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Dialogue social : un Premier mai terne cette année

Malgré une relance officielle du dialogue social, il y a quelques jours, les tensions restent vives entre syndicats et gouvernement. À l’issue de leur réunion du 22 avril dernier, le climat était plutôt morne. C’est que les grandes annonces qui caractérisent d’ordinaire le 1er mai ne sont pas au rendez-vous cette année. L’Exécutif s’est contenté de ressasser son discours d’usage sur les acquis réalisés et la volonté d’œuvrer pour l’amélioration des conditions des travailleurs. De leur côté, les syndicats, sans grande conviction, ont rappelé leurs revendications. Conscients qu’ils n’ont plus le soutien de la rue comme avant, ils se résignent à faire ce qu’ils peuvent : faire acte de présence et mettre en garde contre le danger que présente l’érosion de leur capacité d’encadrement. Et là, force est de reconnaître qu’ils n’ont pas totalement tort. Beaucoup redoutent en effet un essoufflement du lien entre les travailleurs et leurs représentants. Les bases se mobilisent moins, les jeunes générations adhèrent peu aux centrales et l’informel reste hors radar. À moyen terme, c’est la légitimité même du dialogue social qui pourrait vaciller si les résultats ne suivent pas.

30 Avril 2025 À 20:52

Ce jeudi 1er mai, les rues des grandes villes verront défiler, comme d’habitude, les cortèges syndicaux. Mais cette fois-ci les marcheurs ne seront pas euphoriques. L’heure n’est ni à la confrontation ouverte, ni à l’optimisme partagé. Depuis plusieurs jours, les communiqués syndicaux qui se succèdent dressent le même constat : si le dialogue social a retrouvé une certaine forme d’institutionnalisation, il reste sans impact concret, du moins du point de vue des classes ouvrières. La session d’avril, présidée par le Chef du gouvernement Aziz Akhannouch, a rassemblé les principales centrales syndicales (UMT, UGTM, CDT), ainsi que les organisations patronales (CGEM, COMADER). Mais là, le gouvernement n’a pas parlé des projets d’avenir. Il a mis en avant les efforts engagés depuis deux ans pour honorer les accords de 2022 et 2024 : deuxième tranche de l’augmentation générale des salaires dans le public prévue en juillet (500 dirhams nets), revalorisations des salaires dans la santé (3,5 milliards de dirhams), dans l’éducation (17 milliards), et dans l’enseignement supérieur (2 milliards), hausse du SMIG et du SMAG, réforme de la fiscalité sur le revenu...



À noter que du côté patronal, la Confédération générale des entreprises du Maroc (CGEM) a réaffirmé, à l’issue de la session, son attachement à un dialogue social «équilibré, productif et tourné vers l’avenir». Son président, Chakib Alj, a plaidé pour une mise à jour du Code du travail «adaptée aux réalités économiques et aux mutations technologiques», soulignant que l’objectif reste de «favoriser la création d’emplois durables tout en maintenant un climat social stable». La CGEM a également insisté sur la nécessité de réformer en profondeur la formation professionnelle, afin de mieux répondre aux besoins des entreprises, notamment les TPME, dans un contexte de forte transformation des métiers. Mais dans les rangs syndicaux, le ton est plus réservé. Si la participation au dialogue est maintenue, la lassitude est visible. Les syndicats soulignent un décalage croissant entre le discours gouvernemental et les réalités sociales.

«Le pouvoir d’achat continue de se dégrader»

Dans un communiqué diffusé à l’issue de la rencontre du 22 avril, l’Union marocaine du travail (UMT) rappelle ses exigences : une hausse généralisée des salaires, y compris pour les salariés du privé et les agents des collectivités territoriales, une revalorisation des pensions de retraite, une augmentation des allocations familiales à 500 dirhams par enfant et un allègement fiscal renforcé. La centrale avertit : «La hausse des prix a largement rongé les effets des augmentations salariales précédentes. Il faut désormais des mesures substantielles pour préserver la capacité des travailleurs à faire face à la vie chère.» Le syndicat réclame aussi l’ouverture urgente de négociations dans plusieurs secteurs stratégiques – santé, éducation, collectivités locales – où les engagements signés tardent à être appliqués.

Santé : entre blocage et désillusion

La Fédération démocratique du travail (FDT), très présente dans la fonction publique, exprime un malaise plus profond encore. Dans un appel publié le 28 avril, sa branche santé alerte sur l’absence d’avancées réelles depuis l’accord sectoriel du 23 juillet 2024. «Nous refusons catégoriquement toute tentative de remettre en cause les droits et acquis de la profession», écrit la FDT, qui dénonce aussi «l’absence de vision claire sur le statut des professionnels non encadrés, les retards dans les indemnités et les inégalités de traitement entre personnels des CHU, des agences sanitaires et des structures centrales». Elle appelle à une large mobilisation ce 1er mai et prévient : «La réforme du système de santé est vouée à l’échec si elle ne repose pas sur la reconnaissance matérielle et morale de ses acteurs.»

Retraites : la ligne rouge syndicale

Autre point de cristallisation des tensions : la réforme des retraites. Le gouvernement a annoncé la relance de la commission nationale prévue par l’accord d’avril 2024. Mais l’UMT, la FDT et l’UGTM ont toutes exprimé leur opposition à toute réforme «paramétrique» qui ferait porter le poids du déséquilibre sur les seuls salariés. «Nous rejetons une fois de plus le triptyque maudit : relèvement de l’âge légal de départ, augmentation des cotisations, réduction du montant des pensions», avertit l’UMT dans son communiqué du 22 avril. La centrale syndicale pointe aussi la gouvernance défaillante de certaines caisses de retraite et propose la réactivation de la commission nationale tripartite, composée de l’État, du patronat et des syndicats, pour élaborer une réforme solidaire, transparente et soutenable.

Droit syndical : une liberté à protéger

La loi sur le droit de grève, promulguée en mars dernier, suscite également de fortes inquiétudes. Pour l’UGTM, qui s’est exprimée le 30 avril, l’intention du gouvernement d’encadrer ce droit constitutionnel «ne doit en aucun cas conduire à en réduire la portée». La centrale demande la promulgation en parallèle d’un cadre législatif régissant les syndicats, dans un esprit d’équilibre et de transparence. De son côté, l’UMT insiste sur la nécessité de garantir l’effectivité des libertés syndicales, en facilitant la délivrance des récépissés de création des syndicats, en protégeant les délégués contre les représailles et en abrogeant l’article 288 du Code pénal, qui criminalise encore certaines formes de grève.

Si les syndicats choisissent de maintenir la pression dans le cadre du dialogue social, ils n’en restent pas moins critiques sur sa méthode. «L’institutionnalisation ne doit pas être un cache-misère», écrit l’UGTM, qui propose d’aller vers une loi-cadre du dialogue social, avec des mécanismes de suivi, des délais clairs et des responsabilités partagées. Beaucoup redoutent aujourd’hui un essoufflement du lien entre les travailleurs et leurs représentants. La base se mobilise moins, les jeunes générations adhèrent peu aux centrales et l’informel reste hors radar. À moyen terme, préviennent certains syndicalistes, c’est la légitimité même du dialogue social qui pourrait vaciller si les résultats ne suivent pas.

Un printemps sous tension contenue

Le gouvernement, de son côté, réaffirme son attachement au dialogue et à la concertation. La session d’avril est présentée comme un jalon structurant dans la mise en œuvre de l’État social. Un appel à maintenir les discussions sectorielles a été adressé à l’ensemble des ministères. Un nouveau round est prévu à la mi-mai avec les collectivités territoriales. Mais sur le terrain, la patience est mise à l’épreuve. Ce 1er mai sera une journée de mobilisation, mais aussi de mesure. Un signal d’alerte, plus qu’un point de rupture.
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