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Presse et édition: le projet de loi sur le CNP, une chance inouïe pour redresser le secteur

Face à la crise sans précédent qui frappe le secteur médiatique marocain, l'Association nationale des médias et des éditeurs (ANME) a organisé le 18 septembre 2025 à Casablanca un débat autour du projet de loi 25-26 sur le Conseil national de la presse. Les chiffres présentés lors de cette table ronde dressent un tableau alarmant: chute de 58% des ventes de la presse écrite en cinq ans, domination écrasante du digital avec 80% des entreprises médiatiques et, pire encore, la presse papier ne capte que 7% des investissements du marché publicitaire. Dans ce contexte de bouleversements profonds, les acteurs du secteur voient dans cette réforme législative la dernière chance pour relancer et restructurer une profession en quête d’un nouveau souffle pour asseoir les bases de son autonomie et de sa crédibilité.

Ph: Sradni
Ph: Sradni
Dire que le secteur de la presse au Maroc n’est pas au mieux de sa forme est un euphémisme. Le constat dressé par les professionnels réunis à Casablanca le 18 septembre 2025, en marge de l’Assemblée générale ordinaire de l'Association nationale des médias et des éditeurs, donne en effet froid dans le dos. Les intervenants de cette table ronde consacrée à la vision de l’Association en ce qui concerne la réforme du Conseil national de la presse ont unanimement tiré la sonnette d'alarme sur l'état critique d'un secteur qui parvient depuis quelques années à tout juste se tenir debout.



Des chiffres qui donnent froid dans le dos
Dans son intervention à cette occasion, Mohammed Haitami, pésident-directeur général du groupe Le Matin, n’a pas fait dans la dentelle. Les statistiques qu'il a présentées ne laissent aucune place au doute, révélant l'ampleur d'une hémorragie qui semble difficile à endiguer. En 2024, le Maroc comptait 554 entreprises de presse enregistrées auprès du Conseil national de la presse, dont 443 sont exclusivement numériques, représentant 80% du total. Cette digitalisation massive s'accompagne d'un effondrement spectaculaire de la presse écrite : les ventes quotidiennes sont passées de 4.399 exemplaires en 2019 à seulement 1.850 en 2024, avec des projections encore plus pessimistes de 1.655 pour 2025.

Plus inquiétant encore, M. Haitami révèle que 51% des entreprises de presse ne disposent pas du minimum requis de quatre journalistes. «Le secteur est fragmenté et fragilisé», a-t-il affirmé, pointant du doigt une précarisation généralisée qui touche l'ensemble de la chaîne de valeur médiatique. Le marché publicitaire, évalué à 2,5 milliards de dirhams en 2024, illustre cruellement cette marginalisation : la télévision capte 34% des investissements, l'affichage 32%, la radio 26%, tandis que la presse écrite ne récolte que des miettes : quelque 7% du total.

Le projet de loi 25-26 : bouée de sauvetage ou pansement sur une jambe de bois ?
Face à ce tableau sombre, le projet de loi 25-26 apparaît aux yeux de l'ANME comme une opportunité historique de refondation du secteur. Driss Chahtane ne mâche pas ses mots lorsqu'il affirme que cette réforme constitue «une chance unique de redonner au Conseil national de la presse toute son autonomie et de protéger la profession». L'enjeu dépasse largement le cadre législatif : il s'agit de rien de moins que de sauver un secteur en voie de disparition tout en restaurant sa crédibilité auprès du public.

Sauf que pour d’autres intervenants, la situation est beaucoup plus compliquée qu’il n’y paraît. Car si certains voient dans ce texte une bouée de sauvetage, d'autres s'interrogent sur sa capacité réelle à endiguer une crise qui semble avant tout économique et structurelle. Comment un simple cadre législatif pourrait-il inverser des tendances lourdes dictées par la révolution numérique et l'évolution des comportements de consommation de l'information ?

Retour sur un âge d'or révolu
Pour comprendre l'ampleur du séisme qui secoue la presse marocaine, Abdelmounaïm Dilami, fondateur de l'ANME, a replongé l'assistance dans l'histoire récente du secteur. «Quand nous avons créé “L'Économiste” en 1991, la scène médiatique était dominée par la presse partisane», rappelle-t-il avec une pointe de nostalgie. L'émergence progressive d'un marché publicitaire structuré avait alors permis l'éclosion d'une presse indépendante dynamique et prospère pendant une quinzaine d'années.

Mais cette période faste, que beaucoup considèrent aujourd'hui comme l’âge d'or de la presse écrite, s'est brutalement achevée avec l'irruption du numérique. «On ne freine pas le changement, soit on s'y adapte, soit il nous balaie !», martèle M. Dilami. Le diagnostic qu’il fait est sans appel : le secteur a raté le virage de la transformation digitale, et les institutions censées l'accompagner n'ont pas été à la hauteur des défis.

L'analyse historique met en lumière un paradoxe cruel : alors que la technologie a considérablement réduit les barrières à l'entrée dans le secteur médiatique, permettant théoriquement une démocratisation de l'information, elle a simultanément détruit le modèle économique qui permettait aux médias traditionnels de financer un journalisme de qualité. C’est alors qu’on a assisté à l’éclosion d’une myriade de sites sans garde-fou. M. Haitami a tenu à souligner qu'au-delà des 554 entreprises officiellement enregistrées, il existe environ 2.000 sites d'information et des milliers de pages sur les réseaux sociaux qui échappent à tout cadre réglementaire.

Une profession en quête d'identité et de moyens
Car justement, la crise que traverse la presse marocaine ne se limite pas aux aspects économiques. Elle touche à l'essence même du métier de journaliste et à sa perception par la société. Khalid El Hourri, directeur de publication d'«Assabah», résume la situation avec gravité : «Nous sommes à une période charnière de notre histoire et nous devons réagir dès maintenant si nous voulons bâtir une presse forte et robuste».

Cette urgence à agir se heurte néanmoins à des obstacles structurels considérables. Les données présentées par M. Haitami révèlent une précarisation généralisée du secteur : 27,6% des entreprises de presse n'emploient qu'un seul journaliste, et les taux de retour des invendus atteignent des sommets vertigineux, dépassant 90% pour 24% des quotidiens. Dans ce contexte, comment garantir la qualité de l'information et le respect de la déontologie professionnelle ?

Khalid El Hariri, PDG de TelQuel Media, dresse un diagnostic sans concession de cette crise multiforme. Selon lui, cette crise «touche à la fois la production de contenus de qualité, l'organisation interne des entreprises, la gestion et la lutte contre la désinformation». Dans son analyse, il met en évidence l'interconnexion des différents dysfonctionnements qui minent le secteur, soulignant la nécessité d’adopter une approche holistique si l’on espérer un redressement.

L'intelligence artificielle et les défis de demain
L'irruption de l'intelligence artificielle dans le paysage médiatique constitue à la fois une menace et une opportunité pour une presse marocaine déjà fragilisée. Driss Chahtane insiste sur la nécessité d'une «reconnexion avec les valeurs fondatrices du journalisme, à l'ère du numérique, de la digitalisation et de l'intelligence artificielle». Cette adaptation technologique requiert des investissements conséquents et des compétences nouvelles que peu d'entreprises de presse peuvent avoir dans le contexte actuel. Le défi est d'autant plus complexe que 90% du contenu consommé aujourd'hui est visuel, nécessitant une expertise technique que le secteur peine à attirer et retenir. Les meilleurs talents sont systématiquement aspirés par des industries plus lucratives, laissant les médias traditionnels dans une spirale de déclin qualitatif qui alimente la défiance du public.

Un appel à la responsabilité collective
Face à l'ampleur des défis, les participants à la table ronde de Casablanca ont lancé un appel unanime à la mobilisation de tous les acteurs de l'écosystème médiatique. «La responsabilité est collective : journalistes, chercheurs, éditeurs et organismes doivent contribuer à cette refonte stratégique», insiste Driss Chahtane. Cette vision collaborative constitue peut-être la seule voie viable pour sortir de l'ornière. Le temps presse et les chiffres présentés lors de cette rencontre ne laissent plus de place au doute : c'est maintenant ou jamais.

Mohammed Haitami : le papier c’est fini ! Radioscopie d'un secteur moribond

Presse et édition: le projet de loi sur le CNP, une chance inouïe pour redresser le secteur



L’intervention de Mohammed Haitami, président-directeur général du groupe Le Matin, n’a pas laissé de marbre les journalistes et patrons de journaux présents dans la salle ce jeudi 18 septembre 2025. Chiffres à l’appui, il a expliqué avec méthode le naufrage économique de la presse marocaine. «Les statistiques parlent d'elles-mêmes», prévient-il d'emblée, avant de dresser un état des lieux sans concession.

Premier constat accablant : sur les 554 entreprises de presse enregistrées auprès du Conseil national de la presse fin 2024, 80% opèrent exclusivement dans le digital. «Même celles qu'on appelle encore “presse écrite” sont désormais totalement dépendantes de leurs plateformes numériques. Le papier seul, c'est fini», assène Mohammed Haitami. Mais le plus inquiétant reste la structure même de ces entreprises : plus de la moitié ne disposent pas du minimum vital de quatre journalistes professionnels. «Nous avons 153 médias qui fonctionnent avec un seul journaliste. Un seul ! Comment peut-on parler de pluralisme éditorial dans ces conditions ?», s’interroge-t-il à juste titre.

Les détails déroulés dessinent un paysage médiatique atomisé : 27,6% des entreprises n'emploient qu'un seul journaliste, 14,1% en ont deux, 9,4% en ont trois. À peine 11,7% des structures médiatiques marocaines dépassent les huit journalistes. «Nous ne parlons plus d'entreprises de presse, mais de micro-structures de survie», commente-t-il. La répartition des 3.751 journalistes détenteurs de la carte professionnelle révèle d'autres déséquilibres structurels. Le secteur reste massivement masculin (69,7%) et arabophone (82,2%). La diversité linguistique du Royaume peine à se refléter : seulement 3,1% travaillent en amazigh, 0,6% en espagnol et 0,5% en anglais.

Mais c'est quand il aborde les chiffres de diffusion que le ton de M. Haitami devient particulièrement grave. Les données de Sapress, principal distributeur de journaux, racontent l'histoire d'un effondrement spectaculaire : de 4.300 exemplaires quotidiens distribués en 2019, on est tombé à 1.850 en 2024, avec une prévision apocalyptique de 1.665 pour 2025. «La pandémie de Covid a été le coup de grâce : moins 58% en 2020, moins 62% en 2022. Nous n'avons jamais récupéré !» déplore-t-il.

Le PDG du Groupe le Matin, qui dirige également les imprimeries du Matin, dont les rotatives impriment 90% de la presse nationale, avance un chiffre tout aussi glaçant : «Nous sommes passés de 58 millions d'exemplaires imprimés en 2016 à 18 millions en 2024. En parallèle, le nombre de titres est passé de 24 à 32. Plus de journaux, moins de lecteurs».

L'analyse du marché publicitaire achève de noircir le tableau. Sur les 7,2 milliards de dirhams d'investissements publicitaires en 2024, la télévision capte 2,5 milliards, l'affichage 2,3 milliards, la radio 1,9 milliard. La presse ? 500 millions seulement. «Mais attendez, ce n'est pas le pire», s’alarme M. Haitami. «Le digital génère entre 2 et 2,5 milliards de dirhams de revenus publicitaires. Savez-vous combien reste au Maroc ? 600 millions. Le reste part directement dans les poches de Facebook, YouTube et TikTok. Notre part finale ? 7% du gâteau publicitaire total».

Et comble de paradoxe ! alors que l’avenir du secteur semble compromis, 125 instituts et établissements délivrent des diplômes de journalisme au Maroc. «Nous formons des bataillons de journalistes pour un secteur qui ne peut même pas les nourrir. Ces jeunes débarquent avec leur diplôme, réclament leur carte de presse, mais n'ont jamais été formés aux réalités du métier : production audiovisuelle, podcast, maîtrise de l'intelligence artificielle... Les compétences dont nous avons désespérément besoin», se désole M. Haitami.

Abdellah El Bakkali : les pourfendeurs du texte passent à côté de l’essentiel

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Abdellah El Bakkali, président de la commission de la carte de presse professionnelle au sein de la commission provisoire, n'a pas caché son agacement face à ce qu'il considère comme un débat stérile. Dans son intervention, il s’est attelé à démonter les critiques adressées au projet de loi, «superficielles et contre-productives», selon lui. «Soyons sérieux !», a-t-il martelé avec une pointe d'exaspération. «Les réactions sont normales, aucune loi au monde ne fait l'unanimité. Mais là, on atteint des sommets d'absurdité. Tout ce cirque pour quatre articles ! Quatre articles sur plus de quatre-vingt-dix ! Pendant que tout le monde s'écharpe sur ces questions de représentativité, personne ne parle des véritables révolutions que contient ce texte».

Les chiffres avancés par M. El Bakkali sont édifiants : sur les 248 amendements déposés à la Chambre des représentants, plus de 80% se concentraient sur ces quatre malheureux articles relatifs à l'accès au Conseil. «Les amendements substantiels, ceux qui touchent au cœur de la réforme, représentent à peine 10% du total. C'est un débat peu convaincant, pour rester poli», lâche-t-il. Pour enfoncer le clou, M. El Bakkali convoque l'exemple de la Fédération internationale des journalistes, forte de ses 600.000 membres et 156 syndicats : «Là-bas, le vote se fait selon le poids et le nombre d'adhérents, pas selon une égalité arithmétique. Le syndicat marocain dispose de trois voix, l'irakien de huit. Personne ne crie au scandale. C'est la réalité de la représentativité proportionnelle» argumente-t-il.

C'est en abordant une des plus importantes innovations du texte que ce journaliste chevronné prend un air à la fois solennel et grave. «Savez-vous quel était notre plus gros problème ? L'absence totale de cadre juridique pour organiser les élections du CNP à la fin de son mandat. Un vide juridique béant ! Le nouveau projet y remédie avec trente articles détaillant minutieusement les procédures électorales, plus des dispositions pour créer une commission provisoire en cas d'urgence». Le président de la commission de la carte de presse énumère ensuite d’autres avancées majeures : «Pour la première fois, les décisions de la commission de médiation et d'arbitrage pourront recevoir la formule exécutoire des tribunaux. Fini le flou juridique qui paralysait nos décisions !»

Sur la question explosive des diplômes, M. El Bakkali lève le voile sur une situation ubuesque : «127 établissements délivrent des formations en journalisme. 127 ! Entre les accrédités, les reconnus, les autorisés et les sans statut, c'est le far-west complet. Le nouveau texte donne enfin au CNP le pouvoir d'établir des procédures strictes de reconnaissance des diplômes». Mieux encore, pour M. El Bakkali, il y a d’autres innovations tout aussi important qui sont tues. Là , il évoque tour à tour : «Publication des décisions disciplinaires de la commission d'éthique, délais stricts pour le traitement des dossiers disciplinaires qui pouvaient traîner des années, définition claire de l'entreprise de presse, procédures transparentes pour l'obtention de la carte professionnelle... Au lieu de regarder cela, on préfère se chamailler, pour le nombre de sièges».

Pour autant, M. El Bakkali refuse de diaboliser la période transitoire : «Regardons les choses avec objectivité. Passer de zéro organisation professionnelle à un Conseil national est déjà un exploit. C'était une phase fondatrice, forcément imparfaite, comme toutes les expériences constitutionnelles naissantes. Six ans de pratique ont révélé des dysfonctionnements. Très bien ! Corrigeons-les avec intelligence au lieu de tout jeter aux orties». Pour toutes ces raisons, M. El Bakkali estime que «Le débat sur la représentativité ou le nombre de sièges reste secondaire face aux enjeux structurels. Nous avons l'opportunité de corriger les défauts de ce système naissant, de consolider l'autorégulation, de professionnaliser vraiment le secteur. Si on rate ce virage parce qu'on s'est perdus dans des querelles, l'histoire ne nous le pardonnera pas.»

Younès Mjahed : éditeurs et journalistes, c’est quasiment le même combat

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L'intervention de Younes Mjahed, qui a présenté sa vision de la réforme du secteur, était fort attendue. Le président de la commission provisoire chargée de la gestion du secteur de la presse et de l'édition a d'entrée de jeu a exposé son credo : «Le renforcement de l'entreprise de presse constitue le cœur de toute réforme envisageable. Sans structures solides, pas d'éthique professionnelle, pas de cartes de presse crédibles, pas de production éditoriale responsable».

Pour lui, le message est clair : l'autorégulation que tout le monde appelle de ses vœux ne peut être l'œuvre que d'institutions véritablement structurées, pas de micro-entités instables. «Nous avons consacré 60% de notre travail à cette question cruciale», révèle M. Mjahed, détaillant les axes prioritaires de son action : la lutte contre le piratage, l'amélioration de l'environnement économique et social, le renforcement des capacités financières des entreprises. «Le nouveau projet de loi répond en grande partie à ces orientations, notamment en ce qui concerne les conditions d'exercice professionnel : capacités financières renforcées, nombre requis de journalistes, engagement ferme sur le respect de la déontologie».

Mais c'est sur la question de l'éthique que M. Mjahed se montre le plus intransigeant. «Que les choses soient claires : toute organisation qui aspire à siéger au Conseil national de la presse doit s'engager totalement et sans réserve dans le respect de l'éthique. Ce n'est pas négociable». Pour appuyer son propos, il convoque les exemples internationaux : «Regardez l'Égypte, regardez la France. Partout, on exige des garanties financières, un nombre minimum de journalistes professionnels, des commissions mixtes qui valident les accréditations et révisent périodiquement les conditions d'exercice. Pourquoi serions-nous moins exigeants ?» s’interroge-t-il.

Le président de la commission provisoire rappelle à cet égard que cette vision n'est pas nouvelle. «Le Syndicat national de la presse marocaine a toujours défendu ce principe : le développement de la profession passe nécessairement par le renforcement de l'entreprise de presse. Oui, il y a eu des tensions avec les éditeurs, mais c'était conjoncturel, tactique. La ligne stratégique n'a jamais varié : consolider les entreprises comme socle de la réforme».

M. Mjahed évoque avec une certaine émotion le tournant de 2005, lors de la rencontre de Skhirate : «Ce fut un moment décisif. Le Premier ministre de l'époque, Driss Jettou, était présent. Nous avons posé les bases du principe de généralisation du soutien public à toutes les composantes de la presse nationale». Cette dynamique a débouché sur des avancées concrètes : signature de conventions collectives, projet de création d'une institution d'œuvres sociales pour les journalistes, premières pierres du futur Conseil national de la presse.

«Savez-vous ce qui a bloqué ce processus prometteur ?» s’interroge-t-il, avant de donner la réponse : «Le désaccord sur les peines privatives de liberté. Le syndicat a refusé catégoriquement de signer la loi sur la presse tant que ces sanctions n'étaient pas supprimées. Cela montre que nous avons toujours défendu simultanément l'entreprise et le journaliste. Les deux sont indissociables». Et le président de la commission provisoire de brandir symboliquement un document massif. «230 pages. C'est le rapport que nous avons remis au gouvernement. Une véritable feuille de route pour une réforme globale du secteur», dit-il, précisant que «le projet de loi 26.25 n'est qu'une première étape, s’intéressant aux aspects liés à l’éthique, la carte professionnelle, la médiation ou l’arbitrage. Il ne couvre pas, tant s'en faut, toutes les dimensions de l'industrie médiatique marocaine». Pour lui, cette nuance est d’importance : «Nous posons les fondations. Le chantier complet prendra des années. Mais sans ces bases solides – entreprises viables, éthique respectée, professionnalisation réelle –, nous continuerons à bricoler dans le vide», conclut-il.

Le coup de gueule de Bahia Amrani

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L'intervention de Bahia Amrani, directrice de publication de l'hebdomadaire «Le Reporter», a marqué les esprits par sa franchise. Elle était visiblement agacée par les critiques adressées au projet de loi 26.25 qu'elle a qualifiées de «tempête dans un verre d'eau». «Après des décennies dans ce métier, je pensais avoir tout vu. Mais là, franchement, je suis stupéfaite par l'ampleur de cette polémique, surtout quand on réalise que certains de ceux qui s'expriment avec le plus de véhémence n'ont probablement même pas pris la peine de lire le texte intégral», lance-t-elle avec une pointe d'ironie. Pour Mme Amrani, le débat actuel passe complètement à côté de l'essentiel. «Nous avons mis quatorze ans – quatorze longues années ! – pour aboutir au Code de la presse de 2016. Et aujourd'hui, certains voudraient tout remettre en question après seulement quelques années d'application ?»

Mme Amrani dresse un tableau sombre de l'époque pré-CNP, quand l'arbitraire administratif régnait en maître. «Les décisions administratives primaient les décisions judiciaires. Des journaux étaient interdits du jour au lendemain, sans procédure judiciaire, sur simple décision d'un fonctionnaire. C'était ça, la réalité de notre quotidien», martèle-t-elle. Dans ce contexte, l'émergence du Conseil national de la presse représentait une victoire historique pour l'autorégulation et l'indépendance éditoriale.

Le transfert de la délivrance des cartes de presse du ministère vers le CNP constitue, selon elle, bien plus qu'un simple changement de procédure administrative : «C'est le symbole même de notre émancipation. Nous avons arraché cette prérogative des mains de l'Administration pour la confier à nos pairs. C'est ça, l'autorégulation !» Son ton se fait plus incisif quand elle évoque la question des sanctions disciplinaires, point épineux des débats actuels. «Oui, certaines sanctions peuvent paraître sévères. Mais préférez-vous qu'elles soient décidées par nous-mêmes, entre professionnels qui connaissons les réalités du terrain, ou par des bureaucrates dans leurs bureaux ?»

Mme Amrani rappelle avec fierté les batailles menées devant la «Commission Mennouni» (chargée de la révision de la Constitution en 2011), où professionnels et éditeurs ont uni leurs voix pour inscrire l'indépendance du CNP dans le texte constitutionnel. «Nous avons obtenu ce que nous voulions. Le Conseil existe, il fonctionne, il a fait ses preuves. Maintenant, si certains veulent évaluer son bilan, ils sont libres. Mais de grâce, qu'on arrête de remettre en cause ses fondements !»

C’est pourquoi Mme Amrani défend avec vigueur et conviction l’approche proposée par l'ANME. Elle salue la méthodologie claire mise en place par le bureau exécutif dirigé par Driss Chahtane, qui articule son action autour d'un programme structuré couvrant les dimensions économique, professionnelle et politique du secteur. «Ce qui compte, ce n'est pas qui siège au Conseil, mais ce qu'il fait concrètement. L'approche programmatique que nous défendons s'inspire des meilleures pratiques internationales : une équipe élue sur la base d'un programme clair, évaluée sur ses résultats concrets à la fin de son mandat».

Face aux critiques sur le système de mandats proposé, Mme Amrani balaie les objections d'un revers de main : «Franchement, où est le problème ? L'essentiel, c'est la clarté du programme, sa pertinence, son exécution. Le reste, c'est du bruit pour rien», estime-telle. Mme Amrani conclut son intervention par un appel vibrant : «Le véritable enjeu reste et restera toujours le même : garantir l'autorégulation de notre profession et préserver son indépendance».

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