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Réforme du CNP : Mehdi Bensaïd recadre le débat

La réforme du Conseil national de la presse (CNP) est, selon le ministre Mehdi Bensaïd, une nécessité politique et institutionnelle. Pour sortir d’un blocage devenu chronique, le texte vise à renforcer les prérogatives du CNP, encadrer les recours et adapter le secteur aux mutations numériques. Invité de l’émission Frontales (Medi1 TV), le ministre défend une réforme qu’il présente comme un outil de consolidation. Face aux critiques, il récuse toute volonté de reprise en main du gouvernement, tout en appelant le corps journalistique à assumer ses responsabilités.

03 Décembre 2025 À 17:45

Avant même que le texte de réforme ne soit pleinement débattu, une séquence a exacerbé la tension au sujet d’une réforme qui fait polémique. Fin novembre, une vidéo ayant fuité d’une réunion interne de la commission de déontologie du CNP a jeté de l’huile sur le feu et ravivé le clivage au sein de la profession. On y entend des propos tenus par des membres du Conseil, jugés attentatoires à la vie privée et à l’éthique professionnelle. L’effet est immédiat : les réseaux sociaux s’enflamment, la crédibilité du CNP est sérieusement entamée et plusieurs voix appellent à une refondation en profondeur de l’institution. Dans la foulée, des manifestations sont organisées pour dénoncer non seulement le contenu du projet de loi, mais aussi l’état de l’institution elle-même.



Pour Mohammed Mehdi Bensaïd, ministre de la Jeunesse, de la culture et de la communication, cette crise est révélatrice d’un blocage plus large : «Quand une institution est fragilisée au point que ses propres membres deviennent la source du discrédit, il faut intervenir. Mais il faut le faire pour réparer, pas pour punir.» Pour le ministre «Le droit de manifester est constitutionnel et je le respecte totalement», mais il ajoute aussitôt : «Parce qu’une institution connaît des difficultés, faudrait-il la supprimer ? Ce serait du nihilisme. Si demain il y a un problème au Parlement, faut-il supprimer le Parlement ?» Pour M. Bensaïd, la réforme vise précisément à éviter cet effondrement. Et à ceux qui l’accusent de vouloir enterrer le CNP, il répond par un rappel méthodique : «Nous avons prolongé son mandat en 2022 pour lui donner le temps d’organiser sa propre réforme. C’est parce que cette autorégulation n’a pas abouti que nous avons dû intervenir». Par ailleurs, précise-t-il, l’indépendance du Conseil empêche toute intervention directe du gouvernement. «C’est une instance autonome. Nous ne pouvons pas y intervenir comme bon nous semble. Nous ne nommons pas ses membres et nous n’avons pas d’autorité hiérarchique sur elle.»

Une réforme née d’un blocage structurel

Ainsi, le point de départ, selon M. Bensaïd, remonte à 2021. Le mandat du CNP arrivait à son terme, mais aucun mécanisme n’était prévu pour organiser les élections. «La loi fondatrice de 2016 ne précise pas qui doit convoquer les élections. Et le CNP nous a répondu qu’il ne disposait pas d’une base légale suffisante pour le faire lui-même.» Pour sortir de l’impasse, le ministère organise alors une rencontre à l’ISIC (Institut supérieur de l’information et de la communication) avec l’ensemble des composantes du secteur. Objectif : recueillir des propositions pour améliorer le cadre légal. «Nous leur avons dit clairement : mettez-vous d’accord, apportez vos amendements, nous vous accompagnerons. Mais ces discussions n’ont débouché sur aucune entente». C’est à partir de ce constat d’échec que le ministère décide de rédiger un projet de loi, en s’appuyant sur une feuille de route remise par le CNP lui-même. «Nous n’avons pas improvisé ce texte. Il est le produit d’un processus bloqué. Nous avons choisi d’en faire quelque chose d’utile.»

Des critiques entendues, mais pas toutes retenues Le ministre de la Jeunesse, de la culture et de la communication reconnaît que le projet n’est pas consensuel. Il fait même face à des réserves exprimées par deux institutions constitutionnelles: le Conseil économique, social et environnemental (CESE) et le Conseil national des droits de l’Homme (CNDH). «Nous avons pris en compte 80 des 90 remarques formulées. Certaines restent en débat, notamment sur la représentativité. Mais cela fait partie du processus législatif.» Sur ce point précisément, le ministre insiste sur une distinction essentielle : «Ce n’est pas le gouvernement qui impose une représentation. C’est au corps journalistique de décider comment il veut être représenté. Nous n’avons ni à trancher, ni à imposer.»

Représentation, déséquilibres : le cœur de la controverse

C’est là que le débat devient plus technique, mais aussi plus tendu. Le projet prévoit que les journalistes continuent à élire leurs représentants, tandis que les éditeurs seront désignés via leurs associations les plus représentatives. Un déséquilibre, selon les critiques, d’autant plus que le futur Conseil serait composé de 9 éditeurs, 7 journalistes, et 2 «sages». Mehdi Bensaïd répond d’abord par un rappel structurel : «Les directeurs de publication sont eux-mêmes journalistes. C’est un fait. Et les deux sages sont censés être des personnalités connaissant à la fois les métiers du journalisme et ceux de l’édition. Ce n’est pas une logique de domination, mais d’équilibre des profils.»

Quant au mode de désignation des éditeurs, il s’inspire, selon lui, d’un modèle éprouvé ailleurs : «Nous avons repris le principe utilisé à la Chambre des conseillers : les fédérations font campagne, et la plus représentative désigne ses membres. C’est ce que fait aussi la CGEM.» À ceux qui dénoncent un projet taillé sur mesure pour une seule association d’éditeurs, le ministre répond : «Il y a plusieurs fédérations, pas une seule. Et ce n’est pas au gouvernement de trancher entre elles. Ce clivage ne nous concerne pas.» Le ministre insiste par ailleurs sur ce qu’il considère comme le cœur de la réforme : le droit au recours. «Ce droit n’était pas clairement garanti dans la précédente loi. Désormais, une décision contestée pourra faire l’objet d’un premier recours interne, d’un deuxième devant une commission présidée par un juge, et enfin d’un recours judiciaire classique. C’est une garantie essentielle pour tous les acteurs.»

Une loi imparfaite, mais nécessaire

Tout au long de l’émission, Mehdi Bensaïd revient sur un argument central : cette réforme n’est pas un aboutissement, mais une étape. «Les lois évoluent. Celle-ci aussi évoluera. Mais il fallait sortir de l’impasse. Si on attend le consensus absolu, on n’avance jamais.» Il évoque un secteur fragmenté, où même les présidents d’associations ne sont pas suivis par leurs vice-présidents. «Nous avons rencontré tout le monde. Et chacun nous dit que son propre camp n’est pas d’accord. On ne peut pas attendre une entente qui n’arrive pas.» Et de conclure sur ce point : «Le choix était simple : soit on enterre le CNP, soit on le réforme pour le sauver. Nous avons fait le choix de la consolidation.»

Vers une vision plus large ? Dans la dernière partie de l’émission, Mehdi Bensaïd élargit la focale. Oui, dit-il, il faut réfléchir à l’avenir des médias. Oui, il faut intégrer les créateurs de contenus, les podcasteurs, les plateformes. Et oui, l’intelligence artificielle va bouleverser l’écosystème. «Nous avons déjà entamé plusieurs chantiers : une réforme de la HACA, une réflexion sur la régulation des réseaux sociaux, des discussions sur la souveraineté médiatique, les assises de la publicité. Mais cela prend du temps, car il faut travailler avec toutes les parties concernées.» Le rôle du futur CNP, dans cette architecture, serait aussi d’accompagner ces mutations. «Nous avons besoin d’une instance forte, légitime, crédible. Pas d’un champ de bataille.»
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