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Crise de l’eau : la communauté internationale appelle à un sursaut politique et technologique

Réunis à Marrakech pour le 19ᵉ Congrès mondial de l’eau, dirigeants, représentants d’organisations internationales et experts ont dressé un constat alarmant : la planète est en retard sur tous les objectifs liés à l’eau. Face à cette urgence, l’innovation technologique et le courage politique apparaissent comme les deux leviers indispensables pour éviter une crise planétaire irréversible.

C’est à Marrakech, une ville qui transpire la mémoire de l'eau, que le tocsin a sonné : la crise hydrique mondiale n'est plus une menace, mais une réalité vécue par des millions de personnes chaque jour. Lors de la séance inaugurale du 19e Congrès mondial de l'eau, le ministre marocain de l’Équipement et de l’eau ainsi que les représentants de l'ONU, du Conseil mondial de l'eau et de l’Association internationale des ressources en eau ont unanimement tiré la sonnette d'alarme, affirmant que le monde est «hors piste sur chaque objectif de l'ODD 6». Si le diagnostic est sombre, les intervenants ont esquissé un chemin clair : une stratégie globale qui mêle l'innovation technologique de pointe, une rationalisation des usages et une transformation radicale de la gouvernance politique.

La triple crise : incertitudes, contradictions et échecs

Yuanyuan Li, président de l’Association internationale des ressources en eau (IWRA), a donné le la en insistant sur la complexité croissante des défis. Pour lui, la situation est plus sérieuse qu'à il y a 30 ans, en raison d’un changement climatique qui apporte plus d'incertitudes pour le cycle hydrologique et des pressions socio-économiques intenses. «L'eau n'est pas seulement une ressource, elle est identité, mémoire et survie», a-t-il martelé.



Cette crise se manifeste par d'amères contradictions, comme l’a souligné Retno L. P. Marsudi, envoyée spéciale de l’ONU pour l’eau. Elle a raconté l'histoire d'un village en Indonésie où les habitants devaient marcher six heures par jour pour obtenir de l'eau potable. Si des solutions techniques existent, ce qui manque, selon elle, ce sont les compétences, la coordination et les choix politiques judicieux pour les mettre en œuvre. Elle a martelé que l'eau devait être pleinement intégrée aux agendas du climat, de la biodiversité et de la paix, car lorsque les systèmes fonctionnent, ils deviennent de puissants moteurs de prospérité partagée.

La réponse du Maroc : de la rareté à la production

Face à ce péril global, le pays hôte a choisi d’agir pour ne pas avoir à subir. Le ministre de l'Équipement et de l'eau, Nizar Baraka, a exposé les bases d'une stratégie nationale fondée sur un principe cardinal : la bataille de l'eau est une bataille de souveraineté. Le Maroc est passé d'une «gestion de la pénurie» à une véritable «production de l’eau». Cette transformation repose sur un système intégré et audacieux :

• Le dessalement de masse, désormais un pilier national. Le Maroc vise une capacité de 1,7 milliard de mètres cubes d’ici 2030, rappelle le ministre, avec des installations fonctionnant uniquement grâce aux énergies renouvelables.

• L’innovation technologique, dont la stratégie inclut l'utilisation de l'intelligence artificielle pour détecter les fuites via des compteurs intelligents en ville. L'ingéniosité va jusqu'à l'installation de panneaux solaires flottants au-dessus des barrages, offrant le double avantage de réduire l'évaporation (qui peut atteindre 30%) et de produire l’énergie nécessaire.

Cette stratégie est encadrée par l'approche «Nexus Eau-Énergie renouvelable-Alimentation» et soutenue par les «contrats de nappe» qui obligent les acteurs économiques à une rationalisation stricte des eaux souterraines.

La sobriété : «La moitié du progrès»

Mais la technologie seule ne suffit pas. Loïc Fauchon, président du Conseil mondial de l’eau, a tempéré cette frénésie de la production en rappelant que la bataille se jouait aussi dans les habitudes. Il a insisté sur la nécessité d'agir fortement sur la demande et a livré une définition marquante : «La sobriété n'est ni un recul ni une punition. La sobriété, c'est la moitié du progrès». Pour lui, cette sobriété doit être appliquée à l'urbanisation galopante (une menace, mais aussi une chance pour une répartition plus équilibrée des populations) et aux secteurs industriels gourmands, citant l'exemple des centres de données numériques.



M. Fauchon a également mis en lumière le «grand impensé» de la crise : l'assainissement, qualifié de parent pauvre dont la négligence «attente à la dignité des femmes et des hommes qui en sont privés». Il a appelé à un «New Deal» pour l'assainissement. En reconnaissance du leadership marocain sur l'intégration eau-énergie, M. Fauchon a annoncé la création d'un Centre international consacré aux eaux non conventionnelles couplées aux énergies renouvelables, qui aura son siège au Maroc.

L'appel final : ne pas être «la génération qui a échoué»

Si les solutions techniques et comportementales sont sur la table, l’ONU rappelle que le vrai défi est celui de la volonté politique. L’envoyée spéciale Marsudi a conclu son intervention en appelant les participants à ne pas être «la génération qui a eu les preuves et a échoué à agir». Tous les leaders se sont accordés sur le fait que l'eau était notre plus grand connecteur, qui lie nations, générations et objectifs de développement. Le Congrès de Marrakech est un tournant, car il exige un «courage renouvelé» pour faire en sorte que l'eau redevienne une fondation de prospérité partagée pour tous.

De Rabat 1991 à Marrakech 2025 : une continuité d’engagement pour l’eau

Le 19e Congrès mondial de l’eau, qui se tient du 1er au 5 décembre 2025, Marrakech, est organisé par l’Association internationale des ressources en eau (IWRA) en partenariat avec le ministère marocain de l’Équipement et de l’eau. Placée sous le Haut Patronage de Sa Majesté le Roi Mohammed VI sous le thème «L’eau dans un monde qui change : innovation et adaptation», cette édition rassemble des experts, des chercheurs, des décideurs, des acteurs privés et des représentants de la société civile du monde entier. Objectif : partager les dernières avancées scientifiques, explorer des stratégies d’adaptation et développer des solutions concrètes pour une gestion durable et équitable de l’eau dans un contexte de changement climatique et de pressions multiples sur les ressources.

Le Congrès s’inscrit dans une approche systémique reliant l’eau aux grands enjeux interconnectés (énergie, alimentation, santé, écosystèmes) et contribuera aux efforts internationaux liés aux Objectifs de développement durable, notamment l’ODD 6 (Eau propre et assainissement). L’événement fera également le lien avec les grands rendez-vous mondiaux à venir, tels que la Conférence des Nations unies sur l’eau 2026, le World Water Forum 2027 et les Conférences des Parties (COP) sur le climat et la biodiversité. Il s’agit d’un retour historique au Maroc, plus de trente ans après le 7e Congrès mondial de l’eau tenu à Rabat en 1991, qui avait posé les premiers jalons d’une réflexion internationale sur la gestion durable de la ressource au XXIe siècle.
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