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Résolution 2797 : analyse de la portée historique d’une victoire inédite

La résolution 2797 marque un tournant majeur dans l’approche internationale du dossier du Sahara. C’est la conviction exprimée par les diplomates, chercheurs et universitaires réunis à la FSJES à Rabat, le 28 novembre 2025, et qui voient dans ce texte adopté par le Conseil de sécurité non seulement une clarification décisive du cadre politique, désormais centré sur l’autonomie sous souveraineté marocaine, mais aussi la consolidation d’une lecture historique, juridique et géopolitique longtemps défendue par le Maroc. Pour eux, la décision onusienne opère une rupture : elle ferme la porte aux ambiguïtés passées, redéfinit les «parties» impliquées et situe la souveraineté marocaine dans une continuité étatique que l’histoire et le droit confirment.

30 Novembre 2025 À 17:10

Il y a désormais un «avant» et un «après» 31 octobre 2025. C’est ainsi que plusieurs chercheurs, professeurs et diplomates marocains ont qualifié la nouvelle résolution 2797 du Conseil de sécurité, adoptée après un bras de fer diplomatique inédit. Plus qu’un texte onusien, les intervenants réunis lors de ce colloque scientifique y voient la reconnaissance internationale d’un ordre nouveau, fondé sur «la souveraineté pleine et entière du Maroc» et sur «la centralité du plan d’autonomie comme unique solution politique réaliste».

«Ce que nous vivons aujourd’hui est une rupture historique»

«Ce qui se joue depuis le 31 octobre 2025 est un tournant majeur dans l’histoire du Maroc», affirme d’emblée Nadir El Moumni, professeur de droit constitutionnel et de science politique à l’Université Mohammed V de Rabat. Pour lui, la résolution 2797 «n’est pas un simple texte, mais un marqueur historique» qui clôt un demi-siècle de tentatives d’instrumentalisation et d’ambiguïtés. Il rappelle notamment que le texte mentionne l’autonomie six fois, un précédent sans équivalent. «Pour la première fois, un Conseil de sécurité parle de l’autonomie avec une telle densité. C’est un basculement réel : le cadre des discussions n’est plus ouvert, il est désormais circonscrit à l’autonomie sous souveraineté marocaine. Et d’ajouter : «Il y avait avant cette date une forme d’indétermination. Aujourd’hui, il n’y a plus de place pour les lectures fantaisistes. La voie est unique.»

Le refus de la manœuvre algérienne

Pour Hassan Abdelkhalek, juriste et diplomate, mais surtout le dernier ambassadeur du Maroc à Alger, la résolution 2797 vient clore «un long voyage diplomatique», durant lequel le Maroc a défendu avec constance son intégrité territoriale face aux «multiples tentatives de manipulation» du dossier. Ce texte, affirme-t-il, consacre que «nul règlement n’est possible en dehors de la souveraineté marocaine» et fait du plan d’autonomie «le seul cadre réaliste et viable». Il rappelle l’échec du plan de règlement fondé sur un référendum devenu impossible à organiser : le processus d’identification, miné par les blocages adverses, a produit des listes «tronquées et dépourvues de crédibilité», obligeant le Maroc à déposer «31.000 recours». L’ONU a fini par conclure à l’inapplicabilité du référendum. Dans ce contexte est apparu l’accord-cadre de 2001, accepté par le Maroc «par esprit de compromis», mais rejeté par les séparatistes «sous l’influence directe de l’Algérie». Alger a alors tenté de pousser «la carte du partage, une option inacceptable et contraire au droit international», souligne-t-il. Sa Majesté le Roi Mohammed VI avait d’ailleurs fermé la porte à toute idée de morcellement, lors du Conseil des ministres de Dakhla en 2002.
M. Abdelkhalek rappelle que, depuis 2007, l’Algérie a multiplié les tentatives pour neutraliser l’initiative marocaine d’autonomie, tandis que le «contre-plan» séparatiste «ne proposait rien, sinon revenir au vieux plan de règlement déjà enterré par l’ONU». La résolution 2797 met fin à cette période d’ambiguïté : elle cite six fois l’autonomie, preuve que l’ONU la considère désormais comme «le cœur du processus», et non comme une option parmi d’autres. Il met en avant un point politique essentiel : la résolution parle des «parties», et jamais des «deux parties», consacrant ainsi l’implication directe de l’Algérie. La publication de la version arabe a d’ailleurs été retardée de 24 jours après une tentative d’Alger de modifier la traduction, «mais ils ont échoué», dit-il. Pour M. Abdelkhalek, la dynamique actuelle reflète un consensus international solide : «Le Maroc est dans son Sahara, et le Sahara est dans son Maroc.»

Une diplomatie marocaine «patiente, tenace, stratégique»

Pour Nadir El Moumni, Faculté des sciences juridiques, économiques et sociales (FSJES) Souissi, cette victoire diplomatique n’est pas le fruit du hasard. «C’est le résultat d’un travail de plusieurs décennies, d’une diplomatie d’État patiente, tenace, lucide. Le Maroc n’a jamais cédé aux provocations. Il a avancé avec méthode.» Une idée que partage Idriss Qoraich, professeur universitaire et spécialiste de l’Europe de l’Est, qui décrit la stratégie marocaine comme «Une diplomatie du temps long, constante, cohérente, enracinée dans la légitimité historique et animée par la vision de Sa Majesté le Roi Mohammed VI.» Pour lui, la résolution 2797 «met fin aux illusions séparatistes» et confère au plan d’autonomie un statut totalement nouveau. «Ce n’est plus un simple projet marocain. C’est désormais un cadre politique internationalement reconnu.»

Le Maroc comme «État-nation»

Le professeur Idriss Qoraich a longuement insisté sur la profondeur historique de l’État marocain, rappelant que la stabilité du pays reposait sur «la continuité exceptionnelle d’un État-nation pluriséculaire». «Pourquoi ne pas analyser le Maroc comme une véritable État-nation ? Pourquoi ne pas mettre en lumière cette longévité, cette cohérence, cette fidélité historique que peu de pays peuvent revendiquer ? C’est cette réalité qui fonde la crédibilité internationale du Maroc.» Pour lui, cette continuité explique même la position de la Russie, dont l’abstention constructive à l’ONU a levé plusieurs inquiétudes «La Russie n’a jamais voté contre l’intégrité territoriale du Maroc. Il existe entre les deux pays une relation historique ancienne, fondée sur la considération et le respect.»

«La souveraineté marocaine n’a jamais cessé d’exister»

L’un des moments forts du colloque fut l’intervention de Dr Zin El Abidin El Hussaïni, historien et professeur universitaire, qui a replacé la question du Sahara dans la longue durée. «La souveraineté marocaine sur son Sud n’a jamais disparu. Ni sous les protectorats, ni face aux tentatives impériales, ni durant les pages les plus sombres du XXᵉ siècle.» Il cite notamment «Le Monde» au moment de la Marche Verte, qui l’avait décrite comme «une opération pacifique inédite dans l’histoire moderne», avant de rappeler : «La Marche verte n’était pas un point de départ, mais l’aboutissement de siècles de continuité historique, religieuse, sociale et politique entre le Nord et le Sud.» Son intervention, nourrie de manuscrits, d’actes d’allégeance et de chroniques du Maroc pré-colonial, démontre l’ancienneté des liens juridiques et territoriaux entre les Sultans marocains et les tribus sahariennes.

«L’unité ne se décrète pas, elle se construit»

Le professeur Ahmed Soudani, spécialiste des systèmes politiques comparés, a rappelé que l’Espagne, acteur clé du dossier, n’a jamais réussi à stabiliser son territoire malgré des tentatives répétées. «L’Espagne a essayé la monarchie, la république, la dictature, la transition démocratique. Elle a tout tenté. Mais les nationalismes régionaux n’ont jamais disparu.» Il évoque également les périodes de forte centralisation, parfois extrême : «On a confisqué des terres pour les redistribuer, on a supprimé les contre-pouvoirs locaux. Mais une unité imposée par la contrainte administrative ne dure jamais.»
Cette comparaison vise à mettre en lumière le modèle marocain, fondé sur la cohésion historique, culturelle et constitutionnelle. «L’identité marocaine est plurielle, mais unifiée. C’est cette cohésion qui rend l’autonomie non seulement possible, mais naturelle.» Dans cet élan, le Pr Ahmed Soudani a insisté sur le rôle central de la Constitution de 2011 : «L’article 5 crée une obligation : l’État doit préserver la culture hassanie. Ce n’est pas un élément régional. C’est une composante essentielle de l’identité marocaine unifiée.» Cette dimension culturelle, longtemps négligée dans les analyses internationales, devient désormais un argument juridique majeur.

«Le Maroc en position de force pour ouvrir une nouvelle page régionale»

Ainsi, à la fin du colloque, le constat partagé par les différents intervenants était clair : la résolution 2797 ne marque pas seulement la consolidation d’une position marocaine, mais peut ouvrir une nouvelle ère pour l’ensemble de la région. Comme le résume Hassan Abdelkhalek : «Nous ne cherchons pas la victoire d’un camp contre un autre. Nous cherchons la stabilité régionale. Le Maroc est prêt à ouvrir une nouvelle page, dès que l’Algérie sera prête à tourner la sienne.»

Pourquoi la Russie n’a pas opposé son veto à la résolution 2797 ?

La position de la Russie lors du vote de la résolution 2797 a, dès le début, nourri des interrogations. Certains observateurs redoutaient une inflexion négative de Moscou, à un moment où la scène internationale est traversée par de fortes turbulences. Idriss Qoraich, professeur universitaire et spécialiste de l’Europe de l’Est, balaie ces inquiétudes. «Ces craintes étaient totalement infondées», affirme-t-il, s’appuyant sur une connaissance intime de la Russie, où il a vécu plus de trente-cinq ans. À ses yeux, la posture russe n’est ni une surprise, ni une concession : elle s’inscrit dans une continuité diplomatique assumée. Plutôt que de bloquer la résolution ou d’en atténuer la portée, Moscou a choisi ce que M. Qoraich qualifie d’«abstention constructive». Une abstention, dit-il, «sans recours à aucun mécanisme dilatoire, sans chercher à amoindrir ou à neutraliser le texte». Ce comportement est, selon lui, un message politique en soi : la Russie ne s’oppose ni au fond du texte ni au cadre politique qu’il consacre, celui de l’autonomie sous souveraineté marocaine. «C’est un geste significatif, qui renforce la légitimité du Maroc et conforte la pertinence du choix de l’autonomie», insiste-t-il.
Pour comprendre cette attitude, M. Qoraich invite à remonter le fil de l’histoire. Il rappelle que les relations entre Rabat et Moscou ne sont pas nées d’un alignement opportun, mais d’une tradition vieille de près de trois siècles. Dès le XVIIIᵉ siècle, sous le règne du Sultan Sidi Mohammed Ben Abdallah et de la Tsarine Catherine II, les deux pays avaient établi des liens diplomatiques fondés sur la considération mutuelle. L’accord commercial de 1772, résultat d’un long échange de correspondances entre les deux cours, est à ses yeux un moment fondateur. «L’un des articles les plus significatifs autorisait les navires russes à accoster dans les ports marocains et à y enterrer leurs marins. L’Empire ottoman refusait cela aux Russes, mais le Maroc l’a accepté par respect pour la dignité humaine», rappelle-t-il. Pour M. Qoraich, cet épisode illustre une vérité que la diplomatie contemporaine n’a jamais démentie : «La Russie garde en mémoire les gestes qui honorent les nations. Le Maroc en a posé plusieurs dans son histoire.»
C’est aussi au nom de cette profondeur historique que Moscou a conservé, au fil des décennies, un comportement constant au sein du Conseil de sécurité. «La Russie, à l’image de l’Union soviétique, n’a jamais voté contre l’intégrité territoriale du Maroc. Elle a toujours adopté une ligne d’équilibre, fondée sur l’abstention et la prudence stratégique.» Une position qui s’explique, selon lui, autant par l’absence d’antagonisme direct avec Rabat que par la reconnaissance du rôle stabilisateur du Maroc dans la région. Ainsi, l’attitude de Moscou lors du vote de la résolution 2797 ne doit pas être interprétée comme une neutralité distante, mais comme l’expression d’une constante diplomatique. Une constante qui combine mémoire historique, respect politique et volonté de ne pas fragiliser un processus que la Russie juge crédible. «Dans les relations internationales, les gestes comptent», conclut Idriss Qoraich. «La Russie n’a pas utilisé son veto parce qu’elle n’avait aucune raison de s’opposer à une résolution solide, équilibrée et conforme à la souveraineté d’un État ami.»
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