Brahim Mokhliss
09 Novembre 2025
À 18:00
L'hémicycle de la Chambre des représentants a accueilli, le mercredi 5 novembre 2025, une présentation mettant en avant un plan de la
lutte contre la corruption au Maroc. Face aux membres de la Commission des finances et du développement économique,
Ahmed Laamoumri, secrétaire général de l'
INPPLC, a esquissé les grandes lignes d'une stratégie résolument tournée vers l'action. «Les conditions de cette transition sont désormais réunies», a-t-il affirmé, signalant la maturité d'un dispositif institutionnel longtemps en gestation.
Une stratégie 2025-2030 pour inverser la courbe
L'Instance nationale s'apprête à lancer, «dans les prochains jours», une stratégie quinquennale qui ambitionne de «juguler le phénomène de la corruption» par une approche holistique. Loin de se limiter aux déclarations d'intention, ce plan d'action articule plusieurs piliers complémentaires : éducation et formation aux valeurs de probité, renforcement de la dimension préventive, adoption de législations ciblant les foyers de corruption, et activation du volet répressif.
«Il ne s'agit plus seulement de proposer des lois ou de formuler des stratégies, mais de garantir leur efficacité opérationnelle sur le terrain», a insisté Ahmed Laamoumri. Cette nouvelle feuille de route capitalise sur les acquis des années précédentes, notamment les travaux de diagnostic menés depuis 2019, tout en tirant les enseignements de l'évaluation de la stratégie nationale 2015-2025, avant d’annoncer le plan 2026-2030 dont la version finale sera dévoilée «dans les semaines à venir».
L'INPPLC mise sur une «programmation dynamique» des priorités, avec des objectifs mesurables année après année et une gouvernance institutionnelle renforcée pour assurer coordination et suivi. L'Instance insiste sur la nécessité d'une «appropriation collective» par l'ensemble des acteurs institutionnels, condition sine qua non pour impulser une dynamique nationale capable d'infléchir durablement la courbe de la corruption.
La plateforme digitale de signalement, chantier phare de 2026
Au cœur des priorités figure la mise en place d'une plateforme nationale numérique permettant de signaler, en toute confidentialité, les actes de corruption observés dans les administrations publiques, les entreprises publiques ou le secteur privé. Ce système digital sécurisé vise à lever les principaux obstacles à la dénonciation : crainte des représailles, défiance vis-à-vis de l'efficacité des plaintes et méconnaissance des canaux de recours.
«Cette plateforme constituera un outil structurant pour restaurer la confiance des citoyens et des acteurs économiques», a souligné le secrétaire général. Elle s'inscrit dans une démarche plus large de transformation digitale portée par l'Instance, qui a déjà dématérialisé son service de réception des plaintes et développé plusieurs systèmes d'information internes. Le projet bénéficiera d'une enveloppe budgétaire dédiée au titre de 2026, avec un budget global d'investissement de 28,828 millions de dirhams, dont 13,828 millions affectés aux travaux de construction du siège de l'Instance et 9,580 millions consacrés au développement des plateformes informatiques.
Enquêteurs et conventions sécuritaires : le volet répressif s'active
L'année 2025 a marqué une étape décisive avec la publication, en juin dernier, du règlement intérieur de l'INPPLC au Bulletin officiel. Ce texte parachève l'arsenal juridique nécessaire à l'opérationnalisation du corps des enquêteurs (maamourine), chargés des missions de recherche et d'investigation sur les affaires de corruption. «Nous entrons désormais dans une phase active», a confirmé Ahmed Laamoumri, évoquant la convention signée avec le pôle regroupant la Direction générale de la Sûreté nationale (DGSN) et la Direction générale de la Surveillance du territoire (DGST). Cette coopération institutionnelle, formalisée pour garantir la complémentarité avec les textes d'application de la loi, permettra de renforcer les capacités d'investigation de l'Instance.
Le règlement intérieur précise les mécanismes du travail d'enquête, en veillant au respect des garanties juridiques et à la coordination avec les autorités judiciaires compétentes. D'autres conventions sont en préparation avec diverses institutions et organismes, dans une logique de «trame institutionnelle cohérente» pour consolider l'efficacité du dispositif national de lutte contre la corruption.
Proximité territoriale et écoute citoyenne
La décentralisation constitue un autre axe stratégique majeur. L'Instance prévoit la création et l'activation de représentations régionales pour rapprocher ses services des citoyens. Un budget de 570.000 dirhams a été spécifiquement alloué en 2026 au fonctionnement de ces antennes territoriales, qui devront assurer une «écoute de proximité» et faciliter l'accès aux mécanismes de dénonciation. Cette approche territoriale répond à une double exigence : d'une part, adapter les actions de prévention et de sensibilisation aux réalités locales ; d'autre part, permettre aux citoyens des régions éloignées de bénéficier des services de l'Instance sans avoir à se déplacer jusqu'à Rabat. Le maillage envisagé devrait couvrir progressivement l'ensemble des régions du Royaume.
Éducation et sensibilisation : façonner une culture de la probité
L'INPPLC ne néglige pas la dimension préventive de son action. Elle s'apprête à lancer une stratégie nationale d'éducation et de formation aux valeurs de probité, en coordination avec les acteurs des secteurs éducatif et formatif. Cette initiative vise à «ancrer durablement» une culture de l'intégrité auprès des jeunes générations et à promouvoir une citoyenneté responsable. Des campagnes de mobilisation citoyenne sont également programmées, appuyées par une stratégie de communication rénovée. L'Instance entend mobiliser les médias, la société civile et le secteur privé autour d'un message clair : la lutte contre la corruption est «l'affaire de tous». Le budget 2026 consacre d'ailleurs 5,876 millions de dirhams au développement des capacités, incluant les dépenses de formation, d'organisation et de participation à des rencontres internationales. Les campagnes de sensibilisation bénéficieront quant à elles d'une enveloppe de 3,330 millions de dirhams.
Montée en puissance budgétaire et renforcement des effectifs
Avec un budget total de 155,178 millions de dirhams proposé pour 2026, l'INPPLC confirme sa montée en puissance. Les dépenses de personnel représentent 70 millions de dirhams, correspondant à la création de 35 nouveaux postes budgétaires qui porteront les effectifs à près de 134 fonctionnaires. Les dépenses de matériel et diverses s'élèvent à 46,350 millions, tandis que 38,828 millions sont consacrés aux investissements (crédits d'engagement).
Cette programmation budgétaire pluriannuelle (2026-2028) traduit une vision structurée du développement institutionnel. L'Instance vise notamment l'obtention des certifications ISO 9001 (qualité) et ISO 37001 (systèmes de management anti-corruption), gage de crédibilité et d'efficience dans la gestion de ses processus internes. La consolidation des ressources humaines passe également par des programmes de formation continue et le renforcement des capacités techniques, notamment en matière d'investigation, d'analyse de données et de veille stratégique.
Rayonnement international et alignement sur les standards
L'année 2025 a consacré le positionnement de l'Instance sur la scène internationale. Son adhésion à la recommandation de l'OCDE sur l'intégrité publique marque «une étape importante» vers l'alignement sur les standards internationaux. De même, l'élection du Maroc à la présidence du Réseau des Autorités de prévention de la corruption (NCPA) pour la période 2025-2026 témoigne de la reconnaissance de son engagement. L'INPPLC a également été réélue au sein du comité exécutif de l'Association internationale des autorités anti-corruption (IAACA), renforçant ainsi sa capacité d'influence et d'échange de bonnes pratiques au niveau mondial. Ces partenariats stratégiques permettent de bénéficier de l'expertise internationale et de participer activement aux réseaux d'échange d'expériences.
Sur le plan régional, l'Instance poursuit son engagement dans les mécanismes d'évaluation des conventions arabe et africaine de lutte contre la corruption, tout en consolidant ses liens bilatéraux avec des homologues de pays comme la France, les Émirats arabes unis, la Corée du Sud ou encore l'Irak. «La transition vers une nouvelle ère de prévention et de lutte contre la corruption n'est plus une option, mais une nécessité impérieuse», a conclu Ahmed Laamoumri devant les parlementaires. Reste à voir si cette ambition se traduira par l'inflexion tant attendue de la courbe de la corruption et que les indicateurs internationaux peinent encore à enregistrer. Les prochains mois seront décisifs pour juger de la capacité de l'Instance à transformer ses orientations stratégiques en résultats tangibles pour les citoyens et les acteurs économiques.