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Les victimes des injections oculaires de l’Hôpital du 20 Août n'ont plus que les yeux pour pleurer !

La vue, c’est la vie. Et les victimes des injections oculaires de l’Hôpital du 20 Août ne le savent que trop. Plus d’un an après l’incident tragique, elles continuent de porter les lourdes séquelles d’une «erreur médicale» qui leur a ravi la vue et qui a mis leur vie sens dessus dessous. Alors que l’enquête judiciaire visant à déterminer les responsabilités avance lentement, ils doivent chaque jour faire face à cette réalité terrible : rien ne sera plus comme avant. Et désormais, ils doivent se rendre à l’évidence. Avec un déficit visuel grave, ils ont perdu leur emploi, leurs moyens de subsistance et tout contact avec le monde extérieur. Leur souffrance est accentuée par un sentiment d’isolement et d’abandon. Car, selon leurs témoignages, en attendant que la lumière soit faite sur cette affaire, ils restent sans ressources, livrés à leur triste sort. «Le Matin» a rencontré deux victimes. Faisant montre d’une résilience à toute épreuve, ils racontent comment ils réapprennent à vivre et à quel point ils tiennent à se battre pour faire valoir leurs droits. Pour eux, il ne faut surtout pas que leur drame tombe dans l’oubli. Voici leurs témoignages.

Ph. Sradni
Ph. Sradni
«Lorsqu’on perd la vue, le monde tout entier devient un mystère silencieux». Cette citation de Victor Hugo illustre parfaitement le calvaire des 16 victimes ayant perdu la vue il y a plus d’un an à l’Hôpital 20 Août de Casablanca, relevant du Centre hospitalier universitaire Ibn Rochd. Après avoir reçu une injection intravitréenne (IVT), une procédure courante à l’échelle mondiale, l’impensable est arrivé. À cause de ce traitement, ces patients ont subi des conséquences aussi dramatiques qu’inattendues. L’enquête judiciaire est toujours en cours pour déterminer les responsabilités et les circonstances exactes de cet incident qui leur a ravi la vue. Au-delà de la souffrance liée à leur situation, les victimes se sont retrouvées du jour au lendemain plongées dans l’obscurité. Ce coup terrible a bouleversé leur quotidien, les privant de leur autonomie, de leur emploi, de leurs ambitions et de leurs projets de vie. Cette «erreur médicale» a anéanti leurs espoirs et mis fin – sans crier gare – aux rêves de beaucoup d’entre eux.



«L’incident a bouleversé ma vie. J’ai perdu ma santé et, par conséquent, mon travail et ma dignité. Avant, je vivais tranquillement de la vente de menthe dans le souk à El Jadida. C’était un travail simple, mais qui me permettait de vivre décemment», raconte avec beaucoup d’émotion Rachdi, un septuagénaire. Cette nouvelle réalité, marquée par l’incertitude, la précarité et l’imprévisibilité, a jeté Rachid, tout comme les autres victimes, dans un profond émoi que le sentiment d’abandon ne fait qu’exacerber. C’est une souffrance sourde et intenable que peu de gens peuvent supporter.

>>Lire aussi : Affaire des injections intraoculaires de l’Hôpital du 20 Août : les leçons à tirer

Chaque jour pour eux est une nouvelle épreuve. Elles doivent s’adapter, surmonter le traumatisme psychologique, réapprendre à vivre autrement et se débrouiller pour gagner leur vie. Un coup dur pour leur dignité et leurs projets...

«Ce n’est pas seulement sa vue qu’il a perdue, mais aussi sa dignité et son rôle au sein de la famille. Il ne peut plus être le père ni l’époux qu’il était», raconte pour sa part Fatima Zahra, dont le frère fait partie des malheureuses victimes de l’injection maudite. C’est elle qui défend sa cause et se charge de suivre son dossier sur plan juridique et administratif. Cette femme aux traits marqués par les vicissitudes de l’infortune est désormais le seul soutien de son frère. Et comme les autres patients en son cas, leur seule consolation face à ce nouveau monde cruel, c’est l’appui de leurs familles et d’une poignée d’amis et de proches qui leur viennent en aide. Mais c’est loin de la vie qu’elles auraient souhaité avoir. «Je veux à présent simplement vivre les derniers jours de ma vie dans la tranquillité et la dignité», souligne Ahmed Rachdi, du haut de ses 75 ans. Pour lui, comme pour les autres, désormais, un seul objectif compte : gagner leur procès et obtenir réparation pour le préjudice subi. Certes, la bataille ne sera pas facile à gagner, mais cela leur donnera au moins une raison pour continuer à vivre ! Ahmed Rachdi : «À 75 ans, je lutte pour retrouver ma dignité»

«Personne ne se soucie de nous. C’est comme si on est effacés de l’existence», se plaint Ahmed, 75 ans, la voix émue. Il poursuit avec une douleur à peine répressible : «L’incident a bouleversé ma vie. J’ai perdu ma santé et, par conséquent, mon travail et ma dignité. Avant, je vivais tranquillement de la vente de menthe dans le souk à El Jadida. C’était un travail simple, mais qui me permettait de vivre décemment. Aujourd’hui, je ne peux plus rien faire». Ce qui a encore aggravé sa situation, c’est la perte de sa femme, survenue peu de temps après l’incident. «Je n’ai pas d’enfants et j’ai aussi perdu ma femme, celle qui prenait soin de moi, celle qui était tout pour moi. Aujourd’hui, je vis seul, sans ressources. Je dépends des voisins qui, par pitié, me donnent à manger. À mon âge, vivre ainsi, dans une telle dépendance, c’est insupportable», raconte-t-il, les yeux embués de larmes. Il explique qu’il est désormais dans l’incapacité de se rendre à l’hôpital pour recevoir les soins nécessaires, faute de moyens. «Il me faut au moins 200 DH pour le déplacement à Casablanca, mais je n’ai pas cet argent». Tout en exprimant sa confiance dans la justice marocaine, Ahmed se demande s’il aura encore le temps de voir sa cause plaidée et justice faite. «La justice est une machine lourde et lente, et moi, je n’arrive plus à supporter cette situation. Je veux simplement vivre les derniers jours de ma vie dans la tranquillité et la dignité tout en étant capable de subvenir à mes besoins les plus élémentaires», confie-t-il.

Fatima Zahra Aniba : «Toute la famille a croulé !»

Fatima Zahra Aniba raconte le calvaire indescriptible de son frère, un ancien plombier et père de famille. «Avant, il assurait la stabilité de la famille grâce à son travail. Celui qui incarnait l’espoir pour ses enfants sombre aujourd’hui dans l’obscurité, et c’est tout l’équilibre familial qui s’effondre. Sa femme a dû trouver un travail de fortune pour subvenir aux besoins du foyer. C’est dur !», explique-t-elle, la gorge nouée de douleur. Mais pour Fatima Zahra, ce qui pèse le plus, c’est la souffrance psychologique engendrée par cette perte d’autonomie. «Ce n’est pas seulement sa vue qu’il a perdue, mais aussi sa dignité et son rôle au sein de la famille. Il ne peut plus être le père ni l’époux qu’il était.» Une souffrance qui touche toute la famille, en particulier les enfants qui grandissent désormais dans un environnement fait de précarité et d’indigence. Fatima Zahra refuse de parler du seul cas de son frère. Pour elle, c’est une tragédie collective aggravée par l’oubli et l’indifférence. «Les familles des victimes vivent dans une pauvreté totale. Personne ne vient vers elles. Personne ne se soucie de leur sort. Les fêtes religieuses, comme le Ramadan, sont synonymes de souffrance pour nous. Elles nous rappellent notre isolement et l’état d’abandon que nous vivons !» Déplore-t-elle avant de lancer : «C’est choquant de voir les victimes ainsi traitées». «Nous, Marocains, sommes connus pour les valeurs de solidarité et d’entraide qui font notre force. Alors pourquoi ces victimes sont-elles laissées dans l’oubli ? Pourquoi ces familles sont-elles abandonnées à leur sort ?» s’indigne Fatima Zahra avant de lancer un appel aux âmes charitables : «Il est urgent d’agir. La justice, bien qu’indispensable, ne pourra pas réparer ce qui a été brisé. Mais en attendant, la société peut faire beaucoup face à la détresse de ces victimes !»
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