Le
conflit israélo-palestinien revient avec une violence inédite sur la scène internationale depuis octobre 2023, mettant en lumière de manière cruelle les paradoxes et l’hypocrisie qui sous-tendent le discours des acteurs géopolitiques. Sur le plateau de
l’émission «L’Info en Face» du 26 mai, diffusée sur Matin TV,
Ali Moutaïb, spécialiste des relations internationales et de la gestion des risques a décortiqué la désarticulation des postures occidentales, la montée en scène d’acteurs régionaux opportunistes et l’impuissance affichée des institutions internationales face au drame qui se produit à Gaza. À mesure que les bombardements s’abattent sur cette enclave, les valeurs morales et humaines dont l’Occident se prévaut sont battues en brèche, souligne l’invité de
Rachid Hallaouy.
Un conflit qui fait fi de la morale
Pour étayer ses propos, Ali Moutaïb établit un parallèle entre le conflit russo-ukrainien et la tragédie actuelle qui ravage la bande de Gaza. Il rappelle que, lors de l’éclatement de la guerre en Ukraine, l’Occident a su forger une posture politique et morale d’une rare unité. Cette posture s’est traduite par un soutien sans faille à Kiev, porté par un récit clair et structuré, fondé sur la condamnation sans ambiguïté de l’agression russe et la légitimation pleine et entière de la résistance ukrainienne.
Or, poursuit-il, dans le contexte de la guerre à Gaza, la communauté internationale n’a pas fait montre de la même unité et ni de la même mobilisation empressée. Pourtant, ce qui se passe à Gaza n’est autre qu’un massacre, martèle sans détour Ali Moutaïb : des dizaines de milliers de civils exterminés, une destruction méthodique et systématique des infrastructures vitales (hôpitaux, établissements scolaires, habitations), le tout dans un contexte de blocus impitoyable privant la population des ressources les plus fondamentales. Pour lui cette escalade dramatique dans le conflit israélo-palestinien confirme le double standard qui régit les relations internationales.
Une faillite morale aux conséquences graves
Cette approche de deux poids deux mesures qui confère à l’Ukraine un consensus moral et politique robuste, mais dont la bande de Gaza se trouve cruellement dépourvue, révèle une fracture profonde au sein de la communauté internationale. Ali Moutaïb estime que cette incohérence morale et juridique manifeste ne sera pas sans conséquence : elle favorise la normalisation d’un ordre mondial où le plus fort agit sans foi ni loi et en toute impunité.
Pour
l’invité de «L’Info en Face», il faut se rendre à une évidence implacable : dans les relations internationales, les intérêts économiques et géostratégiques priment souvent les considérations morales. Il attire l’attention à ce titre sur un détail révélateur : «30% des échanges commerciaux
israéliens s’effectuent avec l’Union européenne», et «l’Allemagne plus spécifiquement assure la fourniture d’environ un tiers de l’arsenal militaire israélien». Cette configuration engendre une «interdépendance économique structurelle» qui limite drastiquement la possibilité d’adopter une politique coercitive à l’égard d’Israël, regrette M. Moutaïb.
L’efficacité incertaine des sanctions
Interrogé sur l’efficacité des sanctions internationales évoquées lors de la réunion de Madrid (où Européens et Arabes se sont réunis il y a quelques jours pour faire pression sur Israël), Ali Moutaïb s’est montré sceptique quant à la portée réelle d’une quelconque mesure contre l’État hébreu. «Les sanctions peuvent être votées, mais leur application effective relève d’un tout autre défi», explique-t-il, mettant en lumière les jeux complexes de pression et de lobbying qui traversent la scène internationale. Pour illustrer son raisonnement, l’expert évoque un paradoxe marquant : «La plainte déposée auprès de la Cour pénale internationale se heurte à une réalité singulière, puisque le président même de cette institution est lui-même sous sanction.»
Ce constat nourrit donc les doutes sur la capacité des sanctions à produire un impact concret et sur la capacité de la communauté internationale faire régner les règles de droit dans le jeu des relations entre États. Pour M. Moutaïb la posture européenne, qu’il décrit comme prudente et marquée par une certaine retenue face à la gravité de la situation dans les territoires occupés, contribue en quelque sorte à encourager l’impunité. Toujours est-il que des voix s’élèvent de plus en plus dénonçant une passivité coupable, ce qui ouvre la voie à une lueur d’espoir quant à la condamnation morale de l’État hébreu, estime-t-il.
Les États-Unis, acteur central et ambivalent
Dans le même ordre d’idées, Ali Moutaïb souligne que la clef de toute recomposition géopolitique au Proche-Orient demeure à Washington, car malgré les tensions apparentes entre l’administration Trump et le gouvernement Netanyahou, les États-Unis restent le principal garant du soutien politique, militaire et diplomatique à Israël. Une relation structurelle fondée sur des intérêts stratégiques convergents qui limite, selon lui, toute capacité réelle de pression sur Tel-Aviv. D’autant plus que les efforts diplomatiques de l’Union européenne restent quasiment sans effet, puisque cette Union demeure un ensemble fragmentée dont les intérêts divergents entravent la cohésion stratégique. Et d’ajouter que «même lorsqu’une décision commune est adoptée au niveau européen, la voix décisive reste celle des États-Unis, première puissance mondiale».
Est-ce à dire que toute solution en l’occurrence est impossible ? À cette question, difficile de répondre, car, selon l’expert, le règlement du conflit israélo-palestinien dépend de l’évolution des gouvernements en place : «Franchement, on ne peut pas se prononcer», a-t-il dit, affirmant que «la solution des accords d'Oslo, la solution à deux États, ont suscité un moment d’espoir, mais leur réalisation reste tributaire d’un changement politique profond à l’échelle de la région et d’une volonté authentique des deux parties à s’engager sincèrement dans un processus de paix». Tout à sa lucidité, il décrit la situation comme un «jeu d’échecs complexe, à plusieurs niveaux, où les espoirs doivent être tempérés par une compréhension fine des forces en présence et de leurs intérêts divergents».
Situation humanitaire dramatique
Ali Moutaïb alerte sur l’aggravation dramatique de la crise humanitaire dans la bande de Gaza, qu’il qualifie de «situation extrêmement préoccupante». Il dénonce le durcissement du conflit ces quinze derniers jours, notamment les conséquences du blocus généralisé imposé par le gouvernement Netanyahu, à l’origine d’une malnutrition massive et de dizaines de milliers de cas humains alarmants. «La famine et la malnutrition touchent des dizaines de milliers de personnes», souligne-t-il, insistant sur l’urgence absolue d’une réaction concertée. «Face à cette catastrophe humanitaire, tout leadership politique ou diplomatique, quelle que soit son origine, doit être mis à contribution pour faire évoluer la situation.» Pour Ali Moutaïb, la priorité demeure claire : «Un cessez-le-feu immédiat, accompagné de l’acheminement sans entrave de l’aide humanitaire, constitue la seule voie pour atténuer la catastrophe en cours.»