Oasis marocaines et risques d’incendies : un appel urgent à l’action
Face à la multiplication des incendies qui déciment les écosystèmes oasiens, l’Association Al-Fath lance un cri d’alarme et propose des solutions concrètes pour sauver ce patrimoine en péril.
Brahim Mokhliss
19 Mai 2025
À 18:20
C’est à Tinghir, connue pour ses oasis, que l’idée de rendre public un mémorandum qui tire la sonnette d’alarme a pris forme. L’Association Al-Fath pour la culture et le développement y a présenté, lors d’une table ronde cruciale, «un mémorandum alarmant sur la situation des oasis face aux incendies dévastateurs». Ce document révèle les menaces grandissantes qui touchent ces milieux fragiles, notamment à travers «la multiplication alarmante des incendies». Cet événement, qui a également vu le couronnement des lauréats du concours «Bouclier de l’Oasis», attire l’attention sur une catastrophe écologique qui se déroule loin des projecteurs médiatiques.
Un constat accablant : 172.000 palmiers réduits
en cendres Le mémorandum, fruit d’un travail minutieux d’observation sur le terrain et d’analyse des données officielles, dresse un tableau particulièrement sombre. «Les statistiques officielles font état d’environ 2.400 incendies en 15 ans», révèle le document, ayant entraîné «la perte de près de 172.000 palmiers dattiers». Au-delà de ces chiffres déjà alarmants, c’est tout un écosystème qui souffre, avec des dommages considérables sur la biodiversité et la productivité des oasis. Cette initiative, supervisée par le comité scientifique et environnemental de l’association, s’inscrit dans un contexte de changement climatique et de pressions croissantes sur ces écosystèmes déjà fragiles. Le lien historique et affectif des populations avec ces espaces s’affaiblit progressivement, érodé par divers facteurs environnementaux et socio-économiques.
Le mémorandum pointe du doigt plusieurs défaillances majeures dans la gestion de cette crise. L’absence d’une politique publique cohérente et spécifique aux oasis constitue la première pierre d’achoppement. Le document souligne également un vide préoccupant en matière de gouvernance, notamment avec «le recul des systèmes coutumiers traditionnels qui régissaient jadis ces espaces sans qu’ils soient remplacés par des mécanismes alternatifs». Plus inquiétant encore, les programmes nationaux, comme le Plan Maroc Vert, n’ont pas eu l’impact escompté. Certains volets de ce plan auraient même, selon le mémorandum, «contribué à l’appauvrissement des ressources hydriques dans les zones oasiennes, favorisant ainsi les conditions propices aux incendies».
Des solutions innovantes pour un patrimoine irremplaçable Face à ce diagnostic alarmant, l’Association Al-Fath ne se contente pas de tirer la sonnette d’alarme. Elle propose une série de recommandations, tant générales qu’opérationnelles, qui s’articulent autour du fameux «triangle du feu». Cette approche technique stipule qu’un incendie ne peut se produire qu’en présence de trois éléments essentiels : «un combustible, un comburant et une source d’énergie pour le feu». Par conséquent, l’élimination de l’un de ces éléments suffirait à prévenir ou arrêter un incendie. «Mettre en place une politique publique relative aux oasis, incluant la gestion du risque incendie», figure en tête des recommandations générales.
L’association plaide également pour que l’on «associe les habitants et acteurs locaux à toutes les étapes d’élaboration et de mise en œuvre des politiques», rompant ainsi avec les approches descendantes qui ont montré leurs limites. Le mémorandum préconise de «revitaliser les systèmes coutumiers traditionnels qui ont longtemps garanti la protection de ces écosystèmes» et demande que «les incendies d’oasis soient classés comme événements catastrophiques ouvrant droit à indemnisation suivant les dispositions de la loi 110-14».
Sur le plan opérationnel, les recommandations se font plus concrètes. L’association appelle à «renforcer les unités de la Protection civile dans les zones oasiennes en équipements, effectifs et ressources adaptées et nécessaires» et à «créer une flotte aérienne dédiée à faire face aux incendies dans les oasis». Des systèmes d’alerte précoce doivent être mis en place, tout comme des unités de recyclage des déchets de palmier dattier.
La formation des volontaires locaux pour les interventions de première urgence et la sensibilisation des résidents et visiteurs aux comportements à risque font également partie des mesures préconisées. Le mémorandum n’oublie pas l’aspect social de la problématique, en appelant à «prendre en charge les personnes en situation de précarité qui présentent et manifestent des troubles psychologiques et des problèmes de santé mentale», susceptibles par leurs comportements de contribuer au déclenchement d’incendies.
Au terme de cette table ronde, l’urgence d’agir apparaît comme une évidence. Les oasis, véritables sentinelles écologiques face à l’avancée du désert, ne sont pas seulement des espaces de production agricole ou des attractions touristiques. Elles représentent un patrimoine millénaire, fruit d’une coévolution entre l’homme et la nature dans des conditions extrêmes. Leur disparition constituerait une perte irréparable, tant sur le plan écologique que culturel et économique. Le mémorandum présenté par l’Association Al-Fath lance donc un appel aussi simple qu’urgent : sauver les oasis, c’est préserver un fragment essentiel de l’humanité.