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Code de procédure pénale : ce qui change pour le Ministère public

Contrôle judiciaire dès l’enquête, régulation des dénonciations anonymes, procédures numériques encadrées, alternatives élargies aux poursuites, limitation stricte de la détention provisoire… la loi 03.23, qui va entrer en vigueur dans moins de trois semaines, redéfinit en profondeur le travail du Ministère public. Plus qu’un ajustement technique, le nouveau texte place le Parquet au cœur de la nouvelle réforme du système judiciaire. Il se voit ainsi confier à la fois davantage de pouvoirs et de garanties, mais aussi une exigence nouvelle de rigueur, de transparence et de justification. C’est un équilibre subtil que la loi 03.23 tente de dessiner : une justice plus efficace, mais aussi plus juste.

23 Novembre 2025 À 15:10

La réforme est dense et augure d’une transformation en profondeur du quotidien des magistrats du Parquet marocain. Avec la loi 03.23, qui devra entrer en vigueur le 8 décembre 2025, le Code de procédure pénale change d’ère. Les procureurs du Royaume se voient confier de nouvelles attributions, assorties de responsabilités renforcées. L’ensemble du parcours de la procédure pénale est concerné, depuis la réception des plaintes jusqu’à l’exécution des décisions judiciaires, en passant par la conduite des enquêtes, les alternatives aux poursuites, ou encore le suivi des mesures de contrainte. D’emblée, le texte revendique son ambition. Il s’inscrit dans l’application des dispositions de la Constitution, mais aussi dans la mise en conformité du droit national avec les engagements internationaux du Maroc, notamment ceux relatifs aux droits humains, à la prévention de l’impunité et à l’équité des procédures. Cette réforme s’inscrit aussi dans la continuité du chantier Royal de modernisation de la justice. C’est donc plus qu’un simple ajustement technique, une véritable réingénierie du rôle du Parquet.

Un parquet plus stratégique et mieux encadré

Parmi les changements marquants, la loi 03.23 modifie en profondeur la manière dont les plaintes anonymes seront désormais traitées. Il ne suffira plus de recevoir une dénonciation sans signature pour ouvrir une enquête : il faudra d’abord, et obligatoirement, mener des vérifications préliminaires afin d’en établir la crédibilité. Cela vaut aussi bien pour les signalements transmis aux procureurs que ceux directement reçus par la police judiciaire. Cette prudence procédurale vise à limiter les abus, tout en maintenant la capacité de réaction du Parquet lorsqu’un soupçon sérieux apparaît. Un filtre très strict est également instauré en matière de crimes économiques. Désormais, les procureurs ne peuvent plus initier seuls des enquêtes sur les atteintes présumées aux deniers publics. Celles-ci devront être formellement demandées par le procureur général près la Cour de cassation, agissant en tant que chef de l’action publique, et sur la base d’un signalement d’une autorité compétente comme le Conseil supérieur des comptes, l’Inspection générale des finances ou encore l’Instance nationale de probité. Ce verrou procédural vise à garantir la rigueur et la traçabilité dans le traitement de dossiers souvent sensibles, tout en prévenant les interférences.

Nouveaux pouvoirs d’enquête et modernisation technologique

Les droits des plaignants, des victimes et de leurs avocats sont également renforcés. Dorénavant, la décision prise à l’issue d’une plainte – qu’il s’agisse d’un classement sans suite, d’une poursuite ou d’une saisine d’un juge d’instruction – devra être notifiée dans un délai de quinze jours. Cette obligation d’information vient renforcer la transparence de l’action du Parquet, et brise l’opacité qui entourait souvent le sort des plaintes.

Dans le même temps, la loi 03.23 confère de nouvelles prérogatives aux magistrats du Parquet dans la gestion des enquêtes. Ils pourront désormais ordonner des mesures de surveillance judiciaire dès le stade de l’enquête, avant même toute décision de mise en examen. Cette possibilité leur permet d’imposer des restrictions à la liberté du suspect (interdiction de quitter le territoire, de contacter certaines personnes, etc.) tout en évitant le recours immédiat à la détention provisoire. Le législateur consacre ainsi une logique de gradation dans les atteintes à la liberté, plus conforme aux principes d’une justice équilibrée.

Autre innovation importante : la formalisation des règles encadrant les notes de recherche. Ces «avis de recherche», jusqu’ici laissés à l’appréciation discrétionnaire, sont désormais encadrés par des critères stricts. Leur émission devra être ordonnée par le parquet et motivée par la gravité des faits ou la nécessité d’exécuter une décision judiciaire. Leur levée interviendra automatiquement en cas d’arrestation, de prescription ou sur décision explicite du Parquet. Il s’agit là encore d’éviter l’oubli ou le maintien abusif de mesures restrictives.

Sur le terrain financier, les procureurs obtiennent la possibilité d’ordonner des enquêtes patrimoniales parallèles pour identifier les gains illicites tirés d’activités criminelles. L’objectif est double : retracer l’origine des avoirs, mais aussi les saisir, y compris lorsqu’ils sont détenus par des tiers. Toutefois, la loi impose ici des garde-fous : les biens insaisissables (salaires, pensions, héritages légitimes, etc.) doivent être protégés, et les droits des tiers de bonne foi respectés. Le Parquet est aussi tenu de limiter l’impact économique de ses saisies, notamment sur les entreprises ou les personnes morales concernées. Une autre nouveauté majeure touche au volet numérique. La réforme introduit un régime complet de perquisition digitale. Les procureurs peuvent désormais autoriser des fouilles électroniques, la copie ou la suppression de données informatiques sensibles, l’interruption de flux numériques ou encore le retrait de contenus illicites en ligne. Des procédures rigoureuses sont prévues, encadrées par des autorisations écrites et motivées, pour éviter tout abus. La même logique prévaut pour les autres techniques spéciales d’enquête, comme l’infiltration ou la géolocalisation, qui devront faire l’objet d’un encadrement précis, sous peine de nullité.

Alternatives aux poursuites et renforcement des garanties procédurales

Sur le plan des alternatives aux poursuites, la loi 03.23 renforce considérablement l’arsenal disponible. Le parquet peut désormais proposer une conciliation pénale pour un éventail beaucoup plus large d’infractions, y compris des délits auparavant exclus (vol, escroquerie, violences légères...). Il peut désigner un médiateur, accorder des délais, ou adapter le montant de la contribution financière exigée pour clore le dossier. Autre innovation : le recours à des amendes transactionnelles proposées par l’administration elle-même, dans certains cas d’infractions sans victime directe. Cela permet de désengorger les tribunaux tout en maintenant la pression sur les auteurs d’infractions. Parallèlement, les garanties procédurales se renforcent autour des mesures de contrainte. La mise en garde à vue, par exemple, ne pourra être décidée que si des motifs précis sont réunis : risque de fuite, besoin de confrontation, menace sur les preuves, etc. Sa prolongation devra, dans certains cas, être décidée via des moyens de communication à distance, notamment pour tenir compte de contraintes géographiques ou sanitaires. Le droit de la défense est lui aussi consolidé, avec la possibilité pour les avocats d’assister à certaines auditions de leur client, notamment en cas de vulnérabilité.

La réforme s’attaque aussi à la durée excessive des détentions provisoires. En matière délictuelle, elle est réduite à un mois renouvelable une fois. En matière criminelle, à deux mois renouvelables deux fois. Sauf exception, cela signifie que la privation de liberté sans jugement ne pourra excéder six mois dans la plupart des cas. Le parquet devra donc gérer plus finement les délais et anticiper les blocages pour éviter les détentions illégales. Pour les mineurs, la loi prévoit des ajustements majeurs. En dessous de 12 ans, il n’est plus possible de les poursuivre : leur irresponsabilité pénale devient automatique. En dessous de 14 ou 16 ans selon la gravité des faits, la détention devient elle aussi interdite. Par ailleurs, les procureurs sont désormais tenus de rendre visite chaque mois aux enfants placés en détention ou en centre de rééducation, et d’en rendre compte.

Au stade de l’instruction, la réforme abolit l’obligation d’enquête en matière criminelle. Le parquet pourra, dans bien des cas, poursuivre directement sans passer par un juge d’instruction, ce qui devrait alléger les délais. Le recours à la détention ou au contrôle judiciaire y est également mieux encadré, avec des durées maximales et un pouvoir accru laissé aux procureurs pour demander la clôture rapide des instructions en souffrance.

Enfin, la phase de l’exécution judiciaire n’est pas oubliée. Le parquet se voit expressément confier la gestion des demandes d’intégration de peines (lorsqu’un condamné est frappé de plusieurs décisions). Le texte précise aussi que nul ne peut purger plus que le total des peines prononcées. En matière de «contrainte par corps», une limite est posée : elle ne sera plus possible pour des dettes inférieures à 8.000 dirhams. Quant aux demandes de réhabilitation judiciaire, elles relèveront désormais du juge d’application des peines, selon une procédure plus rapide.

Le Ministère public est donc placé au cœur de cette nouvelle architecture procédurale. Il se voit confier à la fois davantage de pouvoirs et de garanties, mais aussi une exigence nouvelle de rigueur, de transparence et de justification. C’est un équilibre subtil que la loi tente de dessiner : une justice plus efficace, mais aussi plus juste.
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