Instance nationale de probité. Dans cette configuration, les associations, les fonctionnaires habilités ou les lanceurs d’alerte ne peuvent plus, comme auparavant, déclencher une enquête judiciaire. Le signalement citoyen perd ainsi toute portée procédurale directe.
Quant à l’article 7, il introduit une double condition pour les associations souhaitant se constituer partie civile dans des affaires de
corruption. Désormais, seules les associations reconnues d’utilité publique et disposant d’une autorisation préalable d’ester en justice, délivrée par le ministère de la
Justice, pourront accéder à cette fonction. Une exigence que l’opposition considère comme un verrou politique et une entrave à l’action associative. Ce dispositif renvoie en outre à un futur texte réglementaire, dont les contours restent flous, alimentant la crainte d’un filtrage discrétionnaire.
Plusieurs groupes parlementaires ont tenté, sans succès, d’assouplir ces deux articles. Les amendements déposés pour supprimer la mention d’autorisation préalable ou pour réintégrer les signalements directs ont tous été rejetés. En effet, à l’issue des onze heures de débat en Commission, seuls 21 des 435 amendements déposés par le groupe de la justice et du développement ont été retenus. Le groupe socialiste a vu 42 de ses 308 amendements adoptés, contre 28 sur 186 pour le groupe haraki et 11 sur 167 pour le groupe du progrès et du socialisme. La majorité parlementaire, qui avait formulé 155 propositions, a vu 43 d’entre elles validées. Côté non-affiliés, les chiffres sont tout aussi faibles : deux amendements retenus pour Fatima Tamni sur 55, un pour Nabila Mounib sur 24, et un seul pour Rim Chabat sur 12. Face aux critiques, le ministre de la Justice a justifié le recentrage de l’action publique par la nécessité de «garantir l’unité du parquet, éviter les poursuites hasardeuses et encadrer la politique pénale dans un cadre institutionnel rigoureux». «La procédure pénale ne doit pas devenir un champ de militantisme», a-t-il tranché.
Se félicitant de «l’adoption de plus de 200 amendements», M. Ouahbi a salué «une vision commune» dégagée en Commission, avant l’envoi du texte à la Chambre des conseillers. Pour lui, cette réforme s’inscrit dans un effort plus large de modernisation de la justice, censé renforcer la sécurité juridique et clarifier les rôles dans la chaîne pénale. Mais pour les acteurs associatifs et une partie de l’opposition, cette recentralisation fragilise le rôle des contre-pouvoirs. Dans un contexte où les institutions de contrôle peinent parfois à agir en temps réel, le retrait du levier d’alerte citoyenne et associative risque, selon eux, d’installer une forme de passivité institutionnelle face aux infractions économiques et financières.
Derrière l’argument de la stabilité judiciaire, c’est bien la question de la transparence et de la participation démocratique qui est posée. À titre d’exemple, ces nouvelles conditions ont été vigoureusement critiquées par plusieurs institutions, dont le Conseil national des droits de l’Homme, l’Instance nationale de probité, ainsi que le Conseil économique, social et environnemental, qui ont tous remis des mémorandums appelant à ne pas vider de sa substance le rôle de la société civile dans la lutte contre la corruption.
Le texte doit encore passer en plénière à la Chambre des représentants, prévue mardi prochain, avant d’être transmis à la Chambre des conseillers pour un second examen. À ce stade, sauf surprise, le projet a de grandes chances d’être validé sans modifications majeures. Les débats restent toutefois vifs sur le rôle de la société civile, certains observateurs estimant que les nouvelles restrictions pourraient limiter la transparence judiciaire, malgré les ambitions affichées en matière d’
État de droit.