Société

Affaire Achraf Hakimi : le club des avocats au Maroc s’inquiète du respect du procès équitable

Le Club des Avocats au Maroc exprime de vives inquiétudes quant au respect des droits procéduraux dans l'affaire judiciaire visant le joueur Achraf Hakimi. Dénonçant des manquements aux garanties d’un procès équitable, l'organisation annonce la création d’une commission d’observation indépendante pour suivre l’intégralité du déroulement judiciaire. Voici le communiqué signé par le président du club, Maître Mourad Elajouti.

Mourad Elajouti, président du Club des avocats au Maroc.

02 Août 2025 À 11:25

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"Le Club des Avocats au Maroc relève avec gravité des atteintes substantielles aux droits procéduraux garantis dans le cadre d'un procès équitable, dans le traitement réservé à M. Achraf Hakimi.

La procédure, menée sous pression médiatique, s'éloigne gravement des garanties prévues par l'article 6 §1 de la Convention européenne des droits de l'homme (CEDH) et l'article préliminaire du Code de procédure pénale, notamment en matière de célérité, d'objectivité et de présomption d'innocence.

L'enquête a été ouverte sur simple déclaration, sans dépôt de plainte, ni certificat médical, ni volonté immédiate de coopération de la plaignante. Ce déclenchement inhabituel, en l'absence de constatations médico-légales, interroge la rigueur de l'analyse judiciaire. Or, la jurisprudence européenne impose une motivation claire des actes d'enquête (CEDH, Kress c. France, 7 juin 2001) et la Cour de cassation rappelle que « toute atteinte aux droits de la défense doit être strictement contrôlée » (Crim., 11 sept. 2019, no 18-84.941).

Près de deux ans et demi se sont écoulés entre la mise en examen et le réquisitoire définitif, en violation du principe du délai raisonnable. La Cour européenne l'a rappelé à maintes reprises « La justice qui tarde est une justice niée » (CEDH, Gelli c. Italie, 19 oct. 2006). En droit français, une durée excessive est constitutive de nullité en cas de préjudice avéré (Crim., 14 avr. 2021, no 20-80.135).

Sur le fond, le dossier est marqué par une absence inquiétante d'éléments probants : aucun témoin direct, aucun examen médical, aucune expertise psychologique. La seule déclaration de la plaignante, sans élément de corroboration, ne peut suffire à justifier un renvoi criminel (Crim., 25 mars 2015, no 14-81.899). Or, le principe du doute qui profite à l'accusé est ici méconnu (Crim., 6 janv. 2010, no 08-87.089).

La médiatisation précoce, avant même la mise en examen, a gravement porté atteinte à la présomption d'innocence, en contradiction avec l'article 9-1 du Code civil. La Cour européenne a condamné la France pour des déclarations prématurées (Allenet de Ribemont c. France, 10 févr. 1995), et la Cour de cassation a réaffirmé que « toute déclaration publique de culpabilité avant jugement » est illicite (Crim., 16 févr. 2022, no 21-81.161).

Par ailleurs, les faits rapportés par la plaignante ne semblent pas correspondre à la définition stricte de l'infraction présumée, qui suppose un acte obtenue « par violence, contrainte, menace ou surprise » (article 222-23 du Code pénal). La jurisprudence exige une caractérisation précise de ces éléments (Crim., 18 févr. 1998, no 97-81.702). Le maintien d'une qualification criminelle, sans fondement technique solide, est susceptible de constituer un excès de qualification.

Enfin, les éléments à décharge — notamment des échanges écrits révélant une intention pécuniaire ou une dissimulation — n'ont pas été sérieusement pris en compte. Pourtant, l'instruction doit impérativement être menée à charge et à décharge (article 81 CPP), et la Cour de cassation a précisé que l'omission d'un élément de nature à établir l'innocence constitue une atteinte au contradictoire (crim., 13 sept. 2016, no 15-84.653).

Compte tenu des enjeux procéduraux soulevés, le Club des Avocats au Maroc annonce la mise en place d'une commission d'observation spécifiquement dédiée à cette affaire. Cette instance indépendante sera chargée d'examiner l'ensemble du processus judiciaire, à chaque étape, afin de s'assurer du respect effectif des droits fondamentaux, du principe du contradictoire, et des normes nationales et internationales encadrant le procès équitable, dans le plein respect de l'indépendance de la justice".
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