Brahim Mokhliss
22 Décembre 2025
À 17:33
La séance d'ouverture du forum «Meet the Lead», tenue les 19 et 20 décembre à Oujda sous le Haut Patronage de Sa Majesté le Roi Mohammed VI, avait planté le décor institutionnel, avec les interventions du ministre de l'Industrie et du commerce et du directeur général de Maroc PME et bien d’autres (lire article sur:www.lematin.ma). Restait à donner chair et substance à cette vision du développement territorial. C'est précisément l'objet des trois conférences qui ont rythmé cette septième édition du forum «Meet the Lead», organisée par la Fondation Startup Grow en partenariat avec la Maison de l'intelligence artificielle et l'Université Mohammed Premier. Face à un auditoire où dominait les jeunes, étudiants, experts, chefs d'entreprise et personnalités de premier plan ont partagé expériences et convictions, dessinant les contours d'un modèle de croissance où l'humain occupe la place centrale.
Le leadership, une construction collective au service du territoire
Le premier panel, consacré à l'innovation numérique, l'éducation et le leadership, a d'emblée posé les termes du débat. Qu'est-ce que le leadership ? Comment se construit-il ? Pour Unielle Oupolo, présidente du Cercle diplomatique, la réponse tient en quelques mots : «Le leadership, c'est se mettre au service. C'est servir et non se servir. Le leadership, c'est penser collectif et penser grand». Cette vision du leadership comme posture de service trouve un écho particulier dans le contexte de la régionalisation avancée. Car diriger un territoire, accompagner son développement, suppose précisément cette capacité à fédérer plutôt qu'à s'imposer. La présidente du Cercle diplomatique a d'ailleurs insisté sur la dimension «expérientielle» de cette compétence : «On ne naît pas leader, on le devient. On approfondit cette vision et on s'y inscrit progressivement, avec les différentes actions sur le terrain, avec les autres».
Mohamed Amin Fatmi, président de la CGEM Oriental, a prolongé cette réflexion en l'ancrant dans la réalité économique régionale. Fort d'une confédération de plus de 900 membres, il a souligné l'importance du dialogue intergénérationnel : «J'ai décidé d'aller à l'université et j'ai enseigné pendant deux semestres pour comprendre les jeunes et les écouter». Une démarche qui l'a conduit à identifier un enjeu majeur : les soft skills, ces compétences comportementales que l'école n'enseigne pas, mais dont dépend largement la réussite professionnelle. Le président de la CGEM Oriental a également dressé un tableau saisissant de la métamorphose du territoire : «Je me rappelle en 2003, on n'avait rien à Oujda, il n'y avait que de la poussière. Maintenant, regardez, c'est multiplié par dix». Cette transformation, il l'attribue à l'Initiative Royale lancée cette année-là, mais aussi à la volonté des acteurs locaux. Et de lancer un appel aux jeunes entrepreneurs : «Je serais honoré d'avoir une startup de la région avec nous au conseil d'administration de la CGEM nationale».
Rachid Rami, directeur général par intérim du Centre régional d'investissement de l'Oriental, a confirmé ce changement d'échelle : «Autrefois, il y a 5 ou 15 ans, on parlait d'investissements de 10, 20 ou 30 millions de dirhams. Aujourd'hui, on parle de 600 millions d'euros pour une usine de pneus. On parle de 1.500 à 3.500 emplois». Des chiffres qui témoignent de l'attractivité retrouvée d'un territoire longtemps considéré comme périphérique.
Le sport, vecteur d'inclusion et fabrique de valeurs
Le deuxième panel a opéré un changement de registre en abordant la thématique du sport et de l'inclusion sociale. Et c'est un témoignage personnel, celui de Abdelatif Benazzi, ancien capitaine de l'équipe de France de rugby, qui a donné toute sa densité aux échanges. Natif d'Oujda, l'ancien international a retracé un parcours improbable, de l'adolescent complexé au capitaine d'une des meilleures sélections mondiales. «À 14 ans, j'étais grand, très gros, très complexé, très timide et très isolé. On me traitait de "gros”, et c'était une forme de violence», a-t-il confié. Un professeur lui tend alors la main et lui fait découvrir le rugby. «Quand j'ai marqué mon premier essai, tous les élèves de mon collège se sont jetés sur moi, m'ont embrassé et je me suis senti valorisé, utile».
Ce récit illustre la puissance transformatrice du sport. Mais Abdelatif Benazzi a également évoqué les obstacles rencontrés une fois en France : «J'ai découvert autre chose que le sport : la discrimination, le racisme, l'exclusion. Il fallait encaisser, rester fort». La persévérance finit par payer. Il devient capitaine de l'équipe de France, tout en restant fidèle à ses origines. Au-delà du parcours individuel, l'ancien rugbyman a plaidé pour une reconnaissance du sport comme levier de politique publique : «Les études montrent qu'un euro investi dans le sport permet d'économiser douze euros en dépenses de santé». Et d'évoquer les perspectives ouvertes par l'organisation de la Coupe d'Afrique des nations et de la Coupe du monde 2030 : «Le Maroc sera transformé, en infrastructures, mais surtout en héritage humain : formation, emploi, investissement, création d'entreprises».
Marlee Yekeh Boakai, fondatrice de l'initiative African Women and Children Empowerment au Liberia, a élargi la perspective au continent africain. «Le sport est bien plus qu'une plateforme de bien-être physique. Il enseigne l'équité, le travail d'équipe et la résilience», a-t-elle déclaré, avant d'insister sur l'enjeu de l'accès : «Les jeunes filles, les enfants en situation de handicap, les communautés vulnérables doivent être au cœur de nos efforts. L'inclusion n'est pas de la charité. C'est une question de justice».
L'entrepreneuriat, école de la résilience
Jaoued Boussakouran, directeur général d'Apostrophe Influence, a opéré la jonction entre les thématiques du sport et de l'entrepreneuriat. «Le sport a beaucoup de points communs avec l'entrepreneuriat, notamment la résilience, c'est-à-dire la capacité à rebondir après l'échec», a-t-il observé. Fils d'immigrés marocains partis dans les années 1970, il incarne ce mouvement de retour des compétences de la diaspora. «Il se trouve qu'aujourd'hui, plus de cinquante ans après, moi-même, fruit de cette immigration, je reviens ici pour partager avec vous cette conviction : nous vivons un momentum extrêmement important, et l'avenir du développement économique et de l'investissement est ici, dans cette région». Son intervention a particulièrement résonné auprès des jeunes présents lorsqu'il a abordé le syndrome de l'imposteur : «On pense que ce n'est pas notre place, que c'est trop élevé pour nous, que d'autres sont meilleurs que nous. Et effectivement, il y a toujours des personnes meilleures que nous. Mais ce qui fera la différence, au final, c'est la résilience, le travail et la capacité à dépasser les obstacles».
Redouan Dinar, directeur général de Majal Berkane, a traduit ces principes en dispositifs concrets. Sa structure, dédiée au développement local par le digital, dispose d'un incubateur capable d'accueillir plus de 200 startups. Mais c'est sur la formation qu'il a insisté : «On a besoin d'ajouter une partie spécifique, technique, pour répondre à des solutions bien précises. On appelle ça un "centre d'excellence” : une formation de 6 mois, puis intégration dans le monde de l'emploi.» Cette approche pragmatique répond à un constat : le décalage entre les formations académiques et les besoins du marché. «Aujourd'hui, le digital et les nouvelles technologies changent rapidement : si je fais une formation de 5 ans, les technologies changent. Il faut adapter les formations aux besoins», a-t-il souligné, évoquant les partenariats noués avec des géants comme Oracle, HP ou Huawei.
L'économie verte, impératif de compétitivité
Le troisième panel de ce Forum a exploré les enjeux de la transition écologique et de l'innovation durable. Chakib El Oudghiri, directeur de la cimenterie d'Oujda (LafargeHolcim), a livré un témoignage éloquent sur la capacité d'un site industriel à se réinventer. L'usine, opérationnelle depuis 1978, a développé quatre produits bas carbone – une première au Maroc – représentant plus de 60% de sa production totale. Elle a également réussi à remplacer près de 50% de son énergie fossile. «Dans un benchmark à l'échelle mondiale, basé sur des critères techniques, financiers et liés au développement durable, l'usine d'Oujda a été sacrée première usine la plus performante au niveau du groupe», a annoncé son directeur, précisant que la comparaison portait sur une centaine de cimenteries dans le monde. Cette performance, obtenue avec un effectif majoritairement issu de la région, démontre selon lui que l'excellence n'est pas réservée aux territoires historiquement industrialisés. «Ce n'est pas facile, surtout pour une usine qui date de presque 50 ans. Ça reflète un vrai savoir-faire, et c'est un bon exemple pour les jeunes : on ne peut pas dire qu'on ne peut pas atteindre des objectifs. Si on y croit, on peut y arriver».
Saïda Belouali, fondatrice et présidente d'Afriq'AI, a replacé ces enjeux dans une perspective éthique. «La frugalité, c'est l'intelligence du réel. C'est une forme de lucidité : quelles ressources avons-nous ? Et nous devons prendre soin du monde dans lequel nous vivons pour le léguer à ceux qui viennent après», a-t-elle déclaré. L'enseignante-chercheuse a introduit une notion essentielle : la sobriété. «Ce n'est pas parce que nous savons faire que nous devons faire. Ce n'est pas parce que nous savons développer une technologie que nous devons la développer. Il faut adapter, contextualiser». Une réflexion qui prend tout son sens à l'heure de l'intelligence artificielle, technologie de disruption majeure dont Afriq'AI accompagne le déploiement responsable, notamment à travers la Maison de l'intelligence artificielle inaugurée récemment au Cameroun. Le Maroc, a-t-elle rappelé, dispose d'atouts considérables : deuxième dans le monde arabe et en Afrique en matière de politique climatique selon la Banque mondiale. Et les projections tablent sur 400.000 emplois liés à l'économie verte à l'horizon 2040.
Le Médiateur du Royaume, vigie des droits des citoyens
Saïd Rachik, délégué régional de l'institution du Médiateur du Royaume pour Casablanca-Settat, a apporté, de son côté, un éclairage institutionnel précieux. Il a rappelé que cette institution, héritière du Diwan Al Madhalim créé en 2001, était aujourd'hui constitutionnalisée et déployée sur l'ensemble du territoire national, y compris à Oujda. Sa présence à «Meet the Lead» s'inscrit dans un programme plus large : les «Forums de la gouvernance des services publics», lancés en octobre 2025, consacrés cette année aux services de santé. Une démarche participative visant à recueillir les observations des citoyens et des professionnels pour améliorer la qualité des prestations publiques.
Créer ses propres occasions
De panel en panel, un message a traversé les interventions avec une remarquable constance : la réussite ne s'attend pas, elle se construit. Mohamed Amin Fatmi l'a formulé avec une expression parlante : «il faut de la patience et encore de la patience». Abdelatif Benazzi l'a illustré par son parcours. Jaoued Boussakouran l'a théorisé en décortiquant le mot «entrepreneur» : entrer et prendre. Sana Iffach, entrepreneure dans les nouvelles technologies, a offert peut-être la plus belle illustration de cette philosophie en invitant sur scène les lauréats du hackathon, dont l'un avait surmonté un échec technique lors de sa présentation initiale. «Un échec, un problème, ça permet d'apprendre et de réussir», a-t-elle lancé aux jeunes présents.
Cette septième édition de «Meet the Lead» aura ainsi démontré que le développement territorial ne se décrète pas depuis les bureaux ministériels. Il se construit au quotidien, par l'engagement d'acteurs qui croient en leur région et transmettent cette foi aux générations montantes. L'Oriental, longtemps perçu comme une marge, s'affirme désormais comme un laboratoire où s'expérimente un modèle de croissance réconciliant performance économique, inclusion sociale et responsabilité environnementale.