Mounia Senhaji
03 Décembre 2025
À 19:04
Le 19ᵉ
Congrès mondial de l’eau, qui se poursuit à
Marrakech jusqu’au 5 décembre 2025 sous le thème «L’eau dans un monde qui change : innovation et adaptation», offre une plateforme stratégique pour confronter visions et expertises. Parmi ses temps forts, un segment ministériel ayant réuni la
Chine, hôte de la précédente édition, le
Maroc, hôte de l’actuelle, et la
Turquie, qui accueillera le prochain conclave. Trois nations aux expériences différentes, mais convergentes face au défi global de l’eau.
Organisés par
l’Association internationale des ressources en eau (IWRA), ces congrès rappellent en fait une vérité simple : le monde est une communauté unie. L'objectif de l'IWRA est de transformer la connaissance en action pour la
gestion durable de l'eau, en créant un espace neutre où les idées traversent les frontières et les disciplines. Le ministre turc de l’Agriculture et des forêts,
Ebubekir Gizligider, a souligné que les congrès de l'IWRA agissent comme des baromètres mondiaux, aidant les pays à aligner les raisons nationales avec les objectifs mondiaux et à identifier les prochaines priorités clés, des systèmes d'eau numériques à l'approche «One Health».
Nizar Baraka met en avant l’ancrage historique et la résilience marocaine
En tant que pays hôte, le Maroc a rappelé que l'eau n'était pas seulement une ressource technique, mais un projet national fondé sur une vision Royale entamée dans les années 1960 par Feu S.M. le Roi Hassan II, basée sur la mobilisation maximale et la gestion rigoureuse des ressources. Le ministre de l’Équipement et de l’eau, Nizar Baraka, a souligné la force symbolique du choix de Marrakech, ville qui a été un laboratoire vivant de l'innovation en matière d'eau au fil des siècles, avec des systèmes traditionnels avancés comme les khettaras et les séguias. Ces pratiques ancestrales ont inspiré les politiques modernes fondées sur l'innovation et l'intégration.
La politique actuelle, sous l'impulsion de S.M. le Roi Mohammed VI, est anticipative et repose sur une planification à long terme, avec une stratégie nationale de l'eau mise à jour pour des décennies. Le Maroc a fait de la gestion intégrée des ressources en eau (GIRE) un pilier, établissant des conseils des bassins hydrauliques pour une prise de décision décentralisée basée sur les priorités locales. Cette expérience est devenue une référence internationale, notamment en Afrique et dans le monde arabe.
Sur le plan des infrastructures, le Maroc a développé l'un des plus grands réseaux hydrauliques d'Afrique, comptant actuellement environ 156 barrages de grande et moyenne taille, renforçant la capacité de stockage et le raccordement des bassins. Cependant, l’innovation est devenue une nécessité face à la sécheresse persistante : le Royaume a lancé un important programme de dessalement de l'eau de mer utilisant les énergies renouvelables, visant une production de plus de 1,7 milliard de mètres cubes par an d'ici 2030. Le Royaume accorde également une importance primordiale à la numérisation pour le suivi hydrologique, l'alerte précoce et l'utilisation de l'intelligence artificielle pour l'efficacité de l'eau.
Le nouveau paradigme chinois : redéfinir le risque et la ressource
Le ministre chinois des Ressources en eau, Li Guoyin, a abordé de front le changement climatique, notant que les inondations étaient le phénomène naturel ayant le plus grand impact sur l'humanité. La Chine, guidée par la philosophie de gestion de l'eau du Président Xi Jinping, a accompli des réalisations historiques en matière de gouvernance de l'eau. Cette gestion repose sur un changement fondamental dans la perception des crues. Traditionnellement vues comme un danger, les inondations doivent être reconnues selon trois dimensions : la dangerosité, la nature ressource et la fonctionnalité. De cette triple reconnaissance découlent trois modèles de gestion :
1. Le contrôle des crues, basé sur la dangerosité : la Chine maintient un engagement inébranlable envers un contrôle efficace et précis, en se concentrant sur la prévention et les systèmes d'alerte. Cela a permis de défendre avec succès le pays contre des crues historiques et de réduire les pertes liées aux catastrophes de 0,28% à 0,18% du PIB au cours des cinq dernières années.
2. L’utilisation des crues, basée sur la nature ressource : il s'agit de transformer l'eau des crues en une ressource utilisable pour la production et la vie. Par exemple, le réservoir de Danjiangkou a stocké 27,2 milliards de mètres cubes d’eau pour le projet de transfert d'eau Sud-Nord.
3. Le façonnage des crues, basé sur la fonctionnalité : l'ingénierie est utilisée pour créer artificiellement des processus de crue qui répondent aux besoins de l'écosystème fluvial. Cela a été utilisé sur le fleuve Jaune pour rincer les sédiments, augmentant la capacité de débit minimale de son chenal en aval de 1.800 à 5.000 mètres cubes par seconde. Cela sert également à restaurer les zones humides deltaïques et à créer des conditions optimales de frai pour les poissons migrateurs (comme l'esturgeon chinois). Ces systèmes complexes nécessitent une précision extrême et sont soutenus par un système de surveillance intégré (satellite, radar) et des plateformes numériques pour le soutien à la décision scientifique.
L’approche holistique et l'engagement circulaire de la Turquie
Le ministre turc, Ebubekir Gizligider, a présenté la stratégie de son pays, ancrée dans une perspective holistique. La Turquie considère l'eau non pas par fragments, mais comme un système vivant unique au cœur de sa stratégie nationale, des précipitations aux rivières, du sol aux aquifères et des villes aux champs. La gestion des risques y est considérée comme une philosophie de gouvernance. Institutionnellement, la Turquie a établi le Conseil national de l’eau comme organe unifié réunissant ministères, scientifiques et société civile pour fixer des objectifs d'efficacité à long terme et avancer dans la réutilisation de l'eau en agriculture.
L'un des engagements clés de la Turquie est l'objectif «zéro perte en eau», visant à réduire les pertes dans le réseau et à améliorer la performance de l'irrigation. L'agriculture évolue rapidement vers l'utilisation des flux numériques, de la télédétection et de l'automatisation, considérées comme des nécessités face au stress hydrique. De plus, la Turquie privilégie une approche circulaire de l'eau, où l'eau traitée devient une nouvelle ressource sûre pour l'agriculture. Le pays a également démontré l'harmonie entre l'énergie et l'eau grâce aux systèmes géothermiques et aux installations solaires flottantes sur les réservoirs.
La Turquie est devenue un leader régional dans la surveillance de l'eau et de l'environnement, adoptant l'approche «One Water One Health». Ce système surveille, entre autres, la résistance aux antibiotiques, les «PFAS» appelés aussi polluants éternels, les microplastiques et les contaminants émergents, faisant office de pont reliant la santé publique, l'alimentation, l'environnement et la qualité de l'eau.
La coopération et l'avenir : rendez-vous à Istanbul en 2027
Le ministre Baraka a souligné que l'assemblage des expériences chinoise, marocaine et turque symbolisait la richesse et la diversité des connaissances nécessaires pour relever les défis mondiaux. «Le Maroc est convaincu que l'avenir de l'eau ne peut se construire que par la coopération, l'échange d'expertise, le recours à l'innovation et des décisions audacieuses et proactives. Depuis le Maroc, nous adressons aujourd'hui un message clair : les défis communs exigent des solutions communes, et l'eau doit demeurer au cœur des priorités mondiales pour préserver l'avenir de nos générations et le développement de nos peuples», a-t-il déclaré.
Poursuivant cet élan de coopération, le ministre Gizligider a annoncé que la Turquie accueillerait le 20e Congrès de l'IWRA en 2027 à Istanbul, au carrefour des continents. Le thème choisi, «Eau intelligente, résiliente et sûre en transition», s’inscrit naturellement dans la continuité des enjeux abordés lors de l’édition actuelle. Ce thème reconnaît que le système mondial de l'eau subit une transformation profonde (écologique, technologique, institutionnelle et sociale) et que cette transition doit être guidée par la science et la responsabilité partagée.
En conclusion, les trois pays réaffirment que l'eau doit rester au cœur des priorités mondiales, car l'eau n'est pas seulement une ressource, elle est un fondement pour la paix, la dignité et le développement, et la base de notre avenir commun. Comme l'a souligné le ministre Gizligider, l'objectif est simple : protéger les générations futures en veillant à ce que la science et la politique avancent ensemble.