Mounia Senhaji
23 Octobre 2025
À 17:55
Ils quittent des pays où ils ont construit leur carrière, leur vie et parfois leur famille, pour revenir s’installer au
Maroc, porteurs d’un savoir et d’une expérience accumulés à l’étranger. Ces parcours de retour, entre espoirs, défis professionnels et négociations identitaires, dessinent une mosaïque complexe de réussites et de difficultés. Derrière chaque trajectoire se cache une volonté de contribuer au
développement du pays tout en retrouvant un ancrage personnel et social. Les enseignements de ces expériences sont au cœur de l’étude «Dynamiques et ressorts du retour des compétences marocaines du monde : un focus ethnographique sur le milieu universitaire et le monde de l’entrepreneuriat», réalisée conjointement par
le Conseil de la communauté marocaine à l’étranger et
l’Université Internationale de Rabat.Depuis les discours de
Sa Majesté le Roi Mohammed VI en août 2022 et novembre 2024, la mobilisation des compétences des Marocains du monde est désormais considérée comme un levier stratégique pour le projet national de développement. Mais derrière cette ambition, les trajectoires concrètes de ceux qui choisissent de revenir révèlent autant de promesses que de défis. Selon les auteurs de l’étude, reconnaître et accompagner ces parcours constitue un levier de transformation sociale et économique :
les MDM, par leurs compétences et expériences, participent à la reconfiguration des espaces académiques et entrepreneuriaux et renforcent les liens entre le Maroc et sa diaspora.
Des motivations variées et des parcours hybrides
L’étude, menée par l’anthropologue
Farid El Asri et la sociologue
Shaima Jorio, s’intéresse aux expériences des MDM réinstallés dans deux domaines centraux : le milieu académique et l’entrepreneuriat. Les motivations pour revenir au Maroc sont diverses. Certaines personnes sont animées par des
raisons familiales ou affectives, d’autres par la volonté de participer activement au développement du pays, ou encore par le désir de créer des projets innovants et socialement significatifs. Selon Farid El Asri, ces choix traduisent une recherche de sens et d’engagement : «Le retour n’est jamais un simple retour géographique : il implique une
réinvention de soi, une négociation entre identité transnationale et appartenance locale, ainsi qu’une redéfinition de son rôle professionnel et social».
Ces trajectoires ne sont pas homogènes. Les MDM évoluent souvent dans des parcours hybrides et transnationaux, à l’intersection de plusieurs systèmes de référence culturels et professionnels. La mobilité circulaire, les retours saisonniers et la reconnaissance croissante d’une double appartenance nationale témoignent de la complexité des ancrages transnationaux et des liens pluriels avec le pays d’origine.
Le profil des compétences et l’ouverture des institutions
D’un point de vue démographique, la
diaspora marocaine est majoritairement concentrée en
Europe, avec un double mouvement de rajeunissement et de féminisation progressive, bien que certains segments de la population soient en voie de vieillissement. Les profils qui choisissent de revenir sont généralement très qualifiés : la majorité possède un diplôme universitaire supérieur et des expériences professionnelles diversifiées à l’international.
Dans le secteur académique, l’étude met en évidence une préférence pour
les établissements à partenariat public-privé. Ces institutions offrent une plus grande flexibilité pédagogique, une ouverture internationale et une diversité linguistique qui facilitent la transition des compétences issues de l’étranger. Elles permettent également d’articuler les standards académiques internationaux avec les spécificités locales, offrant aux MDM un espace d’innovation curriculaire et de dialogue interculturel.
Pour autant, l’intégration n’est pas sans obstacles. Les témoignages recueillis font état de
contraintes institutionnelles récurrentes : lenteur administrative, rigidités structurelles, difficultés à obtenir des postes ou des responsabilités en adéquation avec leurs qualifications. Ces freins nécessitent une adaptation constante et mobilisent des formes de résilience, telles que le recours à des réseaux professionnels transnationaux et l’innovation organisationnelle.
Entrepreneuriat : la créativité face aux rigidités
Dans le domaine entrepreneurial, la dynamique est ambivalente. Les
MDM apportent des
compétences techniques,
managériales et
une vision internationale. Mais la mise en œuvre concrète de leurs projets se heurte souvent à la complexité des démarches administratives, à l’accès limité au financement et à l’absence de dispositifs adaptés à leurs besoins spécifiques. Pour Farid El Asri, ces contraintes génèrent néanmoins des réponses innovantes. «Les entrepreneurs issus de la diaspora doivent composer avec un environnement parfois rigide, mais c’est précisément cette contrainte qui stimule la créativité. Ils utilisent leur capital social, leurs connaissances et réseaux acquis à l’étranger, et développent des modes de management et d’organisation flexibles», développe-t-il. Ainsi, la diaspora devient un
moteur potentiel d’innovation, mais son intégration exige une reconnaissance des spécificités de ces parcours transnationaux.
Une stratégie nationale de gouvernance renouvelée
L’étude propose une vision stratégique pour structurer la mobilisation des compétences MDM. La création d’une
Fondation Mohammedia des Marocains résidant à l’étranger est envisagée comme un levier central. Cette fondation aurait pour mission de centraliser et coordonner les initiatives diasporiques, d’accompagner l’investissement et de fluidifier les démarches administratives. Elle constituerait un bras exécutif d’une gouvernance participative, capable de rapprocher les institutions publiques, le monde associatif et le secteur économique.
Parallèlement, une
diplomatie scientifique et entrepreneuriale pourrait être développée : création d’incubateurs, programmes de mentorat, financement adapté et hubs de recherche, afin de structurer et canaliser l’apport intellectuel, technologique et économique des MDM. La
reconnaissance des compétences diverses, allant des savoir-faire professionnels aux expériences non qualifiées, en passant par les compétences relationnelles, est un autre point clé pour assurer une intégration effective et inclusive. La dimension culturelle est tout aussi centrale. Une politique plurilingue et transversale valorisant les identités plurielles des MDM pourrait renforcer les liens symboliques avec le pays, favoriser la diplomatie culturelle et créer des espaces de dialogue et de co-construction.
Une feuille de route pragmatique
L’intégration des MDM ne se limite pas à des mesures symboliques : elle nécessite une planification rigoureuse, une coordination interinstitutionnelle et des programmes pilotes permettant d’expérimenter de nouvelles approches. L’élaboration d’indicateurs de performance et une communication ciblée sont également essentielles, tout comme la capacité d’adaptation continue, basée sur l’innovation et la valorisation des réussites. Farid El Asri insiste sur
le potentiel transformateur de ces compétences. «Comprendre comment les MDM s’installent, recomposent leur identité et négocient leur insertion sociale revient à reconnaître leur rôle moteur dans l’innovation, le renouvellement des espaces sociaux, et le renforcement des liens entre le Maroc et sa diaspora», conclut-il.