Ayda Benyahia
25 Août 2025
À 16:29
L’
Institut marocain pour l’analyse des politiques (Moroccan Institute for Policy Analysis, MIPA) a choisi, dans le cadre de son émission «
Nabd Al Bi’a», de jeter la lumière sur la place de la
société civile dans la gouvernance environnementale et sur les freins à son action.
Mostafa Benramel, consultant en développement et environnement, y a rappelé notamment le paradoxe d’une reconnaissance constitutionnelle acquise en 2011, mais encore loin de se traduire en véritable pouvoir d’influence.
Une reconnaissance constitutionnelle encore inachevée
Le point de départ, rappelle l’intervenant, reste la Constitution de 2011, qui a reconnu à la société civile un rôle explicite de force de proposition dans les plans territoriaux (communaux, régionaux et provinciaux), ainsi que dans les stratégies sectorielles. Cette avancée a élargi son champ d’action et renforcé sa visibilité dans l’espace public. Cependant, cette reconnaissance institutionnelle n’a pas encore été traduite en pouvoir effectif. Les inerties administratives, l’absence de mécanismes robustes de suivi et d’évaluation, ainsi que la difficulté pour les associations à s’imposer comme un contre-pouvoir structuré, limitent toujours leur impact. «Il reste des défis et des obstacles à lever pour permettre une participation réellement efficace au suivi, à l’évaluation et à l’élaboration des politiques nationales», insiste-t-il.
L’essor des coalitions spécialisées
En dépit de ces limites, la dernière décennie a été marquée par l’émergence de réseaux et coalitions thématiques, traduisant une spécialisation croissante du tissu associatif. Partant de ce constat, M. Benramel cite notamment la Coalition nationale pour le climat et le développement durable et la Coalition nationale pour la justice climatique, auxquelles s’ajoutent des plateformes centrées sur d’autres thématiques telles que l’enfance, le genre ou l’éducation.
Cette structuration a parfois débouché sur des résultats tangibles. Le Réseau du Groupe marocain pour le volontariat, rappelle-t-il, a porté le projet de loi sur le volontariat contractuel, finalement adopté par le précédent gouvernement. Un texte né d’un noyau d’associations, dont l’Association du Phare écologique pour le développement et le climat a été l’un des moteurs.
De la consultation au plaidoyer : une transition à consolider
Cette spécialisation, qui témoigne d’une maturité organisationnelle, n’a toutefois pas suffi à transformer ces coalitions en véritables forces de pression. Selon M. Benramel, elles restent avant tout des acteurs consultatifs. La Coalition marocaine pour le climat et le développement durable en est l’illustration parfaite : omniprésente dans les consultations et projets liés au climat, elle peine encore à influer directement sur les décisions politiques. «Aujourd’hui, les organisations et coalitions environnementales sont avant tout une force de proposition. Mais en tant que force de plaidoyer, il leur reste encore beaucoup de chemin à parcourir», observe-t-il.
Les pétitions environnementales : un outil de démocratie participative
Pour contourner ces limites, de nouvelles pratiques émergent. Mostafa Benramel cite le cas de Kénitra, qu’il décrit comme un véritable laboratoire de démocratie participative. L’Association du Phare écologique y a initié plusieurs pétitions : faire de la ville un modèle durable à l’horizon 2028, créer un centre d’éducation environnementale, mettre en place un portail numérique d’indicateurs climatiques, ou encore développer des projets de tri sélectif et d’aménagement d’espaces verts.
Mais l’innovation la plus marquante réside dans la préparation d’une pétition nationale numérique visant à permettre l’injection du surplus d’énergie solaire domestique dans le réseau électrique basse tension. Cette initiative illustre, aux yeux de Mostafa Benramel, la volonté de la société civile de contribuer concrètement à la trajectoire de neutralité carbone à l’horizon 2050. «C’est une initiative essentielle pour permettre au Maroc d’avancer vers la neutralité carbone à l’horizon 2050».
La jeunesse comme catalyseur
À côté de ces démarches institutionnelles, M. Benramel insiste sur le rôle moteur des jeunes générations. Leur force réside dans la maîtrise des outils numériques et de la communication visuelle : campagnes sur les réseaux sociaux, infographies, vidéos courtes et formats viraux. «Les jeunes mobilisent par l’image, les formats courts et la circulation virale des messages», observe-t-il. Par leur créativité et leur rapidité d’action, les mouvements de jeunesse renouvellent les modes de plaidoyer et élargissent la mobilisation autour des enjeux environnementaux, en entraînant d’autres catégories de citoyens dans leur sillage.
Le climat, une urgence qui reconfigure les priorités
Les mutations climatiques récentes ont, selon M. Benramel, profondément reconfiguré l’ordre des priorités. Le Maroc est passé d’un relatif confort hydrique à une situation de stress hydrique sévère. Cette crise impose des solutions nouvelles : dessalement de l’eau de mer, réutilisation des eaux usées pour l’irrigation des espaces verts et développement de trames vertes urbaines contribuant à la réduction des émissions comme à l’amélioration de la qualité de vie.
Les conséquences se font déjà sentir : les réserves naturelles de Sidi Boughaba, de Khénifiss à Tan-Tan et d’Afennourir à Ifrane sont sous pression, tandis que les fleuves Sebou, Oum Errabiâ et Moulouya connaissent des épisodes d’assèchement ou de pollution alarmants. En parallèle, la société civile, note-t-il, s’engage dans la lutte contre la pollution plastique, souvent en partenariat avec des ONG internationales telles que Greenpeace, à travers des campagnes de sensibilisation et des opérations de nettoyage, notamment sur la plage de Mehdia.
Malgré l’ampleur de ces défis, Mostafa Benramel demeure optimiste. Il considère que les politiques publiques, conjuguées à l’implication croissante des associations et à une conscience citoyenne plus affirmée, produisent déjà des résultats tangibles. «La situation est meilleure qu’il y a trois ans, l’enjeu désormais est de convertir l’énergie civique en leviers durables de gouvernance environnementale», conclut l’expert.