La ville de
Casablanca va-t-elle enfin réussir là où elle a échoué depuis 37 ans ? Le projet de l’Avenue Royale, longtemps considérée comme le symbole d’une politique urbaine peu volontariste, vient de franchir une étape décisive. Une convention visant à accélérer ce chantier structurant vient d’être signée entre la commune de Casablanca, la wilaya, la
CDG via sa filiale
SONADAC (Société nationale d'aménagement communal), la société de développement local «
Casablanca Iskane et Équipements» (CIE), l’Agence urbaine et les préfectures concernées.
L’objectif est à la fois clair et ambitieux : sortir ce projet vital de son immobilisme et en faire un facteur de modernisation de la métropole. Au cœur de cette métamorphose se déploient deux projets voués à devenir emblématiques : un immense parc de 47 hectares, vaste poumon vert adossé à l'Avenue Royale et destiné à être le plus grand parc en Afrique, ainsi qu’un pôle urbain majeur à Hay Hassani, baptisé «Nouveau projet Nassim II». Mais comment ce projet colossal va-t-il se concrétiser ? Tout est dans la convention, dont «Le Matin» détient copie, laquelle fixe une feuille de route précise avec des étapes claires, des responsabilités définies et des financements garantis.
Mettre de l’ordre : la gouvernance d’abord
Pendant plus de trois décennies, l’un des freins majeurs du projet, il faut le reconnaître, fut le flou institutionnel et l’imprécision des responsabilités des acteurs concernés. Cette fois-ci, les rôles sont tranchés. La commune de Casablanca récupère les actifs fonciers et les actifs de péréquation et devient autorité expropriante. À cet effet, elle conclura une convention de transfert d'actifs avec la SONADAC et la CIE dans les trois mois suivant la signature de la convention de partenariat. La wilaya assure la coordination et le contrôle légal. Elle est l'instance compétente pour le règlement de tout litige découlant de l'exécution des conventions et veille au respect des engagements de toutes les parties.
La SONADAC, qui portait le projet depuis l’origine, met à disposition ses terrains et son financement. Elle est la cheville ouvrière du projet Nassim II. Ses engagements incluent la réalisation de toutes les études urbanistiques, techniques et environnementales nécessaires, l'obtention et l'exécution des Autorisations de lotir conformément au Masterplan. Elle transférera aux opérateurs les lots destinés au logement social (unités d'une valeur inférieure ou égale à 250.000 DH). De plus, elle conservera un droit de regard et peut effectuer des audits pour s'assurer du bon déroulement des opérations.
CIE devient le bras opérationnel pour démolir, indemniser et reloger. Elle travaille à l'affectation de logements aux bénéficiaires, avec un objectif initial de 1.400 logements prévu par une convention de financement de 2021. Un seuil qui pourra être augmenté dans le cadre d’éventuelles conventions de financement. La SDL établit et signe des conventions avec les promoteurs immobiliers et les organismes de financement pour garantir la réalisation de ces logements. Elle assure également la production de reportings mensuels sur l'avancement et la transmission des justificatifs de paiement. Pour ces missions, elle perçoit une commission calculée sur la base de 3.000 DH HT par indemnité servie et 5% HT du montant hors taxes des opérations de démolition et des études afférentes.
Les préfectures de Casablanca-Anfa et Hay Hassani veillent quant à elles au bon déroulement des indemnisations et accompagnent la SONADAC dans les discussions avec les expropriés pour prévenir les retards. Elles assistent toutes les parties pour le transfert des obligations et le suivi des projets Nassim et Avenue Royale.
Pour sa part, CDG Développement se présente comme un partenaire crucial qui assurera à la SONADAC les moyens financiers nécessaires pour exécuter ses obligations. L’Agence urbaine, enfin, pilote l’aspect technique et architectural. Elle devra ainsi assister SONADAC pour l’obtention des Autorisations de lotir du Nouveau Projet Nassim et l’accompagner pour sa valorisation.
Pour superviser le tout, deux structures seront mises en place : un Comité de pilotage présidé par le ministère de l’Intérieur, et un Comité de suivi présidé par le wali. Les deux entités doivent se réunir régulièrement pour valider chaque étape, lever les obstacles et ajuster le calendrier si nécessaire. Chaque acteur est tenu de rendre des comptes, dans un esprit de transparence et d’efficacité. Autrement dit, fini la dilution des responsabilités : chacun sait ce qu’il a à faire.
Libérer le terrain : un passage obligé
Et c’est tant mieux, car il est impossible de mener à bien le projet de l’Avenue Royale en escamotant la question sociale et foncière. Le projet prévoit le transfert gratuit des actifs immobiliers de SONADAC vers la commune, mais aussi le renouvellement du décret d’expropriation (DUP) pour sécuriser les terrains et relancer les procédures.
Le cœur du chantier réside ici : reloger dignement les familles installées sur le tracé. La SDL Casablanca Iskane a la lourde tâche d’assurer ce relogement, de verser les indemnités prévues et de superviser la démolition des sites. Pour garantir la transparence de cette opération, des conventions spécifiques de relogement seront signées et un accompagnement social est prévu pour éviter les drames sociaux et humains qui ont marqué par le passé des opérations similaires.
Le nerf de la guerre : le financement
Le financement a souvent été l’argument mis en avant pour justifier de retard accusé dans la réalisation de ce chantier. Cette fois-ci, les chiffres sont inscrits noir sur blanc. SONADAC s’engage à verser 250 millions de dirhams tous les six mois jusqu’en 2029, soit un total de 2 milliards de dirhams. Parallèlement, Casa Iskane assumera la totalité des coûts liés au relogement, aux démolitions et aux aménagements.
Selon les termes du troisième avenant à la «Convention relative à la délégation de l’accompagnement social, du relogement et de démolition», signé en septembre 2024, un montant de 30 millions de DH devra être réservé au financement des indemnités forfaitaires d’aide au loyer, des indemnités de libération et des opérations de démolition. La Caisse de dépôt et de gestion (CDG) assure la supervision financière, garantissant que chaque dirham sera utilisé à bon escient, c’est-à-dire pour faire avancer le projet et non pour favoriser de nouvelles lenteurs.
Toujours dans le cadre du financement, la convention inclut un élément d’une importance capitale : les actifs de péréquation. Ces biens immobiliers sont des éléments clés destinés à être transférés par la SONADAC à la commune de Casablanca, dans le but d'équilibrer financièrement et opérationnellement les projets d'envergure.
Les actifs de péréquation proviennent principalement du reliquat du foncier Nassim, une zone de près de 200 hectares, et comprennent une série de terrains qui ne sont pas destinés directement au relogement ou aux équipements publics. Leur mission est toute autre : générer des recettes à travers leur valorisation immobilière : logements libres, activités commerciales et services. Ces revenus serviront à couvrir une partie des coûts liés au relogement des familles, aux indemnisations, aux démolitions et aux aménagements urbains.
Intégrés dans le master plan du projet, les actifs de péréquation apportent une dimension économique et stratégique. Parmi eux, figurent des biens situés à Nassim d'une superficie de 2.852 m², ainsi que des terrains à Souk Korea (54.698 m²) et Souk Laâyoune (5.900 m²). On compte également un autre terrain situé au niveau du projet de Bechar El Kheir, d'une superficie globale de 13,25 hectares, qui intègre trois équipements publics couvrant 30.779 m² et un reliquat de terrain de 8,2 hectares aménagé en espaces verts. Les actifs incluent également le terrain «équipements» à Nassim, composé de six équipements totalisant 9.680 m², à savoir un marché de 2.318 m², une annexe communale Nassim de 295 m², un complexe administratif de 3.055 m², un club des résidents de100 m², une maison de jeunes de 236 m² et un club sportif de 3.679 m². Dans la liste figure aussi un terrain «équipements» à Islane extension, lequel est constitué de deux équipements pour un total de 1.223 m², à savoir une bibliothèque (605 m²) et une annexe communale (618 m²). Enfin, un terrain nommé «la Nouvelle Corniche» transformé en jardin public d'environ 13,09 hectares.
Un calendrier serré
La convention ne se contente pas d’énoncer de bonnes intentions : elle impose un calendrier précis. Fin 2029, l’Avenue Royale devra avoir pris forme, matérialisant enfin une promesse vieille de 37 ans. Ainsi, dans les trois à six mois suivant la signature, les conditions partenariales doivent être réunies : transfert des actifs (sous 3 mois), renouvellement du décret d’expropriation (avant le 18 septembre 2025), signature des conventions spécifiques de relogement et mobilisation des financements. Les opérations de relogement et les démolitions se poursuivront, en parallèle des études urbaines et environnementales. Les années suivantes seront consacrées à la libération progressive des terrains et au démarrage des grands travaux d’aménagement. Elles marqueront également l’accélération des chantiers de construction de logements sociaux et d’équipements, avec un objectif de livraison progressive.
Quartier Nassim II : un futur pôle urbain d’envergure
Au-delà de l'Avenue Royale, le «Nouveau Projet Nassim II» est le reflet d’une vision d'aménagement urbain beaucoup plus large. Conçu comme une extension du projet Nassim existant, il vise à créer un nouveau pôle urbain intégré, axé sur le développement durable et l'urbanisation intelligente. Ce projet, une vaste extension de 307 hectares à Hay Hassani, est destiné, en partie, à accueillir les familles expropriées du tracé de l’Avenue Royale (sur 40 hectares). Mais au-delà de cette fonction, il s’impose comme une extension planifiée de la métropole, capable de répondre à la forte demande en logement tout en respectant les exigences de durabilité. Il se présente ainsi comme une nouvelle centralité urbaine au sud de la ville, capable d’accueillir une population de plusieurs centaines de milliers d’habitants et de générer une dynamique économique et sociale durable.
Selon ses concepteurs, il s’agit de bâtir une nouvelle façade urbaine pour Casablanca, mêlant logements sociaux de qualité, équipements publics, espaces verts et infrastructures modernes. Le projet s’inscrit dans un plan de cohérence territoriale plus vaste qui relie l’arrondissement de Hay Hassani aux grandes infrastructures métropolitaines (gare TGV Casa-Anfa, Casablanca Finance City, réseaux tram et RER à venir).
Selon le master plan annexé à la convention, Nassim II est organisé en secteurs Nord et Sud, chacun avec sa propre logique d’aménagement, mais intégrés dans une trame cohérente. On y retrouve notamment des zones résidentielles diversifiées (logements sociaux, moyens et haut standing), des équipements publics de proximité (écoles, collèges, lycées, dispensaires, mosquées, terrains de sport), des espaces verts continus, formant une véritable coulée verte reliant les différents quartiers, ainsi que des axes de mobilité adaptés au trafic futur, connectés aux grands réseaux de transport de Casablanca (tramway, bus à haut niveau de service, routes nationales et autoroutes).
Le plan prévoit aussi la création d’un pôle d’activités économiques comprenant commerces, services et espaces de bureaux, afin d’éviter que Nassim II ne devienne un simple «dortoir périphérique». La vision pour ce projet s’articule autour d’une répartition des densités maîtrisée. Ce principe repose sur une logique de mixité sociale et fonctionnelle. Les densités les plus élevées se concentrent près des grands axes de transport, tandis que les zones plus résidentielles bénéficient de parcelles aérées et d’espaces verts. Cette approche vise à équilibrer la pression foncière, à améliorer la qualité de vie et à favoriser une mobilité douce à l’intérieur du quartier. Nassim II ne se limite pas aux besoins de ses futurs habitants. Il ambitionne de jouer un rôle métropolitain. Le plan prévoit la création de grandes infrastructures urbaines, parmi lesquelles un complexe administratif et socio-culturel, des équipements sportifs et de loisirs à grande échelle, des pôles éducatifs renforcés pour répondre à la croissance démographique, en plus d’un marché central et de zones commerciales structurées.
Modalités d'accompagnement et indemnisation
Selon les termes d’un avenant à la «Convention relative à la délégation de l’accompagnement social, du relogement et de la démolition», les ménages concernés bénéficient de critères d'éligibilité précis pour l'indemnisation et le relogement. Ceux-ci ont droit à une indemnité forfaitaire d'aide au loyer de 9.000 DH. Elle est conditionnée par la libération immédiate de la construction menaçant ruine et doit être initiée avant le démarrage de la procédure d'indemnisation/relogement. Elle est annulée en cas de refus de libération. Les bénéficiaires peuvent également accéder à une indemnité de libération de 130.000 DH ou 100.000 DH (selon les cas) avec ou sans droit au logement. L'octroi direct du montant de l'indemnité de libération est désormais possible pour économiser les frais des ménages et accélérer la procédure. À cela s’ajoute une subvention du Fonds de solidarité habitat (FSH), fixée à 40.000 DH. Il est important de noter que, suite à une décision du comité préfectoral de suivi du 20 mars 2024, l'indemnité forfaitaire d'aide au loyer n'est plus cumulable avec l'indemnité de libération sans droit au logement.