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Abdelhak Azzouzi : «Traduire le Coran, c’est unir la foi, la langue et la raison»

Le professeur Abdelhak Azzouzi signe une œuvre monumentale : une traduction et une exégèse intégrale du Coran en langue française, publiée aux éditions internationales Al-Bouraq. Fruit de dix années de travail acharné, ce projet érudit et spirituel ambitionne de rendre accessible au lecteur francophone toute la profondeur du message coranique. Universitaire marocain reconnu, à la croisée des traditions intellectuelles orientales et occidentales, le professeur Azzouzi revient pour «Le Matin» sur les fondements, la méthode et la portée de cette entreprise exceptionnelle.

31 Octobre 2025 À 11:06

Le Matin : Vous avez publié aux éditions internationales Al-Bouraq un ouvrage de traduction et d’exégèse en langue française du Coran que l’on peut qualifier d’œuvre grandiose. Est-ce que vous pourriez nous décrire ce travail ?

Abdelhak Azzouzi :
Oui, le travail est composé de trois volumes et 3.200 pages. Il ne s’agit pas d’une simple traduction littérale, mais d’une entreprise d’exégèse complète qui allie clarté linguistique, profondeur herméneutique et respect absolu de la sacralité du texte coranique. J’ai mené ce travail avec la double exigence du linguiste et du croyant. Mon objectif était d’offrir au lecteur francophone une version du Coran qui restitue toute la puissance du message divin sans en trahir ni la beauté, ni la profondeur. Je me suis appuyé sur les grands ouvrages classiques du «tafsīr» tout en y apportant ma propre lecture contemporaine. En ne retenant que les interprétations compatibles avec la raison et les fondements de la foi, j’ai essayé d’apporter un équilibre entre attachement au texte et effort d’«ijtihād». Loin d’une approche figée, j’ai inscrit ma démarche dans la dynamique du renouveau intellectuel islamique, adaptée aux questionnements spirituels et sociaux de notre époque.



Eugène Delacroix, qui fut épris du Maroc dès qu’il foula sa terre, formula à juste titre cette proposition : «Le beau est le fruit d’une inspiration persévérante qui n’est qu’une suite de labeurs obstinés». J’en ai fait une conviction et je peux en témoigner aujourd’hui, car ce travail m’aura pris dix ans d’efforts assidus. On comprendra qu’il ne s’agit donc pas d’un ouvrage ou d’un opuscule ordinaire, mais de connaissances approfondies du Coran, du Livre sacré des Musulmans.

Est-ce que vous pourriez nous parler de votre méthode ?

Chaque sourate est située, explorée et explicitée dans son contexte global, en tenant compte de ses intentions principales, avant d’être déclinée en unités thématiques cohérentes. La traduction n’est pas compartimentée selon des versets traités chacun isolément, mais s’opère plutôt par réseaux de signification en vue de favoriser une appréhension plus pertinente en prenant en charge le maillage structurant les idées et la dynamique narrative intrinsèque au texte sacré.

Je me suis aussi appuyé sur la science des circonstances de la révélation (asbāb an-nuzūl) pour replacer chaque verset dans son cadre temporel et événementiel. Cette approche restitue la cohérence du message divin et permet au lecteur de saisir la sagesse des commandements, leur lien avec les réalités humaines et la continuité spirituelle qu’ils incarnent. En intégrant ces données historiques et philologiques à mon commentaire, j’ai essayé de renouveler la compréhension du Coran tout en rappelant sa vocation intemporelle : être une source de paix intérieure, de justice et de bien universel. Mon œuvre ne se limite donc pas à un travail savant : elle constitue une passerelle entre les cultures, un dialogue vivant entre la foi et la raison, entre la révélation et le monde contemporain.

Je passe au peigne fin tout ce qui a trait à la grammaire arabe (i’râb), aux fleurs de la rhétorique et aux subtilités sémantiques qui servent de matériaux et de joyaux à la singulière magnificence coranique. Je n’omets pas, à juste titre d’ailleurs, de convoquer en renfort les apports des sciences modernes – physique, biologie, médecine – pour mettre en exergue les divers signes de Dieu dans l’univers, soulignant ainsi le trait d’union, marquant le rapport consubstantiel entre la Révélation et la Création.

Le travail est le fruit d’une longue et passionnante fréquentation du Texte coranique et de ses exégèses. J’ai essayé de le mener avec conviction et efficacité, car je crois que dans la lecture approfondie de ce Texte il y a possibilité de penser autrement notre monde et son destin : c’est-à-dire dans une perspective de paix et de triomphe du bien contre le mal. J’ai recherché avec passion, je traquais l’exactitude dans le commentaire, la justesse dans le mot à traduire, la portée féconde du sens à rendre. Je me suis efforcé de ne trahir ni l’arabe, ni le français, ni le contenu des termes d’une si grande richesse du Texte coranique. J’ai essayé en quelque sorte de faire passer la vraie langue du Texte original dans la vraie langue de la traduction. J’ai eu le constant souci de traduire non seulement à partir de la langue arabe, mais encore de l’arabe et d’écrire non seulement en langue française, mais encore en français.

Il y a lieu de signaler que vous avez publié deux versions de l’œuvre ?

Oui, en effet, cette publication se décline en deux éditions distinctes, fondées sur les deux lectures coraniques les plus répandues dans le monde musulman. La lecture de Warsh, que nous lisons au Maroc, et qui est largement diffusée en Afrique du Nord et en Afrique de l’Ouest. Chaque lecture est répartie en trois tomes distincts. Ce double choix est fort judicieux puisqu’il répond à un souci de conformité à la pluralité des traditions de récitation, et à inscrire cette entreprise dans la portée universelle censée être la sienne.
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