Longtemps fondée sur la confiance et des accords verbaux, la relation entre les familles et les
établissements privés d’enseignement s’apprête à franchir un tournant décisif. Dès la prochaine rentrée, un contrat écrit annuel deviendra obligatoire, comme l’a annoncé le ministre de l’Éducation nationale,
Mohamed Saâd Berrada, le 13 mai dernier. Ce contrat, signé entre les
parents d’élèves et les
établissements scolaires privés, vise à encadrer clairement les
droits, devoirs et engagements de chaque partie, dans un souci de transparence et de gouvernance. Il précisera notamment les frais de scolarité, les services annexes (
transport,
cantine,
assurance...), le
calendrier pédagogique ainsi que les procédures de résolution des litiges.
Contacté par nos soins à ce sujet,
Mohamed Hansali, président de l’
Alliance de l’enseignement privé au Maroc, salue une avancée majeure dans la structuration du
partenariat éducatif entre écoles et familles. Selon lui, ce contrat répond à une demande sociale née notamment des tensions post-
Covid, lorsque de nombreuses familles se sont retrouvées en difficulté pour honorer les
frais de scolarité. Il rappelle que ce dispositif est prévu par la
loi-cadre 59.21, qui consacre un partenariat à trois niveaux : les établissements, qui doivent sécuriser leurs ressources pour assurer leur fonctionnement ; les familles, qui financent ce service ; et les élèves, dont le droit à une éducation continue et de qualité doit être garanti. «L’élève ne doit jamais être pris en otage dans un conflit entre l’établissement et les parents», souligne-t-il.
Ce contrat est le fruit de discussions approfondies entre le ministère, les représentants des écoles privées et les
associations de parents d’élèves. Il fixe un cadre de droits et de devoirs mutuels, tout en prévoyant des mécanismes de médiation en cas de litige. Des commissions provinciales, relevant des académies régionales et composées des trois parties prenantes, seront ainsi chargées de trouver des solutions équilibrées, en privilégiant l’intérêt de l’élève.
Parmi les nouvelles obligations introduites, les établissements devront désormais publier, dans leurs locaux comme sur leurs supports numériques, la liste détaillée des frais et
charges scolaires. Pour Mohamed Hansali, cette mesure s’inscrit dans une logique de transparence déjà adoptée par la majorité des écoles privées, qui informent les familles à travers leurs sites et
réseaux sociaux. «Ce n’est pas nouveau, la majorité des établissements publient déjà toutes ces informations.» Il insiste toutefois sur le fait que l’enseignement privé est un choix libre, fondé sur un accord préalable, et que les frais varient selon les prestations proposées. En revanche, il est désormais interdit de faire la promotion de services ou de filières qui ne sont pas effectivement disponibles.
Autre disposition clé : l’interdiction d’augmenter les frais en cours d’année. Toute hausse devra être décidée en fin d’année scolaire, justifiée par des améliorations pédagogiques ou d’infrastructure, et communiquée de manière transparente aux familles. Cette règle, intégrée au contrat, garantit aux parents une visibilité budgétaire sur l’année scolaire. «On ne peut pas modifier les règles du jeu en cours de partie», précise Hansali.
Le texte prévoit, également, l’interdiction de refuser la
réinscription ou d’expulser un élève en raison d’un différend financier au cours de l’année. «En cas d’
impayés ou de conflit, les familles peuvent saisir les commissions de médiation provinciales. Si aucune solution n’est trouvée, l’élève pourra être réorienté vers le public afin de préserver son droit à l’éducation», indique le président de l’Alliance. Et d’ajouter que «pour les parents, ce contrat constitue un outil de clarification : il permet de connaître avec précision les services offerts, les montants à payer, les échéances, les engagements pédagogiques de l’établissement et les voies de recours en cas de
litige. Pour les écoles, il sécurise les relations avec les familles et garantit les recettes indispensables à leur fonctionnement, tout en renforçant leur obligation de transparence. Pour les élèves, il assure la continuité de la
scolarité et interdit toute interruption arbitraire, sauf en cas de faute grave ou de résiliation formelle».
Il est à rappeler que plusieurs mesures concrètes accompagneront la mise en œuvre de ce nouveau dispositif, à savoir : le renouvellement annuel du contrat à chaque rentrée, la standardisation nationale du modèle de contrat élaboré par le ministère, la supervision par les directions provinciales, et la création de commissions régionales de médiation. L’encadrement des augmentations de frais, limitées à la fin d’année et conditionnées à une justification claire, s’ajoute à ce cadre renforcé.
Enfin, M. Hansali appelle le ministère à accompagner la mise en œuvre de ce contrat par une large campagne de sensibilisation, afin d’instaurer une véritable culture contractuelle entre les établissements et les familles. Il insiste sur l’importance de clarifier les droits et devoirs de chacun, de renforcer le dialogue et de promouvoir une gouvernance partagée. Pour l’Alliance, ce dispositif constitue une avancée majeure vers une éducation plus équitable, stable et respectueuse des droits de tous les acteurs.
Questions à Mohamed Hansali, président de l’Alliance de l’enseignement privé au Maroc
Comment les établissements privés accueillent-ils l’obligation de conclure un contrat écrit annuel avec les parents ? Quels en sont, selon eux, les principaux défis et avantages ?Mohamed Hansali : Jusqu’à présent, la relation entre les établissements privés et les familles reposait essentiellement sur la confiance mutuelle. Le lien contractuel était plus implicite que formel, souvent limité à une simple prise de connaissance du règlement intérieur, axé sur les aspects pédagogiques.
Cependant, les évolutions sociales et les bouleversements récents, notamment ceux révélés par la pandémie, ont montré les limites de ce modèle informel. Des situations inédites, comme l’instauration de l’enseignement à distance facturé de la même manière que le présentiel, ont suscité de nombreux débats et mis en lumière la nécessité d’un cadre plus structuré.
Dans ce contexte, l’obligation de signer un contrat écrit chaque année apparaît comme une mesure bénéfique. Elle permet de clarifier les droits et les devoirs de chaque partie, de renforcer la transparence et de prévenir les incompréhensions ou les litiges. Ce contrat devient un outil de stabilité et de confiance renouvelée entre l’école et la famille. Bien sûr, cette formalisation peut représenter un défi pour certains établissements en termes d’organisation et de communication, mais dans l’ensemble, elle est perçue comme un levier d’amélioration des relations et de consolidation du partenariat éducatif. Elle contribue à faire évoluer le secteur vers une plus grande maturité institutionnelle.
Quelles sont les attentes de l’Alliance par rapport au rôle des commissions de surveillance pédagogique et administrative des académies régionales ?Nous espérons que ces commissions assureront un suivi rigoureux, équitable et constructif, en veillant à l’application des normes tout en tenant compte des réalités du terrain. Leur mission devrait s’inscrire dans une approche d’accompagnement et d’amélioration continue de la qualité éducative.
L’Alliance attend donc de ces commissions qu’elles jouent pleinement leur rôle dans le respect du cadre légal qui régit le secteur de l’enseignement privé. Ce secteur est placé sous la tutelle du ministère de l’Éducation nationale et fait déjà l’objet de contrôles réguliers, tant au niveau provincial que régional.
Les établissements privés opèrent conformément à un cahier des charges officiel, validé par le ministère ainsi que par d'autres instances administratives compétentes. Autrement dit, ils ne fonctionnent pas en dehors du cadre réglementaire.
Ces nouvelles mesures risquent-elles d'influencer la qualité des services éducatifs offerts par les écoles privées ?Non, pas du tout. Ces nouvelles mesures ne remettent pas en cause la qualité des services éducatifs offerts par les écoles privées. Au contraire, l’enseignement privé s’appuie sur un modèle dynamique, fondé sur l’innovation pédagogique, la diversité de l’offre et une forte exigence en matière de résultats. La concurrence entre établissements stimule une amélioration continue, visible à la fois dans les projets éducatifs proposés et dans les performances des élèves aux examens nationaux et internationaux. Nous assistons à l’émergence d’une nouvelle génération d’écoles privées, pensées selon des standards élevés et adaptées aux attentes des familles. Cette évolution témoigne d’un réel engagement du secteur privé en faveur d’une éducation de qualité.
Au sein de l’Alliance, nous saluons l’instauration d’un contrat entre l’école et la famille. Il s’agit d’un outil pertinent pour mieux structurer la relation entre les deux parties. Toutefois, nous estimons qu’il ne constitue qu’un premier pas. Il est fondamental de garantir aux familles leur droit à bénéficier des financements publics alloués à l’éducation. L’éducation étant un droit constitutionnel et universel, chaque famille doit pouvoir choisir librement le type d’enseignement – public ou privé – qui correspond le mieux à son projet éducatif, sans contrainte financière.