Ayda Benyahia
11 Novembre 2025
À 17:44
Cinquante ans après la glorieuse
Marche Verte,
Rachid Boufous, écrivain et architecte, invité de
«L’Info en Face» du 5 novembre dernier restitue l’épopée du 6 novembre 1975, les accords internationaux et l’évolution institutionnelle du
Sahara marocain. Sur ses vingt années d’expérience sur le terrain saharien,
Rachid Boufous souligne : «J’exerce au
Sahara depuis vingt ans, de 2005 à aujourd’hui. J’y ai travaillé partout». Cette immersion prolongée dans le territoire confère à notre interlocuteur le recul nécessaire pour retracer un demi-siècle d’histoire marocaine au Sahara. Pour lui, la
Marche Verte constitue un «moment majeur de mémoire, de courage, d’abnégation et d’amour de la patrie». En s’appuyant sur son expérience, M. Boufous éclaire ainsi les différentes phases de ce récit national : de l’épopée du 6 novembre 1975, aux récentes percées diplomatiques, notamment la
résolution 2797 du
Conseil de sécurité de l’ONU, adoptée le 31 octobre 2025.
À propos de la mobilisation de 1975, il insiste : « C’était spontané, bénévole et patriotique. Les gens voulaient tous en être. On n’était munis que du Coran et du drapeau. Pas d’armes. C’était une marche pacifique». Le franchissement de la frontière au poste aujourd’hui désigné sous le nom de Tah s’effectua le 6 novembre 1975 sans affrontement ni tir, porté par une conjoncture historique d’une rare singularité. Le 20 octobre, le général Franco est frappé par un coma, tandis que Juan Carlos de Bourbon, encore non intronisé, doit ménager les tensions entre le gouvernement civil et l’armée espagnole, où le général Federico Gómez de Salazar y Nieto, farouche opposant à toute rétrocession, exerce une influence considérable. Cette combinaison de circonstances politiques et militaires permit ainsi le déroulement pacifique de la
Marche Verte.
Dès lors, les tentatives espagnoles, amorcées dès 1972, pour constituer un «peuple sahraoui» s’avérèrent vaines. À cette fin, Madrid avait soutenu la création du
Parti pour l’unité nationale sahraouie (PUNS) dirigé par
Khali Hanna Ould Er-Rachid, ainsi que de la Jma’a, instance locale pilotée par des notables tels que
Khatri Ould Saïd Joumani. Ces projets politiques échoueront puisque face à l’élan patriotique des populations, les notables locaux se rallieront en 1975 à Feu
Sa Majesté le Roi Hassan II, confirmant de manière tangible l’ancrage historique et juridique du
Sahara dans la
souveraineté marocaine.
Les accords de Madrid et l’échec de l’enracinement espagnol
En 1974, l’Espagne engagea des pourparlers avec le
polisario, en présence de représentants algériens, tentant de trouver une issue au différend sur le Sahara. Cependant, incapable de parvenir à un accord avec l’Algérie et le mouvement séparatiste, Madrid accepte, le 16 novembre 1975, de négocier formellement la rétrocession des territoires. Les accords de Madrid attribuent ainsi la région de Sakia El Hamra au Maroc et celle d’Oued Eddahab à la Mauritanie, marquant un tournant décisif dans la décolonisation du
Sahara.
M. Boufous rappelle que la présence espagnole dans la région, entamée en 1884, n’a jamais dépassé des intérêts ponctuels, essentiellement liés à la pêche, aux mines et au contrôle stratégique, et que Madrid n’a jamais développé le Sahara de manière substantielle. Il souligne, en revanche, l’enracinement historique du territoire au sein du Royaume : «Le
Sahara a toujours été lié au
Maroc, depuis les Almoravides jusqu’aux hommes d’allégeance désignés par le sultan Hassan Ier», précise-t-il, en évoquant également les documents et autres archives conservés à la Bibliothèque Royale, qui attestent ces liens séculaires incontestés.
La Cour internationale de justice : l’allégeance comme fondement juridique
En mai 1975, la
Cour internationale de justice est saisie afin d’obtenir un arbitrage sur le statut juridique du Sahara. La décision rendue le 16 octobre 1975 établit avec clarté que le territoire n’était en aucun cas terra nullius et que les populations locales maintenaient un lien d’allégeance historique envers les sultans du Maroc. Si certains adversaires du Royaume invoquent la notion d’«expression dans un cadre d’autodétermination», cette argumentation ne vient en rien entamer la légitimité historique marocaine sur ces provinces.
À ce propos, Rachid Boufous insiste : «Le premier paragraphe, celui de l’allégeance, est juridiquement imbattable.» Il rappelle également dans ce sens que le Maroc avait produit des centaines de pièces probantes, parmi lesquelles des cartes issues de la fondation Rockefeller et de nombreux documents d’archives attestant l’existence d’un lien séculaire. Par cette décision, la Cour conforte non seulement la continuité historique du Royaume sur le Sahara, mais elle fournit également un fondement juridique solide à l’autonomie qui sera envisagée dans les décennies suivantes.
Mauritanie, polisario et recomposition régionale (1975–1979)
Dans la période qui suit, les attaques du polisario, bénéficiant du soutien logistique et politique de l’Algérie et de la Libye, frappent en priorité la Mauritanie, provoquant un coup d’État avorté et conduisant, en 1979, au retrait de ce pays d’Oued Eddahab. Face à cette menace, le Maroc intervient promptement afin de prévenir toute implantation algérienne et d’affirmer sa souveraineté sur ces provinces méridionales. À cet égard, Rachid Boufous souligne la profondeur des liens historiques entre le Royaume et la Mauritanie : «Il ne s’agit pas seulement de relations diplomatiques. Des notables tels que le prince
Fal Ould Oumeir, Dey Ould Sidi Baba ou Horma Ould Babana se déclaraient Marocains et vinrent, en 1958, faire acte d’allégeance à Feu S.M. Mohammed V, témoignant d’un enracinement ancien et d’une perception claire de l’identité nationale.» Ces témoignages, rappelle-t-il, révèlent que la dynamique régionale de l’époque dépasse le seul cadre militaire pour s’inscrire durablement dans la continuité historique, consolidant la légitimité et la souveraineté du Royaume sur ses territoires du Sud.
Les intérêts espagnols résiduels
Malgré la décolonisation politique du
Sahara, certains intérêts espagnols ont perduré longtemps après 1975, illustrant que la fin de la présence coloniale ne signifiait pas la disparition immédiate de tous les enjeux économiques et stratégiques. Ainsi, l’Espagne a maintenu une présence économique et stratégique notable au Sahara : une participation de 35% dans la mine de Boukraa jusqu’en 2003-2004, l’exercice exclusif des droits de pêche sur l’ensemble des côtes sahariennes, ainsi qu’un contrôle rigoureux de l’espace aérien, imposant l’autorisation de passage à tout appareil survolant la région.
Dans ce contexte,
Rachid Boufous insiste sur l’importance de la résolution 2797 du
Conseil de sécurité de l’ONU, adoptée le 31 octobre 2025, pour accélérer la pleine
souveraineté du Maroc sur ces provinces : «Cette date est une date phare de notre histoire contemporaine, aussi importante que le 6 novembre 1975.» Dans cette perspective, chaque élément de souveraineté et de contrôle territorial, qu’il soit économique, maritime ou aérien, trouve son prolongement institutionnel et diplomatique, traduisant un processus progressif, mais inéluctable de consolidation nationale.
Après 2025 : développement et récit national
Le
Discours Royal prononcé juste après la
Résolution du Conseil de sécurité souligne qu’il y a désormais un «avant» et un «après» le 31 octobre 2025, faisant de cette date une étape décisive de l’histoire contemporaine du Royaume. Dans ce cadre, Rachid Boufous met en exergue les avancées concrètes dans les provinces du Sud, où le développement se traduit par des bénéfices directs pour les populations locales : «Les 8.000 barques de pêche artisanale, ainsi que l’ensemble des licences, sont entièrement réservées aux populations locales, garantissant leur accès direct aux ressources et à l’économie maritime de la région», précise-t-il, illustrant ainsi la priorité donnée à l’inclusion économique des habitants.
De même, M. Boufous met en avant le renforcement de la mémoire collective à travers un récit national tangible et partagé, comprenant avenues, musées et témoignages vivants des vétérans de la Marche Verte, afin de transmettre cette épopée aux jeunes générations et de cimenter l’identité et la fierté nationales. Ainsi, le développement territorial et la valorisation mémorielle apparaissent indissociables, chacun renforçant la légitimité de l’autre et contribuant à la continuité historique du Sahara au sein du Royaume.
Intégration et enjeux diplomatiques
En janvier 1976, quelque 45.000 Marocains expulsés des camps algériens sont accueillis dans des conditions précaires, logés sous des tentes, nécessitant une attention quotidienne et soutenue. À ce sujet, Rachid Boufous rappelle l’implication directe et constante de Feu S.M. Hassan II, qui suivait de près la situation et impulsa un effort d’intégration sur dix ans, permettant aux populations déplacées d’accéder progressivement à l’emploi, aux fonctions administratives et à une insertion durable dans l’économie locale.
Parallèlement, le Maroc a dû évoluer dans un contexte international particulièrement hostile dans les années 1970-1980, marqué par des pressions diplomatiques et une rivalité régionale intense. Le Royaume maintint alors une stratégie alliant fermeté, développement et consolidation territoriale. Ce travail de longue haleine s’inscrit dans une continuité historique, initiée sous le règne de Feu
S.M. le Roi Hassan II et poursuivie avec la vision éclairée de
S.M. le Roi Mohammed VI, qui a su prolonger et adapter cette gestion stratégique, consolidant la souveraineté et la stabilité des provinces du Sud tout en inscrivant le
Sahara dans un récit national cohérent et durable. Aujourd’hui, les négociations autour du Sahara dépassent le cadre régional, impliquant non seulement le Maroc, la Mauritanie, le polisario et l’Algérie, mais également des puissances mondiales telles que les États-Unis, la France, le Royaume-Uni, l’Espagne, la Russie et la Chine, dont les intérêts stratégiques et économiques pèsent dans ce dossier régional.
Un demi-siècle de légitimité et de développement
L’autonomie se dessine comme l’aboutissement institutionnel d’un demi-siècle de mobilisations pacifiques, de développement territorial et d’action diplomatique soutenue. À ce sujet, Rachid Boufous souligne : «Le plan d’autonomie prévoit une consultation de la population rassemblée... mais il faudra d’abord intégrer ce statut d’autonomie dans la Constitution marocaine.» Cette démarche, strictement encadrée sur le plan juridique, permettra de définir le rôle des parties en question, d’intégrer les élites régionales et de préciser l’étendue des compétences locales, tout en maintenant l’ensemble des prérogatives régaliennes de l’État marocain.
L’expert insiste sur le fait que ce processus s’inscrit dans une logique de continuité historique : depuis la Marche Verte jusqu’aux repères institutionnels contemporains tels que la résolution 2797 du Conseil de sécurité de l’ONU, adoptée le 31 octobre 2025, chaque étape a contribué à consolider l’ancrage du Sahara dans le Royaume et à affirmer la légitimité nationale. Dans le prolongement de cette idée, il rappelle la création de l’Agence du Sud en 2004, qui a permis la formation et l’intégration de cadres natifs du Sahara dans l’administration et le secteur économique local, renforçant ainsi la capacité de ces provinces à gérer leur développement.
Par ailleurs, M. Boufous met en lumière la nécessité d’une mise en œuvre progressive de l’autonomie, respectueuse des réalités sociales et culturelles sahariennes, afin que ce statut ne se limite pas à un cadre institutionnel, mais devienne un véritable moteur de gouvernance locale et de développement économique. Il souligne également le rôle des nouvelles élites régionales : «C’est cette génération qui a porté le développement local ces vingt dernières années.»
Prudence et projection optimiste
Mais en dépit de cette victoire diplomatique sans précédent, Rachid Boufous met en garde contre tout excès de triomphalisme : «Un dossier qui a mis cinquante ans à mûrir ne se résoudra pas forcément en un an.» Selon lui, la complexité des négociations, qui impliquent non seulement le Maroc, la Mauritanie et le polisario, mais également des puissances internationales, exige patience et stratégie. Toutefois, les pressions diplomatiques et les médiations multilatérales peuvent contribuer à accélérer la consolidation de la souveraineté marocaine sur ses provinces méridionales, estime-t-il.
Parallèlement, M. Boufous souligne le rôle déterminant de l’économie dans le renforcement de l’intégrité territoriale : «J’invite les opérateurs économiques à investir dans nos provinces du Sud. Les pionniers de demain s’y forgent.» Il précise que l’investissement dans ces territoires ne se limite pas à une dimension financière, mais constitue un levier concret de développement local, d’emploi et de structuration socio-économique, garantissant la pérennité du récit national. Cette approche, insiste-t-il, doit s’accompagner d’une vision intégrée mêlant mémoire, gouvernance et croissance économique, afin de transformer l’autonomie et la légitimité historique en réalités tangibles pour les populations locales.