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Avastin : les ophtalmologistes réclament un cadre légal pour sauver la vue de milliers de Marocains

Face à la montée des pathologies rétiniennes et à la paralysie du secteur depuis l’affaire de l’hôpital 20 août, les praticiens montent au créneau. Le Syndicat national des ophtalmologistes libéraux du Maroc (SNOLM) appelle les autorités sanitaires à autoriser et encadrer l’usage intraoculaire du Bevacizumab (Avastin), un médicament efficace et vingt fois moins coûteux que les alternatives. «Depuis les incidents de 2023, les médecins sont devenus frileux, faute d’un cadre légal pour les protéger», confie une source proche du dossier, soulignant que «des centaines de patients attendent ces injections, parfois la seule chance de sauver leur vue».

22 Octobre 2025 À 18:01

Le Syndicat national des ophtalmologistes libéraux du Maroc (SNOLM) tire la sonnette d’alarme sur un flou réglementaire qui nuit autant aux patients qu’aux médecins. Dans un communiqué rendu public mercredi, le syndicat appelle les autorités sanitaires à autoriser et encadrer l’usage du Bevacizumab (Avastin) en injection intraoculaire pour traiter les pathologies rétiniennes graves et cécitantes.

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Un appel lancé dans un contexte de paralysie silencieuse : depuis l’affaire de l’hôpital 20 Août de Casablanca, où plusieurs patients avaient perdu la vue en 2023 à la suite d’injections intraoculaires contaminées, nombre de médecins hésitent désormais à pratiquer ces traitements pourtant essentiels.

Un médicament efficace et 20 fois moins coûteux

Utilisé depuis plus de quinze ans à l’international, l’Avastin est un anti-VEGF reconnu pour son efficacité dans la prise en charge de pathologies oculaires telles que la rétinopathie diabétique, l’œdème maculaire diabétique ou la dégénérescence maculaire liée à l’âge (DMLA). Son coût dérisoire, environ 300 dirhams par injection, contre 5.000 à 6.000 dirhams pour les produits équivalents disposant d’une autorisation de mise sur le marché (AMM), en fait un levier d’équité majeur pour les patients à faibles revenus.

«Nous demandons un cadre clair, comme il en existe en France ou au Royaume-Uni, pour garantir à nos patients un soin efficace et abordable et permettre aux médecins d’exercer sereinement», déclare Dr Miriam Wafi, présidente du SNOLM. Le syndicat, soutenu par la Société marocaine d’ophtalmologie (SMO) et la Société marocaine de pathologie vitréo-rétinienne (SMVR), plaide pour une autorisation dérogatoire du médicament, déjà reconnu par des institutions comme l’OMS, le NICE britannique ou l’ANSM française.

Le spectre de l’affaire de l’hôpital 20 août

Derrière cette revendication des professionnels se cache une réalité plus complexe. Depuis le drame survenu à l’hôpital 20 Août de Casablanca, où plusieurs patients avaient été victimes d’infections graves après des injections intraoculaires, les services hospitaliers publics ont suspendu ces procédures. L’incident, largement médiatisé, avait révélé de graves défaillances dans la chaîne d’asepsie et de reconditionnement du médicament, sans pour autant remettre en cause la molécule elle-même.

Selon une source proche du dossier, jointe par notre rédaction, un courrier officiel a été déposé mercredi même auprès du ministère de la Santé. «L’objectif à travers ce communiqué est d’interpeller les autorités sur la réalité que vivent les praticiens. Nous avons des patients en attente de ces injections qui risquent la cécité. Depuis l’incident de l’hôpital 20 Août, les médecins sont devenus frileux, faute d’un cadre légal qui les protège», explique notre interlocuteur. Le blocage, poursuit la même source, a conduit à une situation paradoxale. «Certains praticiens refusent désormais d’utiliser ces injections abordables, d’autres se tournent vers des alternatives jusqu’à vingt fois plus chères et une minorité continue à les administrer à leurs risques et périls», déplore notre source.

Un vide juridique aux lourdes conséquences

Au Maroc, l’Avastin bénéficie d’une AMM uniquement pour ses usages oncologiques, et non pour les pathologies oculaires. Résultat : les ophtalmologistes se trouvent dans une zone grise juridique, entre nécessité médicale et incertitude réglementaire. Les hôpitaux de Casablanca, Rabat et Oujda ont ainsi suspendu toute injection intraoculaire d’Avastin. «Il n’y a plus que le CHU de Fès qui continue à en administrer, au risque d’exposer ses équipes», confie notre source. Pour le SNOLM, cette situation est intenable. Le syndicat appelle à un cadre clair d’utilisation, incluant le reconditionnement en pharmacie hospitalière sous normes d’asepsie strictes, la prise en charge par l’AMO et une protection juridique des praticiens de bonne foi.

Un enjeu de santé publique et de justice sociale

Derrière les termes techniques, l’enjeu est humain. Les pathologies rétiniennes constituent une cause majeure de cécité évitable. En différant leur traitement, des milliers de patients risquent de perdre la vue. «Ce que nous demandons, c’est la reconnaissance d’une pratique fondée sur la science, l’éthique et le bon sens. Autoriser l’Avastin dans un cadre sécurisé serait un geste médicalement fondé, socialement juste et économiquement responsable», plaide Dr Wafi.

Pour les praticiens, il ne s’agit pas d’un débat de laboratoire, mais d’une urgence sanitaire. Comme le résume notre source : «Une simple dérogation ministérielle, en attendant l’entrée en fonction de la Haute Autorité de Santé, suffirait à débloquer la situation et à rendre la vue accessible à ceux qui la perdent faute de traitement».
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