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Écoles pionnières, enseignants, jeunesse : Berrada défend une réforme pragmatique et ouverte au dialogue

C’est une intervention très attendue, à un moment où l’école publique concentre à la fois les attentes, les doutes et les espoirs. Invité d’une émission spéciale de Hespress, Mohamed Saad Berrada, ministre de l’Éducation nationale, du Préscolaire et des Sports, a choisi d’aller au fond des sujets sensibles : la limite d’âge pour les concours d’enseignement, la généralisation des écoles pionnières et la nécessité d’un dialogue sincère avec la jeunesse. Sans nier les lenteurs ni les fragilités du système, il défend une réforme qu’il veut pragmatique, continue et résolument ancrée dans la réalité du terrain.

Mohamed Saad Berrada

13 Octobre 2025 À 13:40

Invité d’une émission spéciale de Hespress, le ministre de l’Éducation nationale, du Préscolaire et des Sports, Mohamed Saad Berrada, a défendu une réforme qui « demande du temps pour porter ses fruits ». L’entretien lui a permis d’évoquer les chantiers prioritaires du ministère – la lutte contre le décrochage scolaire, la réduction des disparités territoriales et la revalorisation du métier d’enseignant – autant de dossiers sur lesquels les attentes sont fortes et les réponses longtemps espérées.

Génération Z : Le ministre plaide pour un dialogue honnête avec les jeunes

L’entretien n’a pas tardé à aborder le sujet central : celui de la jeunesse. Face à la colère de la génération Z, dont les manifestations récentes ont placé l’éducation au cœur des préoccupations nationales, le ministre n’a pas cherché à se dérober. Il dit comprendre ce "sentiment d’injustice" et de "blocage" exprimé par une jeunesse qui doute du système et de sa capacité à changer. « Je comprends parfaitement ces jeunes... Les difficultés qu’ils évoquent, nous les vivons nous-mêmes au quotidien ».



Mais il refuse de réduire cette contestation à une crise d’humeur. À ses yeux, elle traduit les effets d’un long décalage entre les réformes successives et la réalité vécue dans les écoles. « Nous avons beaucoup travaillé sur le fond des réformes, mais pas assez sur la communication. Nous devons aller vers les jeunes, leur parler honnêtement de ce qui change et de ce qui reste difficile ».

Pour lui, la confiance se reconstruit d’abord sur les faits. Parmi les critiques les plus reprises par les jeunes, la surcharge des classes arrive en tête — un phénomène que le ministère affirme avoir commencé à maîtriser. « En 2021, 25 % des classes dépassaient les normes d’accueil. Aujourd’hui, nous sommes à moins de 10 % » . Le taux est en baisse, mais le ministre souligne que certaines zones, notamment les périphéries urbaines, continuent de connaître des situations de surcharge liées à la croissance démographique.

Les écarts sont encore plus marqués dans le monde rural. « On ne peut pas espérer qu’un enfant qui marche trois heures à pied pour rejoindre son école puisse suivre normalement », explique-t-il, soulignant que la réussite de la réforme dépend aussi des infrastructures d’accompagnement.

Il souligne également que le nombre d’enfants non scolarisés a reculé, passant de 300.000 à 270.000 en trois ans, et que plus de la moitié des écoles primaires ont été rénovées. Des chiffres qu’il présente comme les premiers effets visibles d’une réforme encore en cours de déploiement.

Concours de recrutement des enseignants : la limite d’âge de 30 ans sera réévaluée !

C’est sur le sujet des concours d’accès à l’enseignement que le ministre était le plus attendu. Depuis la fixation de la limite d’âge à 30 ans, de nombreux diplômés dénoncent une mesure injuste. Le ministre ne ferme pas la porte et promet une réévaluation du dispositif. « Nous comprenons les attentes des jeunes diplômés. Nous réévaluerons cette règle avant la prochaine session des concours ».

Cette révision, dit-il, devra concilier ouverture et efficacité. Les chiffres sont là : 80 % des candidats admis ont moins de 25 ans et le taux de réussite chute au-delà de 30 ans. Mais le ministre reconnaît que la question dépasse la statistique. « Le métier d’enseignant doit rester ouvert, mais il doit aussi garantir la qualité du recrutement ».

Depuis 2021, les nouveaux enseignants disposent d’une licence avec mention et passent par une formation initiale dans les centres régionaux avant d’intégrer un cycle continu dans le cadre du programme des écoles pionnières. En septembre dernier, 100.000 enseignants ont été formés à ces nouvelles méthodes, axées sur la maîtrise des fondamentaux et l’enseignement explicite.

Contrairement aux critiques, le ministre assure que la réforme n’uniformise pas les pratiques. « La réforme fixe un cadre, mais la liberté pédagogique demeure. Chaque enseignant garde son style et sa personnalité ».

La revalorisation du métier est aussi budgétaire : 80 % du budget du ministère, soit plus de 80 milliards de dirhams, sont consacrés aux salaires. « C’est la preuve que l’État reconnaît leur importance. Mais nous devons leur offrir de meilleures conditions de travail et davantage de reconnaissance ».

70 % des écoles primaires passeront au modèle "pionnier” dès l’an prochain

Cette exigence s’étend à l’ensemble du système. Pour Mohamed Saad Berrada, la véritable transformation ne peut venir que de l’intérieur. Contrairement à la tradition qui veut que chaque ministre relance un nouveau plan, il a choisi de ne pas interrompre la réforme entamée par son prédécesseur. « Lorsque je suis arrivé, j’ai trouvé un programme, celui des écoles pionnières. Il n’était pas parfait, mais il fonctionnait. J’ai donc décidé de le poursuivre et de l’étendre, plutôt que de tout recommencer à zéro ».

L’initiative touche déjà 4.600 établissements et plus de 300.000 élèves. L’objectif est d’en faire la norme : 70 % des écoles primaires marocaines deviendront "pionnières” dès l’année prochaine, avant une généralisation complète à l’horizon 2028, précise le ministre. Les premiers résultats sont « encourageants », selon ses mots. Après trois années d’expérimentation, le taux de maîtrise des compétences fondamentales — lecture, écriture, mathématiques et sciences — est passé de 50 % à 67 %. Les écarts entre élèves s’en trouvent réduits, et les écoles pionnières enregistrent des performances supérieures à la moyenne nationale : « un élève y obtient en moyenne 20 points de plus qu’un élève d’une école classique », affirme-t-il.

Les progrès concernent aussi, selon lui, l’environnement d’apprentissage. « Toutes les écoles pionnières ont été réhabilitées, équipées d’outils numériques, de vidéoprojecteurs et de ressources pédagogiques validées par les inspecteurs. Les enseignants bénéficient d’un accompagnement régulier sur le terrain, assuré par quarante inspecteurs qui encadrent les établissements pilotes au quotidien ».

Mais Berrada se garde de tout triomphalisme. « Les réformes éducatives se mesurent dans le temps. Nous devons corriger, ajuster, persévérer », insiste-t-il.

L'approche axée sur les résultats

Cette même philosophie guide sa politique de gouvernance. Le ministère a instauré un système de marchés unifiés pour mettre fin aux écarts de prix dans les achats publics. Désormais, qu’il s’agisse d’un ordinateur, d’un vidéoprojecteur ou de matériel pédagogique, le prix est standardisé à l’échelle nationale — une mesure destinée à garantir l’équité et à prévenir les dérives, pour reprendre ses termes.

« Les responsables impliqués dans des malversations sont aujourd’hui poursuivis », affirme le titulaire du portefeuille de l’Éducation, qui revendique un changement de culture au sein de son administration. Dix-sept responsables régionaux ont été relevés de leurs fonctions et remplacés dans le cadre d’un vaste " plan de redéploiement". Chaque directeur d’académie est désormais soumis à un contrat de performance avec des indicateurs précis : taux de réussite, réduction du décrochage, efficacité budgétaire. Les directeurs provinciaux sont à leur tour évalués selon les mêmes critères. Une nouvelle gouvernance que le ministre résume en trois mots : responsabilité, transparence et performance.

Sur le terrain, il revendique une bataille prioritaire contre le décrochage scolaire. À en croire les chiffres présentés, plus de 300.000 élèves en situation de vulnérabilité font aujourd’hui l’objet d’un suivi régulier. Le système, fondé sur " un repérage individualisé", permet de détecter les risques d’abandon avant qu’il ne soit trop tard.

En trois ans, 14.000 enfants déscolarisés ont ainsi retrouvé le chemin de l’école. Pour ceux qui ne reviennent pas vers l’enseignement général, d’autres portes restent ouvertes : la formation professionnelle ou les centres de deuxième chance, où ils peuvent apprendre un métier et s’insérer dans la vie active. L’ambition, confie-t-il, est d’élargir rapidement le dispositif. « D’ici la fin de l’année, 35.000 jeunes en bénéficieront, et à moyen terme, ce nombre devrait dépasser les 80.000 ». La réforme, souligne-t-il, s’appuie sur un engagement financier sans précédent. Le budget du ministère est passé de 58 à 97 milliards de dirhams, indique-t-il. Le Maroc consacre 6,6 % de son PIB à l’éducation, « un niveau parmi les plus élevés au monde ».

En conclusion de l’émission, le ministre a été interpellé sur une critique récurrente : le Maroc irait plus vite à construire des stades qu’à réformer ses écoles. Une comparaison qu’il balaie d’un revers de main : « Construire un stade prend un an ou deux, mais former des enfants, c’est tout autre chose. La réforme ne repose pas sur les murs, mais sur les élèves », a-t-il répondu. Et d’ajouter : « On ne peut pas fermer les écoles pendant un an pour tout recommencer. Il faut avancer pas à pas, sans perturber leur parcours ».
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