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Maroc-Égypte : une relance stratégique des relations bilatérales

Rabat et Le Caire s’apprêtent à donner un nouvel élan à leur coopération à travers la réactivation du comité conjoint de coordination et de suivi. Une dynamique bilatérale qui repose sur une convergence politique affirmée, des engagements économiques concrets et un rapprochement qui s’exprime aussi à l’échelle des sociétés.

Rencontre entre Nasser Bourita et Badr Abdelatty.

31 Décembre 2025 À 17:04

Les relations entre le Maroc et l’Égypte connaissent un regain d’intensité diplomatique à la faveur d’un échange téléphonique entre les ministres des Affaires étrangères des deux pays, Nasser Bourita et Badr Abdelatty. Cet entretien, tenu dimanche, a permis de faire le point sur l’état de la coopération bilatérale et de confirmer l’avancement des préparatifs en vue de la prochaine réunion du comité conjoint égypto-marocain de coordination et de suivi.

Présenté comme un mécanisme clé du partenariat entre Rabat et Le Caire, ce comité est appelé à jouer un rôle structurant dans l’orientation, le suivi et la mise en œuvre des actions communes. À terme, il devrait être présidé par les Chefs de gouvernement des deux pays, confirmant l’importance stratégique accordée à cette relance. Pour Ashraf Abou Araif, journaliste égyptien à «Al Ahram» et spécialisé dans les relations internationales, «la remise à l’agenda de ce mécanisme traduit une volonté de continuité : il s’agit de sortir d’une coopération ponctuelle pour installer une relation suivie, prévisible et durable».

Une coopération fondée sur des principes partagés

Au-delà de la séquence diplomatique, cette relance s’inscrit dans le sillage d’un positionnement stratégique récemment réaffirmé par l’Égypte. Dans un rapport officiel intitulé «L’équilibre stratégique : repères de la politique étrangère égyptienne durant la dernière décennie», publié au mois de décembre par le ministère égyptien des Affaires étrangères, Le Caire met en avant les principes qui structurent son action régionale : respect de la souveraineté des États arabes, défense de leur unité territoriale, rejet des ingérences et renforcement des institutions nationales comme socle de stabilité.

Cette doctrine trouve un écho naturel à Rabat. «Sur des dossiers comme la Palestine ou le Soudan, mais aussi sur la question plus large de l’unité nationale, le Maroc et l’Égypte partagent une même lecture», observe Ashraf Abou Araif. «Les deux pays considèrent que la stabilité passe par des institutions solides et par le refus des divisions internes. Cette vision commune facilite la coordination politique.» Selon lui, ce rapprochement s’inscrit également dans une logique plus large : «Quand Rabat et Le Caire se rapprochent, ce n’est pas seulement une relation bilatérale qui se renforce, c’est aussi une certaine idée de l’action arabe commune qui reprend sens».

Une dynamique économique en marche

Cette convergence politique se traduit désormais sur le terrain économique. Quelques jours avant l’échange entre les chefs de la diplomatie, une réunion ministérielle s’est tenue à Rabat entre Ryad Mezzour, ministre marocain de l’Industrie et du commerce, et Hassan El Khatib, ministre égyptien de l’Investissement et du commerce extérieur. À l’issue de cette rencontre, les deux parties ont réaffirmé leur volonté de renforcer les échanges commerciaux sur la base d’un partenariat gagnant-gagnant. Le secrétaire d’État chargé du Commerce extérieur, Omar Hejira, a annoncé qu’une délégation d’exportateurs marocains se rendrait prochainement en Égypte, avec un accent particulier sur le secteur automobile, identifié comme un levier stratégique pour l’économie marocaine.

Plusieurs mesures concrètes ont été actées : mise en place d’un canal de communication directe pour lever les obstacles commerciaux, instauration d’un mécanisme «Fast Track» pour faciliter l’accès des produits marocains au marché égyptien, et organisation, en avril 2025, d’un forum B2B en Égypte destiné à encourager les partenariats entre opérateurs privés. L’activation du conseil d’affaires bilatéral et la préparation du comité commercial mixte complètent ce dispositif.

Le secteur privé prend le relais

Dans le prolongement de cette dynamique, un accord de coopération a été signé le 26 décembre entre la Confédération générale des entreprises du Maroc (CGEM) et l’Egyptian Businessmen’s Association (EBA). Paraphé par Ali Tazi, président du Conseil d’affaires Maroc–Égypte, et Adel El-Lamei, membre du conseil d’administration de l’EBA, ce protocole vise à instaurer un cadre opérationnel favorisant les investissements croisés, les projets conjoints et l’échange d’informations économiques. «Quand les entreprises s’impliquent, la relation gagne en profondeur et en résilience», souligne Ashraf Abou Araif. «L’économie permet de transformer les convergences politiques en intérêts partagés et en partenariats durables.»

Une relation qui s’exprime aussi à l’échelle des sociétés

Pour le journaliste égyptien, le rapprochement entre Rabat et Le Caire ne se limite pas aux sphères diplomatique et économique. Il se nourrit aussi de liens culturels et humains, où le sport joue un rôle singulier. «Le football est un langage commun dans nos sociétés. Il crée de l’émotion, de l’admiration et une proximité spontanée entre les peuples», explique-t-il, en référence à l’organisation de la Coupe d’Afrique des nations au Maroc et à la récente victoire marocaine en Coupe arabe. Ces moments comptent, car ils installent une familiarité durable. Quand les sociétés se rapprochent, les relations entre États deviennent plus solides», ajoute-t-il.

Un partenariat à consolider dans la durée

Ces développements s’inscrivent dans une trajectoire amorcée dès 2014, avec la troisième session du dialogue stratégique à Marrakech. Depuis lors, les relations maroco-égyptiennes ont évolué de manière progressive, portées par une coordination politique renforcée et des échanges économiques en croissance, qui ont atteint 1,3 milliard de dollars en 2024. La relance du comité conjoint, la mobilisation des ministères concernés, l’implication du secteur privé et le rapprochement entre sociétés témoignent aujourd’hui d’un tournant. Plus qu’une simple volonté diplomatique, il s’agit d’une stratégie de fond visant à bâtir un partenariat équilibré, structuré et durable, à la hauteur de deux pays qui comptent dans le monde arabe et sur le continent africain.
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