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Intégrité publique : le Maroc premier de la classe en Afrique

L’Instance nationale de la probité, de la prévention et de la lutte contre la corruption (INPPLC) et l’OCDE ont organisé à Rabat une conférence régionale de deux jours sur l’intégrité publique, marquée par l’adhésion historique du Maroc à la Recommandation de l’OCDE. Si le président de l’Instance, Mohamed Benalilou, salue des «résultats importants» dans plusieurs indicateurs, il appelle à transformer les textes en pratiques concrètes. Entre avancées législatives et défis d’application, le Royaume trace sa voie vers une gouvernance plus transparente, tout en reconnaissant que «le chemin est encore long» pour restaurer pleinement la confiance des citoyens.

Skhirate, pas loin de la capitale administrative du Royaume, a abrité, les 28 et 29 octobre 2025, une conférence régionale qui pourrait marquer un tournant dans la lutte contre la corruption en Afrique et dans la région MENA. Organisée conjointement par l’Instance nationale de la probité, de la prévention et de la lutte contre la corruption et l’Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE), cette rencontre de deux jours a réuni les représentants des principales institutions anti-corruption de la région. La première journée était consacrée aux expériences régionales des pays du Moyen-Orient, d’Afrique du Nord et d’Afrique subsaharienne, tandis que la seconde focalisait sur l’expérience marocaine avec les indicateurs d’intégrité publique de l’OCDE.

Une adhésion historique saluée par la communauté internationale

L’annonce officielle de l’adhésion du Maroc à la Recommandation de l’OCDE sur l’intégrité publique a constitué le moment fort de cette conférence. «C’est un événement historique et un tournant majeur pour le Royaume et pour toute la région», a déclaré Simon Madden, directeur de l’Intégrité et de l’Éthique au Cabinet Office du Royaume-Uni et président du Groupe de travail de l’OCDE sur l’intégrité publique et la lutte contre la corruption. Le Maroc devient ainsi le premier pays africain et de la région MENA à adopter ce référentiel international, une décision que Mohamed Benalilou, président de l’INPPLC, qualifie de «choix souverain» plutôt que d’un simple «acte technique».

Cette adhésion volontariste, souligne le président de l’Instance, «procède d’une ferme conviction que la transparence est une source de confiance et de légitimité fondée sur la compétence et la reddition des comptes». Un positionnement stratégique qui place le Royaume dans le cercle restreint des pays alignés sur les standards internationaux les plus exigeants en matière de gouvernance publique.

Le directeur adjoint de la Gouvernance publique à l’OCDE, Janos Bertók, a rappelé l’importance cruciale de cette démarche dans un contexte où les deux régions – Afrique et MENA – traversent une période de «force et d’opportunités exceptionnelles». Avec une population en âge de travailler qui devrait doubler d’ici 2050 en Afrique et des économies montrant des signes de résilience et d’accélération, la lutte contre la corruption devient un enjeu vital pour maintenir cette trajectoire de croissance.

Des indicateurs encourageants mais insuffisants Les résultats des indicateurs d’intégrité publique présentés lors de la conférence dressent un tableau encourageant de la situation marocaine. «Le Maroc a réalisé des résultats importants au niveau de plusieurs indicateurs de l’intégrité publique, reflétant une image positive de la structure législative, réglementaire et institutionnelle», affirme Mohamed Benalilou. Cependant, le président de l’INPPLC ne s’arrête pas à ce constat encourageant et adopte un ton résolument autocritique.

L’analyse détaillée révèle en effet un décalage persistant entre l’arsenal juridique et sa traduction concrète sur le terrain. «Le bémol, c’est que le progrès quantitatif enregistré dans les indicateurs ne s’est pas encore traduit en transformation qualitative tangible dans le comportement institutionnel ou en amélioration perceptible de la confiance des citoyens dans le service public», reconnaît M. Benalilou dans son allocution d’ouverture.

Cette lucidité dans l’analyse transparaît également dans l’intervention du second jour, où le président de l’Instance approfondit le diagnostic : «Les indicateurs montrent que plusieurs normes réglementaires du cadre stratégique sont remplies, mais sans que les indicateurs de mise en œuvre pratique atteignent le niveau souhaité». Un constat qui met en lumière le défi principal auquel fait face le Maroc : passer de la phase des textes à celle de l’impact concret.

Le lobbying et les conflits d’intérêts, talons d’Achille du système

Parmi les zones d’ombre identifiées, la régulation du lobbying et la gestion des conflits d’intérêts apparaissent comme des failles majeures du dispositif marocain. Simon Madden a particulièrement insisté sur cette problématique : «Malgré des cadres réglementaires robustes, des règles éthiques et des standards de conduite, la transparence du lobbying et de l’influence reste sous-régulée dans les pays d’Afrique et MENA».

Cette lacune, souligne Mohamed Benalilou, «constitue une véritable brèche qui menace la transparence de la décision publique et l’expose à des influences illégitimes et aux conflits d’intérêts». Le président de l’INPPLC évoque «un écart préoccupant entre les normes et la pratique» et appelle à développer «des mécanismes de contrôle efficaces, une application stricte et une législation dissuasive proportionnée à la gravité de ces actes».

La question du lobbying, précise Simon Madden, touche à l’essence même de la démocratie : «Nous voulons tous faire entendre nos voix. C’est après tout l’essence de la démocratie. Cependant, quand seuls quelques acteurs, généralement les plus puissants, peuvent le faire, le terrain de jeu n’est pas équitable». L’absence de cadre réglementaire dans ce domaine ne nuit pas seulement à l’élaboration des politiques publiques, mais contribue également à éroder la confiance dans les institutions publiques.

La transparence et l’accès à l’information : entre avancées législatives et résistances culturelles

Un autre domaine où le décalage entre les textes et la pratique se fait sentir concerne le droit d’accès à l’information. Bien que le Maroc dispose de la loi 31-13 relative au droit d’accès à l’information, son application reste problématique. «En dépit d’un niveau important de conformité textuelle, nous constatons une baisse claire en termes d’application pratique», déplore M. Benalilou. Le président de l’Instance pointe du doigt les résistances administratives : «Certaines administrations continuent de traiter le droit à l’information comme une exception, et la publication proactive comme une initiative volontaire plutôt qu’un devoir institutionnel». Cette culture du secret administratif, héritage d’une longue tradition bureaucratique, constitue un frein majeur à la construction d’une culture de transparence.

L’OCDE, par la voix de Janos Bertók, souligne l’importance cruciale de cette dimension : «Il est essentiel que les fonds publics soient gérés de manière transparente, éthique et équitable pour garantir que les gouvernements répondent aux besoins de leurs citoyens». Une exigence d’autant plus pressante dans un contexte de contraintes fiscales globales où la collecte des recettes reste un défi majeur.

Une mobilisation collective nécessaire

Face à ces constats, Mohamed Benalilou appelle à une mobilisation générale impliquant l’État, la société civile et les citoyens. «Chaque indicateur positif enregistré aujourd’hui doit être perçu comme un nouveau point de départ et non un motif de confort», martèle-t-il, avant d’appeler à «plus d’audace dans l’exécution, à une mobilisation renforcée en matière de coordination, ainsi qu’à un suivi et une évaluation plus approfondis».

Cette approche participative est également défendue par l’OCDE. Janos Bertók rappelle que l’Organisation offre «une plateforme de partage d’expériences et de bonnes pratiques en matière de promotion de l’intégrité, afin d’accélérer les réformes et de les adapter aux contextes nationaux». L’appui de l’OCDE s’articule autour de trois axes majeurs : un dialogue adossé à des preuves, l’appui à la collecte et à l’analyse des données, ainsi que le recours aux normes et recommandations de l’Organisation.

Le président de l’INPPLC insiste particulièrement sur le rôle des institutions de gouvernance indépendantes, appelées à être «la voix de la critique constructive et la conscience d’une réforme responsable dont la réussite ne se mesure pas uniquement à l’existence de stratégies, mais à leur impact concret sur la vie des citoyens». Une vision qui fait écho aux propos Royaux cités par M. Benalilou, rappelant que Sa Majesté le Roi Mohammed VI avait mis en garde contre une vision réductrice du fléau de la corruption, soulignant son «poids économique qui pèse sur le pouvoir d’achat des citoyens, notamment les plus pauvres».

Les prochaines étapes : de l’évaluation à l’action

a conférence a également permis de tracer les contours des prochaines étapes. L’OCDE lance la collecte de données pour de nouveaux indicateurs portant sur l’efficacité du contrôle interne et la gestion des risques. «Après la conférence, nous attendons avec impatience notre travail continu sur les indicateurs, en nous concentrant sur les contrôles internes, l’audit et l’intégrité du système judiciaire», annonce Janos Bertók.

Pour le Maroc, l’enjeu est désormais de traduire les engagements pris en actions concrètes. Mohamed Benalilou évoque la présentation prochaine de la stratégie de l’INPPLC pour les cinq prochaines années, ainsi que les conclusions de l’évaluation de la mise en œuvre de la Stratégie nationale de lutte contre la corruption. «Pour la prochaine étape, l’accent doit être mis sur la garantie de l’effectivité des lois et la durabilité de leurs effets sur la société», insiste-t-il.

Simon Madden, de son côté, assure du soutien du Groupe de travail de l’OCDE: «Le Groupe de travail sur l’intégrité publique et la lutte contre la corruption est prêt à accompagner le Maroc dans la mise en œuvre de la Recommandation et le partage des meilleures pratiques». Un accompagnement qui sera crucial pour transformer les ambitions affichées en réalisations tangibles.

Un modèle régional en construction

Au-delà des défis identifiés, le positionnement du Maroc comme premier pays africain à adhérer aux standards de l’OCDE lui confère une responsabilité particulière. «Le Maroc, sous la conduite de Sa Majesté le Roi Mohammed VI, dispose selon les conclusions de l’évaluation de ce qui lui permet d’être un modèle régional dans l’articulation entre intégrité et développement», affirme M. Benalilou, tout en reconnaissant que ce même Maroc «a le courage total de reconnaître les lacunes, la volonté sérieuse de les surmonter et la capacité de transformer les résultats de toute évaluation en engagements politiques et en mesures exécutives concrètes».

Cette ambition régionale s’inscrit dans une dynamique plus large de coopération Sud-Sud. La présence lors de la conférence de représentants de la Commission anti-corruption de Jordanie, des Seychelles et de Zambie témoigne de l’intérêt suscité par l’expérience marocaine. L’OCDE mise sur cette dynamique régionale, avec notamment la création récente de la Plateforme Afrique pour la gouvernance, lancée l’année dernière et qui s’appuie sur l’expérience du Programme MENA-OCDE pour la gouvernance, actif depuis vingt ans.

La conférence de Skhirate marque ainsi une étape importante dans la construction d’une approche régionale coordonnée de la lutte contre la corruption. Comme le souligne Janos Bertók, «ensemble, nous pouvons construire une culture robuste d’intégrité en Afrique et dans la région MENA pour garantir des sociétés transparentes et équitables qui profitent à tous les citoyens».

Le chemin reste long, et Mohamed Benalilou ne le cache pas : «La réforme n’est pas un objectif temporaire, mais un processus continu et permanent qui nécessite une mobilisation globale de l’État et de la société». Une lucidité qui, paradoxalement, constitue peut-être le meilleur gage de réussite pour les réformes engagées. Car comme le rappelle le président de l’INPPLC, «la réforme véritable ne s’accomplit ni par les surenchères ni par l’autosatisfaction, mais par la révision continue, l’engagement pratique et l’écoute de l’autre».
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