Mounia Senhaji
10 Septembre 2025
À 18:57
Paradoxalement, la pression sur la note française, avec une probable perte du double «A», peut accélérer une coopération
Maroc-France-Afrique où Rabat jouerait le rôle d’architecte opérationnel, des ports atlantiques aux énergies renouvelables. C’est en tout cas ce que soutient notre analyste
Yassine El Yattioui, enseignant-chercheur à l'Université Lumière Lyon 2.
Selon cet expert, perdre le double A pour la France n’est pas seulement payer les emprunts un peu plus chers : c’est parler moins fort dans les capitales africaines, où l’on privilégie désormais les partenaires capables d’exécuter vite, de financer et de tenir dans la durée. «Un tel déclassement n’est pas uniquement symbolique. Il se traduit par une perte de parts de marché, une diminution de l’attractivité et une incapacité croissante à impulser des dynamiques régionales comme elle avait pu le faire dans le passé. L’Afrique constitue un champ d’observation privilégié de ce recul», souligne M. El Yattioui, pointant des marges de manœuvre plus étroites, et donc des priorités à clarifier.
«En perdant en crédibilité financière, Paris se trouve fragilisé dans son dialogue avec les capitales africaines, qui privilégient désormais des acteurs capables d’apporter des financements rapides, des infrastructures concrètes et une stabilité institutionnelle, conditions que la France peine de plus en plus à remplir», ajoute-t-il.
Et si la porte s’ouvrait côté Rabat ?
Dans ce contexte, le Maroc n’apparaît pas comme un «second rôle» mais comme l’acteur charnière capable de transformer un recul français en coopération utile. Sa stabilité, une diplomatie proactive, des institutions solides, et surtout un savoir-faire reconnu dans la conduite de projets, rassurent et attirent. À cet égard, la menace d’un déclassement de la note souveraine française serait un test de maturité pour la relation Maroc-France : se refermer... ou s’ouvrir à une coopération plus intelligente, plus utile, plus lisible pour l’Afrique. En effet, notre expert voit dans cette situation moins un risque direct qu’une fenêtre d’opportunité pour ancrer un partenariat tripartite (France-Maroc-Afrique de l’Ouest) autour du port Dakhla Atlantique, de projets d’OCP, des réseaux bancaires marocains et des énergies renouvelables, avec le Maroc en chef de file opérationnel.
Signe fort de cette dynamique, l’Initiative Atlantique propose une vision très concrète : désenclaver le Sahel en lui offrant un accès maritime et une meilleure intégration aux marchés mondiaux. Pour une France fragilisée financièrement, s’arrimer à cette stratégie, ce n’est pas renoncer, c’est changer de méthode. «Au-delà du projet de Dakhla et de l’Initiative Atlantique, c’est l’ensemble du modèle marocain qui séduit par sa capacité à proposer des solutions concrètes et ancrées dans la réalité des besoins africains», relève M. El Yattioui.
Cette approche s’appuie sur des liens humains et culturels déjà à l’œuvre : formation d’imams africains à Rabat, accords universitaires et industriels qui nourrissent la confiance... bref, une diplomatie qui assemble le dur (infrastructures, financements) et le souple (capital humain), ce qui manque cruellement au récit français actuel. Dans ce contexte, l’expert plaide pour une relation horizontale et partenariale : France-Maroc-Afrique de l’Ouest comme schéma tripartite donnant de la légitimité à l’action française, tout en consolidant le rôle de pivot du Maroc. L’idée n’est pas théorique : elle répond aux attentes des partenaires africains pour des projets clairs, ancrés et co-construits.
Quatre terrains où agir tout de suite
Dans l’immédiat, Yassine El Yattioui estime que l’action peut se concentrer sur les infrastructures et la logistique : faire de Dakhla Atlantique la tête de pont d’un corridor vers le Sahel, où ports, zones industrielles et routes se répondent pour fluidifier les échanges et donner de la visibilité aux investisseurs. Sur le front de l’agriculture et de la sécurité alimentaire, le couple Maroc-France a de quoi passer à l’échelle : expertise de l’OCP, engrais adaptés aux sols africains, transfert de compétences et dispositifs d’appui aux filières locales... bref, des solutions concrètes pour produire mieux, plus près des consommateurs. Côté banques et finance, le maillage marocain déjà présent en Afrique permet d’assembler rapidement des montages «bancables» : garanties, lignes de crédit, paiements et inclusion financière, afin que les projets ne restent pas des promesses sur papier.
La transition énergétique offre également un champ immédiat d’impact selon notre analyste. Il s’agirait notamment d’exporter le savoir-faire marocain en solaire et en éolien, structurer des projets IPP (production d'énergie indépendante), installer des chaînes de maintenance et, lorsque c’est pertinent, localiser une partie de la fabrication pour créer de l’emploi et ancrer les retombées dans la durée.
Verdict imminent pour une France sous pression
La France aborde l’échéance du 12 septembre dans un climat de fortes turbulences politiques et budgétaires. Fitch doit rendre son verdict sur la dette souveraine et beaucoup s’attendent à une perte du double «A», un symbole lourd de conséquences. L’endettement public, qui culmine à 114% du PIB, enferme Paris dans une spirale de contraintes où chaque hausse de taux d’intérêt réduit un peu plus les marges de manœuvre. Ce n’est pas seulement une sanction technique infligée par les marchés : c’est une perte de confiance structurelle dans la capacité de l’État à réformer et à tenir sa trajectoire budgétaire.
À cette fragilité économique s’ajoute une instabilité politique chronique : remaniements à répétition, départs symboliques comme celui de François Bayrou, tensions sociales persistantes. Loin de redresser la barre, le second mandat d’Emmanuel Macron a été marqué par une succession de crises qui ont brouillé la lisibilité de l’action publique. Ce déclassement dépasse les chiffres : il affecte le rang même de la France dans le jeu mondial. Jadis puissance stabilisatrice, elle se retrouve désormais perçue comme un acteur affaibli, sur la défensive, obligé de repenser son rôle et ses alliances.