Société

Climatisation : entre nécessité sanitaire et risques, le juste équilibre à trouver

Face à la multiplication des vagues de chaleur au Maroc, l’usage de la climatisation s’est largement intensifié, soulevant des questions cruciales de santé publique, d’impact environnemental, mais aussi de tolérance sociale. Bien qu’indispensable pour de nombreuses personnes, son utilisation doit désormais s’inscrire dans une démarche raisonnée, alliant modération et vigilance.

15 Août 2025 À 16:27

Depuis plusieurs semaines, le Maroc connaît une série de vagues de chaleur exceptionnelles, avec des températures dépassant les 45°C dans plusieurs régions du pays. Dans ce contexte climatique éprouvant, la climatisation est devenue un outil indispensable, de plus en plus utilisé aussi bien à domicile qu'au travail ou dans les espaces publics. Cependant, ce recours massif ne fait pas l’unanimité. Si certains ne peuvent tout simplement pas s’en passer, d’autres supportent difficilement l’air artificiellement refroidi. Ce désaccord est particulièrement perceptible dans les lieux collectifs, où les différences de tolérance thermique donnent parfois lieu à des tensions, notamment dans les bureaux, les transports ou les administrations.
Interrogé par «Le Matin», le Dr Tayeb Hamdi, médecin chercheur en politiques et systèmes de santé, estime que la climatisation est aujourd’hui un «mal nécessaire». Il souligne que, dans un pays de plus en plus confronté à des extrêmes climatiques, elle représente une véritable barrière sanitaire, notamment pour les publics les plus vulnérables : personnes âgées, enfants en bas âge ou patients atteints de pathologies chroniques.
Un outil qui sauve des vies, mais...
Le Dr Hamdi rappelle ainsi que la chaleur extrême tue près d’un demi-million de personnes chaque année à l’échelle mondiale. Dès lors, la climatisation ne relève plus du simple confort, mais devient une mesure de prévention. Au-delà de la réduction du risque de décès, ce dispositif thermique permet de soulager l’organisme en période de canicule :

Il réduit la pression sur le système cardiovasculaire.

• Il améliore la qualité du sommeil.

• Et il atténue les symptômes de nombreuses affections aggravées par la chaleur, comme les maladies respiratoires ou neurologiques.
Cependant, prévient le médecin, ce confort thermique n’est pas sans effets secondaires. Et les premières alertes viennent déjà du terrain. Plusieurs médecins urgentistes contactés par «Le Matin» signalent une hausse des consultations médicales liées à une mauvaise utilisation de la climatisation. «Nous recevons des patients souffrant de maux de tête, de douleurs musculaires, de toux sèche, ou encore de malaises, souvent après avoir dormi avec un climatiseur mal réglé ou après une exposition prolongée à un air trop froid», témoigne un médecin d’un service des urgences à Casablanca. Ces situations, de plus en plus fréquentes en période estivale, confirment que la climatisation peut devenir problématique lorsqu’elle est utilisée de manière excessive ou sans précaution.

Des effets secondaires à plusieurs niveaux
Selon le Dr Hamdi, les conséquences d’un usage non maîtrisé de la climatisation se manifestent à plusieurs niveaux, aussi bien pour la santé que pour l’environnement :

• Sur le plan sanitaire individuel, l’air froid et sec assèche les muqueuses, provoque des irritations oculaires, nasales et pharyngées, et peut aggraver certaines affections comme l’asthme, les allergies ou les troubles ORL. Le manque d’entretien des appareils constitue un facteur aggravant : les filtres encrassés deviennent de véritables nids à bactéries et virus.

• Sur le plan infectieux, la climatisation peut favoriser la transmission de maladies graves. La légionellose, en particulier, est une infection pulmonaire potentiellement mortelle, causée par l’inhalation de microgouttelettes d’eau contaminée. Les systèmes de climatisation centralisée, surtout ceux équipés de tours aéro-réfrigérantes mal entretenues, sont à surveiller de près.

• Sur le plan environnemental, la climatisation repose sur des fluides frigorigènes à fort pouvoir de réchauffement, ce qui accentue le changement climatique. Sa forte consommation énergétique pèse également sur les réseaux électriques, déjà mis à rude épreuve en période de canicule.

• Enfin, le choc thermique est un risque souvent ignoré. Passer brutalement de 45°C à une pièce climatisée à 20°C perturbe les mécanismes naturels de régulation du corps. Cela peut entraîner une fatigue intense, un état de malaise, voire une déshydratation. Il est essentiel de ne pas dépasser un écart de 8 à 10° Celsius au maximum, et 7° entre la température extérieure et intérieure si on fait des va-et-vient.
Utilisation modérée : pour la santé... et le vivre-ensemble
Face à ces risques multiples, l’objectif n’est pas de rejeter la climatisation, mais bien de l’utiliser de manière raisonnée, selon les spécialistes. Dr Hamdi insiste sur l’importance de pratiques simples mais efficaces :

• Régler la température de manière modérée.

• Éviter l’exposition directe au flux d’air.

• Nettoyer régulièrement les filtres et systèmes.

• Et surtout, trouver des compromis dans les espaces partagés.


Car au-delà des impacts médicaux et environnementaux, la climatisation soulève également des enjeux sociaux entre ceux qui la jugent indispensable et ceux qui la vivent comme une agression. Adopter une approche modérée permet non seulement de préserver la santé de tous, mais aussi de favoriser le vivre-ensemble, en évitant les conflits inutiles autour du thermostat. Dr Hamdi rappelle à ce titre que dans un pays comme le Maroc, où les canicules deviendront plus fréquentes, la climatisation est appelée à jouer un rôle croissant. Mais pour qu’elle reste une alliée, et ne devienne pas un facteur de division ou de surconsommation, elle doit être utilisée avec précaution et responsabilité.
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