À la
Faculté de médecine et de pharmacie de Casablanca, l’atmosphère est lourde en cette journée ensoleillé du mois de mai. Le malaise est palpable et il ne cesse de gagner du terrain au fil des jours, silencieusement et sournoisement. Les étudiants, d’ordinaire disciplinés et peu frondeurs, n’hésitent plus à dire leur amertume et leur colère. Ils ont le sentiment d’être abandonnés, livrés à eux-mêmes. Plusieurs ont déjà baissé les bras, fatigués par «un système qui semble les ignorer». C’est le
cas d’Ayoub, étudiant en troisième année, qui confie avec une lassitude résignée : «Nous sommes délaissés et franchement je n’en peux plus. Je regrette d’avoir choisi cette voie». Comme lui, beaucoup dénoncent un manque cruel d’encadrement, des conditions d’apprentissage insuffisantes et une formation déconnectée des réalités du terrain.
De son côté, Leïla, étudiante en deuxième année, préfère ne pas céder au désespoir, même si elle reconnaît que ce qu’elle vit «ne correspond pas à l’idée qu’elle se faisait de la
formation médicale». «Je n’abandonnerai pas les études que j’ai choisies par conviction. Mais je refuse de rester là où le manque d’encadrement et de moyens pédagogiques entrave notre apprentissage et mon épanouissement». Leïla n’exclut pas l’exil pour pouvoir avoir une formation plus solide et à la hauteur de ses ambitions. Son choix illustre un phénomène confirmé par une enquête informelle menée en 2021 auprès de 251 étudiants en dernière année à Casablanca. Plus de 70% d’entre eux déclaraient envisager de quitter le pays à l'issue de leurs études, motivés principalement par la recherche d’une formation meilleure et capable de mieux les préparer à affronter les défis de la médecine moderne.
Le
cas des étudiants de la Faculté de médecine de Casablanca n’est pas une exception. À Rabat, Tanger et Oujda, les mouvements de protestation des étudiants sont de plus en plus fréquents. Ces derniers, excédés, dénoncent notamment des conditions de formation et de stages jugées «approximatives», voire «inadéquates». Ils regrettent également «l’absence d’une vision claire» s’agissant de leur cursus et des références pédagogiques.
La
colère des étudiants avait atteint son paroxysme en 2023 lorsqu’ils ont boycotté les études pendant près d’une année, de décembre 2023 à novembre 2024. Dans toutes les facultés, ils avaient mené une grève d’une ampleur inédite pour protester contre une réforme réduisant la durée des études de sept à six ans, jugée insuffisante pour garantir la qualité de la formation. Mais au-delà de la durée d’études, ils avaient dénoncé surtout
l’absence d’infrastructures adéquates et d’un accompagnement pédagogiques approprié. Cette mobilisation avait culminé avec
plusieurs manifestations nationales, dont la célèbre «Marche de la colère» devant le Parlement en juillet 2024. Par chance, l’accord signé en novembre 2024 sous la houlette du
Médiateur du Royaume avait permis la reprise des activités, sachant que toutes les revendications ne sont pas encore satisfaites. De guerre lasse, les étudiants ont jeté du lest. Le bras de fer engagé avec le ministère de l’Enseignement supérieur pouvait coûter cher à des centaines d’étudiants. Les esprits se sont calmés mais les séquelles sont toujours là et l’amertume de cette lutte perdu est toujours vivace.
C’est dire que la trêve est fragile et que l’accord conclu n’a pas réussi à installer durablement un climat propice à une formation de qualité. En effet, beaucoup d’étudiants continuent à dénoncer la dégradation des conditions de formation aussi bien sur le plan des moyens que de
l’encadrement pédagogique. Ils appellent à repenser en profondeur un modèle de formation «en crise et incapable de doter les facultés des moyens et des infrastructures nécessaires pour assurer un enseignement au diapason des standards de qualité».
Des points de vue contrastés
Mais qu’en pensent les autres acteurs de la formation médicale : professeurs, médecins et experts en santé ? Les avis recueillis ne sont pas convergents, ils sont même contradictoires parfois. Le professeur et économiste de la santé Jaafar Heikel défend la qualité de la formation médicale au Maroc. Il en veut pour preuve les médecins marocains qui brillent à l’étranger. «Des milliers de médecins marocains exercent hors du pays, ce qui prouve que la formation tient la route», affirme-t-il, tout en reconnaissant que tout n’est pas parfait, «comme dans tous les pays d’ailleurs». Mais cet indicateur est-il suffisant pour conclure à la bonne santé de la formation médicale ? La question mérite d’être posée. En tout cas, le président de la Société marocaine des sciences médicales, Dr Saïd Afif, semble partager le raisonnement de Jaafar Heikel. Il préfère voir «le verre à moitié plein», en soulignant les efforts en cours pour améliorer la qualité.
Mais cet optimisme est nuancé par un médecin de renom, ayant requis l’anonymat. Selon lui, si les diplômés marocains sont aujourd’hui reconnus et prisés à l’étranger, il faudra attendre six à sept ans (le temps que la réforme se déploie, NDLR) pour voir si cela va continuer. Et d’ajouter : «Ce n’est pas parce que certains réussissent à l’étranger qu’il faut ignorer les failles structurelles du système». Pour lui, il ne sert à rien de se voiler la face : la qualité de la formation est en dégradation, et il faut cesser de chercher à «cacher le soleil avec un tamis». Plus que de simples divergences en termes d’appréciation, les avis contrastés des médecins et professionnels mettent en lumière une vérité crue : pour la grande majorité, le système de formation médicale ne fait plus l’unanimité, peine à concilier ses ambitions académiques avec les exigences concrètes du terrain. Pour en avoir le cœur net, il est indispensable de mener une analyse approfondie afin d’identifier les véritables failles, en procédant à un examen minutieux du système de formation dans ses volets académique et pratique ainsi qu’en termes de gouvernance plus globalement.
La formation théorique : entre amphithéâtre saturé et «prési-distanciel» imposé
S’agissant de la formation théorique, un premier point fait l’unanimité : les enseignants sont compétents et qualifiés. Pourtant, cette qualité pédagogique se heurte à un obstacle majeur et récurrent : le surpeuplement des amphithéâtres. Le nombre de places dans les facultés de médecine, pharmacie et médecine dentaire a connu une hausse spectaculaire de 88% entre 2019 et 2024, selon le ministre de la Santé, Amine Tahraoui, qui s’exprimait à la Chambre des conseillers en décembre 2024. Cette augmentation illustre les efforts du gouvernement pour pallier la pénurie chronique de professionnels de santé, à travers notamment la révision du seuil d’accès aux études médicales. Mais ces efforts ont-ils été accompagnés par le déploiement des moyens nécessaires ? D’après nos sources, cette progression rapide n’a pas été suffisamment préparée en amont. «Certes, des mesures ont été prises, comme la multiplication du nombre de facultés, mais sur le plan logistique et en termes de ressources humaines, ce n’est pas la même cadence. Il faudra encore de nombreuses années pour adapter les moyens aux besoins», explique un professionnel du secteur sous couvert d’anonymat.
En attendant que les choses s’arrangent, déplore-t-il, c’est toute une génération qui est sacrifiée. Pour étayer ses propos, notre interlocuteur cite l’exemple de la Faculté de médecine de Casablanca où un amphithéâtre qui accueillait près de 170 étudiants dans le début des années 2000 doit aujourd’hui accueillir près de 600 aspirants médecins. Une telle surcharge contraint la majorité des étudiants à suivre les cours debout, dans un espace restreint, ce qui compromet gravement la qualité de leur apprentissage. Pour remédier à cette situation, une solution temporaire, dite de «dépannage», a été mise en œuvre : le recours à un «présentiel dégradé» ou «prési-distanciel», qui consiste à déplacer une partie des étudiants vers un second amphithéâtre où les cours sont retransmis par visioconférence. Si cette mesure permet dans une certaine mesure à désengorger les locaux, elle fait l’objet néanmoins de nombreuses critiques. En effet, bien que physiquement présents sur le campus, ces étudiants perdent la proximité avec leurs enseignants ainsi que l’interaction directe, indispensables à une pédagogie efficace. Comme le souligne un de nos témoins, «dans une discipline aussi exigeante que la médecine, où la compréhension approfondie et la discussion de cas pratiques sont fondamentales, ce mode d’enseignement fragmente le lien professeur-étudiant, au détriment de la qualité de la formation».
Mais il faut bien se garder de généraliser. Toutes les facultés ne sont pas logées à la même enseigne. Certaines possèdent des infrastructures plutôt bonnes. À ce propos, Youssef Tabali, médecin interne, affirme que la majorité des facultés marocaines disposent d’installations globalement satisfaisantes, même si la situation reste différente d’un cas à l’autre. «Certaines facultés, notamment les plus récentes, manquent encore de locaux appropriés. Certaines doivent même assurer leurs cours dans des établissements prêtés, ce qui complique la tâche des étudiants comme des enseignants», précise-t-il. D’ailleurs, les étudiants contactés par «Le Matin» confirment vivre au quotidien des difficultés liées aux «conditions d’apprentissage difficiles». Pour surmonter ces contraintes, ils se tournent vers les outils numériques. En effet, grâce à un accès facilité à des ressources en ligne – cours, vidéos, supports interactifs – ils parviennent à approfondir leurs connaissances et à compenser, ne serait-ce que partiellement, leur lacune en matière d’apprentissage. Sauf que cette solution – bien que pratique – n’est valable que pour le volet théorique. Pour le volet pratique, c’est une autre paire de manches. Et c’est précisément là que le bât blesse.
Former des praticiens... sans pratique, le paradoxe de la réforme
Quand on aborde la «dégradation» de la formation pratique en médecine, c’est souvent la réduction de la durée des études, passée de sept à six ans, qui est mise à l’index. Ce sujet, très polémique depuis plusieurs années, divise profondément les acteurs du secteur. D’un côté, les étudiants, soutenus par certains enseignants, dénoncent l’impact négatif de cette décision – prise dans l’urgence – qui impacte négativement selon eux leur formation pratique. Mais, de l’autre, certains professionnels de santé relativisent l’importance de la durée de formation, partant du principe que le plus important est d’assurer un encadrement de qualité pendant les stages. Sauf que ce n’est pas automatique puisque ce raisonnement n’est valable que sous certaines conditions.
Plusieurs sources affirment qu’alors qu’un professeur devait auparavant superviser moins d’une vingtaine d’étudiants, il en encadre aujourd’hui une quarantaine, sans que les conditions matérielles ou humaines ne se soient adaptées à cette nouvelle situation, particulièrement dans les Centres hospitaliers universitaires (CHU). Et cette surcharge a indéniablement des conséquences : elle restreint drastiquement les échanges personnalisés entre enseignants et étudiants, entravent la possibilité d’avoir des questions interactives et rend difficile le suivi individuel, pourtant indispensable pour une formation de qualité, comme celles qui doit être dispensée aux futurs médecins.
Plus grave encore, insistent nos sources, la formation pratique implique le contact avec des patients réels. Or compte tenu des sureffectifs, ces derniers refusent qu’un grand nombre d’étudiants soit présent à leur chevet lors des consultations, ce qui crée parfois des tensions difficilement gérables. Nos sources soulignent que ces conditions affectent particulièrement la formation dans les services critiques, tels que la chirurgie ou l’anesthésie-réanimation, où les contraintes techniques et la confidentialité imposent de limiter rigoureusement le nombre des étudiants stagiaires. Bien que la durée moyenne des stages y soit d’environ de deux mois, la capacité d’accueil en salle opératoire reste très limitée – seules deux à trois personnes peuvent y assister en même temps. En conséquence, «chaque étudiant bénéficie en moyenne de seulement deux à trois jours d’immersion effective en salle d’opération sur la totalité du stage», révèle un spécialiste contacté par nos soins. Face à cette réalité, on peut légitimement s’interroger : un médecin, et plus particulièrement un chirurgien, qui ne se sera familiarisé que très peu avec le bloc opératoire durant sa formation, sera-t-il en mesure de prendre des responsabilités dans des conditions réelles ? comment combler les lacunes qu’il aura cumulées ? et ne vaudrait-il pas mieux allonger la durée de formation ?
Étant donné la place centrale de la pratique clinique et de l’exercice sur le terrain dans la formation médicale, une solution alternative est envisagée pour alleger la pression sur les places disponibles. Le ministère de tutelle porte aujourd’hui un intérêt croissant à l’intégration de la simulation comme outil pédagogique. Cette méthode permet de reproduire des situations cliniques complexes dans un environnement contrôlé, offrant aux étudiants la possibilité de s’exercer sans risque pour les patients. Mais d’ores et déjà un premier obstacle se dresse : «le coût élevé des équipements et la nécessité de maintenir à jour ces technologies. De plus, la simulation ne peut pas totalement remplacer l’expérience réelle, notamment en termes d’imprévisibilité et de dynamique humaine», relève notre interlocuteur.
Quoi qu’il en soit, les étudiants estiment que leurs professeurs font de leur mieux pour les accompagner, malgré une surcharge évidente de travail. Mais même avec toute la bonne volonté du monde, cette disponibilité ne permet pas de gérer durablement ce problème structurel, d’autant plus que le nombre d’enseignants tend à diminuer, mettant en péril l’avenir de l’encadrement pratique en médecine. En effet, alors que la demande d’accompagnement individuel ne cesse d’augmenter, le corps professoral perd constamment ses éléments qui ne sont guère remplacés.
Le corps professoral, vers une diminution inquiétante ?
Paradoxalement, si le nombre d’étudiants en médecine ne cesse de croître, le corps professoral ne suit pas la même évolution. Nos sources tirent la sonnette d’alarme : outre les départs à la retraite et les démissions – deux tendances étrangement sous-estimées –, un nombre considérable de professeurs est nommé à des postes de direction dans les Centres hospitaliers provinciaux (CHP) ou régionaux (CHR). En accédant à ces postes de responsabilité administrative, ces enseignants se transforment progressivement en gestionnaires, créant ainsi un véritable vide dans l’encadrement pédagogique, et fragilisant la qualité de l’apprentissage. Les étudiants, témoins et victimes de cette réalité, ne cachent pas leur frustration. L’un d’eux confie : «Le manque de professeurs est de plus en plus flagrant. Ceux qui sont présents sont souvent débordés ou absents. Pour nous, cela signifie moins de temps pour poser des questions, moins de suivi personnalisé, et donc une formation pratique incomplète». Face à ce constat, et au-delà des impératifs d’une formation de qualité, c’est toute la stratégie gouvernementale en matière de santé et de protection sociale qui semble compromise.
Dans de telles conditions de formation, non seulement il est difficile d’attirer les meilleurs étudiants, mais il n’est pas sûr qu'ils soient préparés convenablement à exercer en tant que médecins. D’après nos sources, la vision du gouvernement, la quantité prime la qualité. Un «pari risqué, qui pourrait remettre en question jusqu’au statut du médecin et sa place dans le système et la société dans sa globalité !»
Peut-on encore se rattraper ?
Nonobstant ces défis, certains professionnels du secteur, à l’image du Dr Tayeb Hamdi, voit dans la situation actuelle une véritable opportunité pour repenser en profondeur la formation médicale au Maroc, «à condition que les autorités fassent preuve de courage, d’innovation et d’audace». Ce médecin chercheur en systèmes de santé insiste particulièrement sur la nécessité d’élaborer un plan national réaliste, centré avant tout sur la qualité de la formation plutôt que sur la simple augmentation des effectifs. Les partenariats public-privé pourraient être mis à contribution dans ce sens afin d’élargir les possibilités de stages et d’améliorer les conditions d’encadrement. Tout comme M. Hamdi, des experts estiment qu’il est primordial de miser sur la valorisation des carrières médicales, en offrant des perspectives motivantes aux enseignants et aux praticiens impliqués dans la formation, afin de limiter les départs et fidéliser le corps professoral. Il y va de la qualité de formation des futurs médecins qui ne demandent qu’un environnement propice pour libérer toute leur énergie et montrer toute l’étendue de leur talent et de leur passion. Plus qu’un métier, la médecine est un sacerdoce. Mais si les conditions d’apprentissage et d’exercice ne sont pas à la hauteur, cette profession noble perdra de son attrait et de son lustre. Et ce sont les générations futures qui paieront le prix des hôpitaux en sous-effectifs et des déserts médicaux.
Entretien avec le professeur de médecine, consultant senior auprès d’organismes internationaux & économiste de la santé
Jaafar Heikel : «La gouvernance et le financement du système de santé doivent être repensés pour mieux valoriser les professionnels»
Le Matin : Pensez-vous que le Maroc dispose des ressources nécessaires pour former des médecins compétents, capables de relever les défis actuels du système de santé ?
Jaafar Heikel : De manière générale, la qualité de la formation médicale au Maroc est solide. Notre pays compte environ 30.000 médecins exerçant sur son territoire, tandis que des milliers d’autres travaillent à l’étranger. Cette formation a ainsi non seulement permis d’améliorer la santé des Marocains, mais elle a également renforcé les systèmes de santé dans plusieurs pays comme la France, l’Espagne, la Belgique, le Canada ou encore les États-Unis. Ces médecins jouent par ailleurs un rôle crucial dans la formation des futures générations dans leurs pays d’accueil, ce qui témoigne de la valeur de leur formation. Depuis l’indépendance, le Maroc a manifesté une volonté forte en matière de formation médicale, matérialisée par la création progressive de facultés, notamment à Fès, Oujda, Tanger, Agadir, Laâyoune, Errachidia et Guelmim. Ces initiatives ont été accompagnées d’investissements importants, rendant aujourd’hui les ressources académiques et théoriques largement accessibles à tous les étudiants. Par ailleurs, les enseignants marocains accomplissent un excellent travail. Ayant moi-même été formé dans une faculté marocaine avant de poursuivre ma spécialité à l’étranger, je peux affirmer que nos compétences sont tout à fait comparables à celles de nos collègues internationaux. Cependant, malgré ces acquis solides, des axes d’amélioration restent nécessaires, notamment en ce qui concerne les moyens techniques et, surtout, la qualité des stages pratiques en milieu hospitalier. En effet, la qualité des stages et l’encadrement sur le terrain doivent être renforcés, notamment par la présence de maîtres de stage compétents et la mise en place d’un suivi méthodologique adapté. Par ailleurs, les places disponibles dans les structures hospitalières publiques se font rares, ce qui oblige à envisager des solutions innovantes.
La réduction de la durée des études médicales à six ans a-t-elle un impact sur la qualité de la formation ? À mon avis, la durée théorique des études n’est pas en soi un problème. En effet, en six ans, il est tout à fait possible de former des médecins compétents. Néanmoins, le véritable enjeu réside dans la formation pratique, qui doit occuper une place suffisante une fois les études théoriques achevées. Ainsi, c’est aux autorités compétentes de définir le temps nécessaire pour cette formation pratique, afin de garantir un apprentissage complet. Un médecin doit pouvoir exercer, rencontrer diverses situations cliniques, diagnostiquer, traiter et ajuster ses décisions au fil de l’expérience. Comme le dit le proverbe, «c’est en forgeant qu’on devient forgeron», ce qui illustre bien l’importance de la pratique dans la formation médicale. Par ailleurs, la réforme doit impérativement intégrer les nouvelles technologies, notamment l’intelligence artificielle, pour accompagner le diagnostic et faciliter l’accès aux soins. Ces outils ne remplaceront pas les médecins, mais les aideront à prendre des décisions rapides et précises, tout en assurant un parcours de soins coordonné entre secteur public et privé, spécialistes et généralistes. En ce sens, cela contribuera également à réduire les coûts de santé, ce qui est un enjeu majeur.
Quelles solutions concrètes proposeriez-vous pour améliorer durablement la formation médicale au Maroc et restaurer la confiance dans le système ? Pour améliorer durablement la formation médicale, il est essentiel d’innover, notamment en construisant un partenariat public-privé solide et intelligent. Ce type de collaboration permettra d’assurer aux futurs médecins une formation pratique de qualité. Grâce au secteur privé et à des fondations telles que la Fondation Mohammed VI des sciences et de la santé, il est désormais possible de créer de nouvelles places pour les stages pratiques, ce qui représente une avancée significative. Il est aussi primordial de faciliter la mobilité des médecins entre les régions. Car aujourd’hui, un médecin exerçant dans une région a peu de possibilités de pratiquer ailleurs, ce qui constitue un frein important à la répartition équitable des compétences. Une mobilité encadrée, par exemple via une mise à disposition temporaire de spécialistes, permettrait de mieux répondre aux besoins locaux, tout en assurant une meilleure répartition des ressources humaines. Cette démarche s’inscrit pleinement dans la vision de Sa Majesté le Roi, qui vise une souveraineté sanitaire garantissant que chaque région dispose des ressources humaines et des infrastructures nécessaires. Ainsi, la mobilité doit être régulée par des textes adaptés afin de réduire les disparités territoriales et d’améliorer l’accès aux soins pour tous.
Il est tout aussi crucial de limiter les départs à l’étranger des médecins tout en facilitant le retour de ceux déjà partis. Pour ce faire, il convient de comprendre les causes de ces départs et de lever les obstacles rencontrés, ce qui constitue un enjeu majeur pour le système de santé national. Enfin, la gouvernance et le financement du système de santé doivent être repensés pour mieux valoriser les professionnels, en leur fournissant les moyens nécessaires pour répondre efficacement aux besoins des citoyens. À ce titre, je suis convaincu que nous avons déjà accompli des progrès notables, notamment avec l’augmentation du nombre de facultés publiques, privées, et celles gérées par des fondations. Le rôle croissant du secteur privé dans la formation pratique constitue une avancée fondamentale pour l’avenir de la médecine marocaine. Il est donc crucial que ce parcours, ainsi que la refonte globale du système de santé, répondent pleinement aux objectifs fixés par Sa Majesté : garantir une souveraineté sanitaire et un niveau de santé conforme aux standards internationaux.
Youssef Tabali, médecin interne au CHP El Zemmouri-Kénitra : « Le principal défi réside dans la dimension pratique de la formation »
« On ne peut en aucun cas remettre en question la qualité de la formation de nos médecins. Bien au contraire, je peux affirmer avec conviction et par expérience que leur compétence est indéniable. Cela dit, malgré les efforts et les investissements importants déployés au Maroc pour améliorer la formation médicale, le principal défi demeure dans la dimension pratique de cette formation » souligne Youssef Tabali, médecin interne au CHP El Zemmouri-Kénitra.
En effet, ce professionnel estime que « la formation médicale est loin d’être moderne, dans le sens où la pratique devrait être encadrée, structurée et pensée en fonction de l’évolution progressive des compétences à acquérir ». Selon M. Youssef Tabali, les conditions matérielles sont souvent réunies, « et nous avons la chance de bénéficier des compétences de professeurs et spécialistes de très haut niveau. Mais, la transmission effective de ce savoir demeure la vraie difficulté ». Trop souvent, la formation repose sur un modèle implicite du type : « forme-toi en travaillant », sans encadrement pédagogique formel, déplore-t-il. Cette situation place les résidents dans une position délicate, car ils doivent, ajoute notre interlocuteur, à la fois assurer leurs responsabilités cliniques et continuer à se former. « Ce double rôle crée une pression importante, susceptible de nuire à la fois à leur apprentissage et à la qualité des soins offerts aux patients. Il est donc essentiel de prendre en compte cette réalité pour améliorer durablement la formation pratique ».
Par ailleurs, Dr Tabali tient à relever que le ministère de la santé commence à accorder une importance croissante à la simulation médicale à telle enseigne qu’aujourd’hui presque toutes les facultés de médecine disposent de centres de simulation, ce qui permet de renforcer un principe fondamental : « le premier geste ne doit jamais se faire sur un vrai patient. »
Cette évolution, précise Dr Tabali est majeure et bénéfique, non seulement pour les étudiants et internes, mais aussi pour les résidents. Pour que ce dispositif soit pleinement efficace, il faut cependant mettre en place un système pédagogique clair et structuré, souligne-t-il. Ce système devrait s’appuyer sur des bases théoriques solides, suivies de simulations proches de la réalité, avant d’intégrer un apprentissage progressif en milieu hospitalier, avec :
• Des objectifs définis pour chaque stage,
• Une montée en compétences encadrée,
• Une évaluation constructive, sans pression inutile ni toxicité,
• La généralisation de ce modèle à tous les services hospitaliers et CHU du pays.
« Si ce modèle est appliqué avec sérieux, nous pourrons enfin disposer d’un système de formation médicale digne des standards internationaux » conclut Youssef Tabali