Souad Badri
26 Octobre 2025
À 15:31
Au moment où les
territoires marocains se transforment à des rythmes inégaux, la question du développement territorial refait surface avec insistance. Comment réduire les disparités entre régions ? Comment concilier
décentralisation,
durabilité et
équité sociale ? Pour
Nouzha Bouchareb, la réponse ne peut venir que d’une nouvelle vision de la
gouvernance territoriale, centrée sur la cohérence des politiques publiques et la responsabilisation des acteurs locaux. «Le Maroc dispose aujourd’hui de stratégies sectorielles ambitieuses, mais le vrai défi, c’est leur territorialisation», explique-t-elle. «Il faut penser le développement à partir du territoire, pas depuis le centre.»
Une gouvernance territoriale à refonder
Pour Nouzha Bouchareb, le développement territorial ne peut se concevoir sans une refonte en profondeur de la gouvernance locale. Derrière ce mot-clé se cache une exigence : redonner du sens, de la cohérence et de la lisibilité à l’action publique sur le terrain. Car si les régions disposent aujourd’hui de stratégies ambitieuses, elles peinent encore à les traduire en projets concrets, faute d’une articulation claire entre les niveaux de décision. «Nous avons accumulé les plans et les programmes, mais sans réelle cohérence territoriale», déplore l’ancienne ministre. «Ce qu’il faut désormais, c’est une gouvernance capable de relier, d’arbitrer et d’évaluer.» Elle souligne dans ce sens, le besoin urgent d’un nouveau contrat de confiance entre l’État et les collectivités territoriales, fondé sur la responsabilisation et la transparence. L’objectif : sortir d’un modèle où le centre décide et la périphérie exécute, pour aller vers un système où les territoires conçoivent et portent leurs propres visions de développement.
L'invitée de «L'Info en Face» insiste également sur la clarification des compétences et des moyens. Trop souvent, les collectivités locales reçoivent des missions sans disposer des
ressources humaines ni financières nécessaires pour les accomplir. Cette situation crée des déséquilibres et alimente une dépendance institutionnelle vis-à-vis de l’administration centrale. «La
décentralisation n’a de sens que si elle s’accompagne d’un transfert réel de capacités», affirme-t-elle. «Il faut investir dans les ressources humaines locales, car sans compétences, il n’y a pas de
développement durable.» Dans cette perspective, elle plaide pour la création d’un cadre national de gouvernance territoriale, garantissant une meilleure coordination entre les acteurs – élus, administrations, société civile et secteur privé – afin d’éviter les chevauchements et les doublons. Elle appelle aussi à renforcer les outils d’évaluation et de pilotage, notamment par la
digitalisation et l’interopérabilité des données publiques, qui permettraient de mesurer l’impact des politiques locales et d’ajuster les décisions en temps réel. Enfin, l’ancienne ministre met en garde contre la tentation d’une régionalisation purement administrative : «Le développement territorial, ce n’est pas une affaire de structures, mais de culture. Il faut apprendre à gérer ensemble, dans la confiance et la responsabilité partagée.»
Un développement fondé sur la durabilité et l’équité
Pour Nouzha Bouchareb, penser le développement territorial du XXIe siècle impose d’intégrer les enjeux environnementaux, climatiques et sociaux dans la planification urbaine et rurale. Elle met en avant les opportunités offertes par l’économie verte et bleue, notamment dans les régions du sud et de l’Atlas, capables de devenir de véritables pôles de croissance inclusive. «Le développement territorial ne peut plus se limiter à la construction d’infrastructures», affirme-t-elle. «Il doit garantir la résilience, l’inclusion et la durabilité.» L’ancienne ministre rappelle aussi que la proximité et la participation citoyenne sont des leviers essentiels pour assurer la réussite des projets : «Le citoyen doit redevenir acteur de son territoire.»
Le développement des territoires reste par ailleurs étroitement lié au rythme de digitalisation à tous les niveaux. Nouzha Bouchareb estime en effet qu’il est temps pour le Maroc d’adopter une nouvelle culture de l’évaluation et de la donnée. Elle appelle à une interopérabilité réelle des informations entre institutions, afin de bâtir un pilotage public plus efficace et plus transparent. Dans cette optique, la digitalisation devient un outil stratégique pour renforcer la transparence, accélérer les procédures et améliorer la redevabilité. «Ce n’est pas la carte administrative qui doit guider le développement, mais la carte des besoins réels des citoyens», résume-t-elle.
Du rattrapage à l’anticipation territoriale
Comme pistes de solutions pour accélérer la cadence des changements, Nouzha Bouchareb invite à changer de paradigme : passer d’une logique de rattrapage à une logique d’anticipation territoriale. Pour elle, le Maroc doit apprendre à penser ses territoires non plus en termes de déficit, mais de potentiel, en mobilisant leurs ressources humaines, naturelles et culturelles. Un modèle de développement où chaque région deviendrait un espace d’innovation et de convergence. «Le Maroc doit construire une nouvelle génération de politiques territoriales, capables d’allier vision, équité et efficacité», conclut-elle, soulignant qu’il s’agit là d’un enjeu national autant que sociétal.