Brahim Mokhliss
25 Octobre 2024
À 18:30
Avec l'émergence de nouvelles puissances et la reconfiguration des rapports de force internationaux, le monde connaît des mutations profondes chamboulant l’ordre géopolitique en place. Dans ce contexte, le
Forum de l'Institut marocain des relations internationales (IMRI) a réuni, les 25 et 26 octobre à
Casablanca, un panel d'experts de premier plan pour décrypter ces changements majeurs.
Lire : Nouvel ordre mondial : quel positionnement pour l’Afrique et le Maroc ?Les discussions ont mis en lumière le basculement vers un monde multipolaire, où le
Maroc, sous la conduite de
Sa Majesté le Roi Mohammed VI, consolide son positionnement stratégique. De l'ascension des
BRICS à l'émergence du Sud Global, en passant par les tensions sino-américaines et le concept de multi-alignement, les experts ont dressé un tableau exhaustif des nouveaux paradigmes qui façonnent les relations internationales. Ce forum, qui célèbre le 20e anniversaire de l'IMRI, a permis ainsi une meilleure compréhension des convulsions multiformes que vit le monde ainsi que les reconfigurations géopolitiques majeures qui se dessinent. Par là même, il a offert une plateforme de réflexion sur les enjeux et les opportunités qui se présentent pour le Royaume et le continent africain.
La fin de l'hégémonie occidentale et l'émergence d'un monde multipolaire
«Le monde a radicalement changé», affirme d'emblée
Jawad Kerdoudi, président de l'IMRI. Selon lui, nous sommes passés d'un schéma bipolaire dominé par les
États-Unis et l'
URSS à une configuration multipolaire marquée par l'ascension de nouvelles puissances, notamment la
Chine, l'
Inde et le
Brésil. Cette transformation fondamentale du paysage géopolitique mondial a été d’ailleurs au cœur des analyses présentées lors du forum.
Abdelatif Fekak, professeur à l'
ISCAE et professeur visiteur à l'
université de Georgetown, a souligné que cette reconfiguration s'articulait autour de trois blocs majeurs : le
G7, les
BRICS et le
Sud Global. «Ces trois blocs mondiaux, qui représentent des visions et des intérêts souvent divergents, créent des tensions et des opportunités pour les leaders mondiaux» a-t-il expliqué, tout en notant que cette nouvelle dynamique défiait les structures démocratiques traditionnelles.
Pour
Ali Lahrichi, Doyen de l’
Institut des sciences politiques juridiques et sociales de l’université Mundiapolis, cette évolution traduit un «basculement du monde» qui se manifeste à travers des changements profonds dans les rapports de force, qu'ils soient militaires, politiques ou économiques. Il a rappelé, à cet égard, que la puissance ne se limitait plus à la seule dimension militaire, mais englobait désormais des aspects économiques, démographiques, technologiques et diplomatiques.
Le multi-alignement : une nouvelle approche diplomatique
Hassan Saoudi, chercheur et administrateur à l’IMRI (ancien Colonel de la
Gendarmerie Royale), a apporté pour sa part un éclairage particulier sur le concept émergent de multi-alignement, illustré par la doctrine indienne : «Engager l'Amérique, gérer la Chine, cultiver l'
Europe, rassurer la
Russie, attirer les voisins». Cette approche, adoptée par des pays comme l'Inde, la
Turquie, l'
Arabie saoudite et
Singapour, permet, selon l’expert, d'accroître leur rayonnement international tout en refusant la logique des blocs imposée par les grandes puissances. «Le multi-alignement n'est pas simplement une posture diplomatique, c'est une réponse stratégique à un monde caractérisé par la complexité, l'imprévisibilité et l'interdépendance», a analysé le Colonel Saoudi. Cette approche se manifeste concrètement dans la gestion des crises internationales, comme la guerre en Ukraine ou les tensions en Indopacifique.
La rivalité sino-américaine et ses implications mondiales
Le professeur Abdelghani Youmni, économiste et rapporteur de la radioscopie du commerce extérieur et du développement durable de l’Assemblée des Français de l’étranger, a livré une analyse approfondie de la rivalité entre la Chine et les États-Unis, notamment dans le domaine technologique. Il a mis en lumière la stratégie américaine de découplage technologique vis-à-vis de la Chine, qu'il qualifie de «véritable guerre froide commerciale». Les chiffres qu'il a présentés sont éloquents : la Chine abrite des pans importants des chaînes d'approvisionnement en composants électroniques et détient 45% des réserves mondiales en métaux rares.
«Le découplage États-Unis/Chine est devenu impossible à cause de la parfaite intégration des deux économies», a-t-il conclu, citant des échanges commerciaux qui ont atteint 760,9 milliards de dollars en 2023, représentant 3% du PIB américain et 4,28% du PIB chinois. Cette interdépendance économique complexifie toute tentative de séparation nette entre les deux puissances.
Le Maroc dans le nouvel échiquier mondial : une diplomatie visionnaire
Dans ce contexte de reconfiguration mondiale, le Maroc, sous la conduite de Sa Majesté le Roi Mohammed VI, a su adopter une diplomatie transversale et équilibrée qui renforce sa position sur l'échiquier international. Les participants au forum ont souligné à cet égard la pertinence de cette approche, notamment à travers l'Initiative atlantique du Souverain et la politique d'ouverture vers l'Afrique.
«Le Royaume a eu depuis longtemps la clairvoyance de garder des relations distinguées avec des pays comme la Chine et la Russie», a souligné Jawad Kerdoudi, tout en rappelant les positions «sages et équilibrées» du Maroc par rapport aux conflits internationaux. Cette approche diplomatique multidimensionnelle a permis au pays de réaliser des avancées significatives sur la question du Sahara marocain et de renforcer son positionnement régional et international.
De leur côté, les experts participant ont été unanimes à relever que le Maroc, grâce à cette vision stratégique, était bien positionné pour tirer parti des opportunités qu'offre ce nouvel ordre mondial en gestation. C’est justement ce que le Forum de l'IMRI a mis en lumière en relevant la force du Maroc, dont la diplomatie visionnaire et équilibrée lui permet de naviguer avec succès dans les eaux agitées de la géopolitique contemporaine.