Souad Badri
05 Novembre 2025
À 18:21
Le Matin : Cinquante ans après la Marche Verte, quel lecture faites-vous de ce tournant historique dans le dossier du Sahara marocain ?
Rachid Lazrak : La Marche Verte constitue un tournant très important dans l’évolution de l’affaire du Sahara marocain, et ce pour plusieurs raisons : elle est intervenue d’abord après que la Cour internationale de justice a reconnu, dans son avis consultatif, qu’il y avait des liens d’allégeance entre les tribus sahraouis et les Rois du Maroc, à travers le temps et surtout au moment de l’occupation du Sahara par l’Espagne. La deuxième raison est d’ordre politique : elle a permis au Maroc de faire échouer les tentatives de l’Espagne et l’Algérie de créer un État sur ce territoire. Enfin, l’importance de la Marche Verte réside dans le fait qu’elle a permis au Maroc de récupérer, de façon effective, son Sahara. Ce qui a créé une situation irréversible depuis 1975. Aujourd’hui, aucune armée au monde ne pourra faire sortir le Maroc de son Sahara.
Quels sont les contours de la vision de S.M. le Roi dans la gestion de ce dossier depuis son accession au Trône ?
Depuis son accession au Trône en 1999, Sa Majesté s’est trouvé conforté à une situation complexe au Sahara avec la décision du Conseil de sécurité d’organiser un référendum d’autodétermination où les populations devaient se prononcer sur soit l’indépendance, soit l’intégration au Maroc. Très vite, le Conseil de sécurité s’est trouvé devant l’impossibilité d’organiser ce référendum en raison des difficultés pour identifier les populations qui devaient participer au vote, sur la base du recensement espagnol de 1974. Sa Majesté a alors pris l’initiative, le 12 avril 2007, de soumettre au Secrétaire général des Nations unis une proposition d’autonomie, dans le cadre de la souveraineté marocaine. Le Conseil de sécurité a alors décidé d’abandonner le référendum pour s’orienter vers une solution politique, réaliste, pragmatique, durable et basée sur le compromis. En optant pour cette solution, le Conseil de sécurité était obligé de tenir compte de la réalité sur le terrain : c'est-à-dire le fait que c’est le Maroc qui administre, de façon effective, le territoire du Sahara, et ce grâce à la Marche Verte. La suite, nous la connaissons avec la résolution 2797 du 31 octobre 2025 qui a décidé que la solution de cette affaire ne pouvait se faire que dans le cadre du plan d’autonomie présenté par le Maroc en 2007.
Quels sont, selon vous, les facteurs diplomatiques, géopolitiques ou économiques qui ont permis au Maroc de bénéficier d'un tel soutien international ?
Je crois que le soutien dont a bénéficié le Maroc dans l’affaire du Sahara résulte de la crédibilité dont il jouit sur le plan international et cette crédibilité est le résultat de plusieurs facteurs. D’abord, le facteur diplomatique en ce sens que la diplomatie marocaine a déployé tous les efforts nécessaires pour montrer la justesse de notre cause nationale. Pour donner un exemple concret, avant le vote de la résolution 2797, M. Bourita s’est déplacé à Moscou pour présider avec son homologue russe la grande Commission maroco-russe et signer le traité de pêche qui permet aux navires russes de pêcher dans les eaux territoriales du Sahara. Sur le plan géopolitique, le Maroc a toujours eu une relation équilibrée avec tous les États. Ainsi, dans le conflit qui oppose la Russie à l’Ukraine, il n’a pas pris position et a préféré rester neutre, à un moment où il a des relations stratégiques avec les pays européens et les États-Unis. Sur le plan économique, le Maroc ne s’est pas contenté de récupérer son Sahara, mais a développé des projets de grande envergure en associant les pays africains et européens, notamment dans le projet d’acheminement du gaz du Nigeria vers les États africains limitrophes de l’Atlantique.
Quel est votre lecture du vote favorable des 11 pays, notamment les grandes puissances comme les États-Unis, la France, le Royaume-Uni et l’Espagne ?
Le vote de la résolution 2797 permet d’affirmer une première vérité : aucun État ne s’est opposé à cette résolution qui a été adoptée par 11 voix dont trois des membres permanents du Conseil de sécurité, à savoir les États-Unis, la Grande Bretagne et la France, sachant que l’Espagne ne fait pas actuellement partie du Conseil de sécurité, en tant que membre non permanent. Comme on le sait, l’Algérie n’a pas participé au vote, ce qui montre une fuite en avant, sachant que certains alliés l’Algérie, dont l’Iran, lui ont reproché de n’avoir pas voté contre. Quant aux absentions, celles de la Russie et la Chine, on les comprend compte tenu des relations qu’ils ont aujourd’hui avec les États-Unis, en tant que «Penholder». Quant au Pakistan, ce sont des raisons liées au territoire du Cachemire qui ont motivé leur abstention. Le Pakistan, qui est en conflit avec l’Inde concernant ce territoire, ne veut pas être en contradiction avec lui-même : il a refusé d’accorder à ce territoire un statut d’autonomie et ne pouvait donc pas voter pour une résolution qui accorde ce statut au Sahara.
Dans quelle mesure la régionalisation avancée et le nouveau modèle de développement des provinces du Sud participent-ils à la consolidation de la souveraineté marocaine et sont-ils des leviers de développement de la région ?
La régionalisation avancée et le nouveau Modèle de développement constituent deux leviers importants sur le plan politique et économique. La régionalisation avancée permettra une gestion plus autonome des régions marocaines et le modèle de développement peut consolider la souveraineté marocaine, sachant que S.M. le Roi, lors de Son discours, à l’occasion de la Fête du Trône, a demandé à ce qu’il y ait un nivellement sur le plan territorial permettant un rattrapage, en matière de développement, entre les régions défavorisées et les autres.
Enfin, quels défis voyez-vous à moyen terme pour le Maroc dans la gestion de ce dossier : diplomatiques, sécuritaires, économiques ou sociaux ?
Comme je l’ai toujours dit, la Marche Verte a permis au Maroc de récupérer, de façon effective, ses provinces du Sud. La dernière résolution du 31 octobre 2025 lui a donné une légitimité juridique en décidant que toute solution au conflit du Sahara ne peut être réalisée en dehors d’une autonomie sous souveraineté marocaine. Autrement dit, aujourd’hui, le Maroc est présent dans son Sahara avec un titre de propriété, dûment acté par le Conseil de sécurité des Nations unies. Cela dit, des négociations doivent être engagées, sur la base du plan d’autonomie, que présentera le Maroc avec une actualisation par rapport au document présenté en 2007. Ce sont les résultats de ces négociations qui devront être entérinés par le Conseil de sécurité pour clore définitivement ce dossier. Ce qui veut dire qu’il faut rester vigilant sur le plan diplomatique et sécuritaire, pour résoudre des problèmes complexes comme le retour des réfugiés ou encore le démantèlement de polisario.