Nabila Bakkass
28 Septembre 2025
À 17:06
Elle a survécu à une agression atroce. Mais les séquelles seront lourdes et peut-être irréversibles. Depuis quelques jours, le visage affreusement balafré d’Imane, 25 ans, fait le tour des réseaux sociaux. La jeune femme a été sauvagement agressée par son ex-mari, selon ses dires. Son visage est aujourd’hui défiguré, marqué par 130 points de suture. L’agression est d’une violence inouïe et dénote une haine implacable. Et si ses blessures physiques sont profondes, sa douleur psychologique est encore plus vive. L’agresseur l’a défigurée, mais il l’a surtout anéantie moralement... brisant sa vie et même celle de son son petit garçon, qui «ne la reconnaît plus».
« Je préfère voir les cicatrices sur mon visage plutôt que de le revoir », confie Imane, 26 ans, mère d’un petit garçon. Elle parle de son ex-mari, qu’elle désigne également comme son violeur. Selon son récit, il l’a agressée avec une arme blanche, la blessant grièvement avant qu’elle ne soit transportée d’urgence à l’hôpital de sa ville, Taza, pour y subir une lourde opération. Son visage, marqué par 130 points de suture, reste le témoin de la violence qu’elle a endurée. Aujourd’hui, son vœu le plus cher est de retrouver un visage que son fils puisse regarder sans peur et sans détourner les yeux. Mais son histoire soulève une question brûlante : combien de temps encore faudra-t-il attendre pour garantir aux femmes une protection réelle et efficace au Maroc ?
Les balafres l’ont rendue méconnaissable, à ses yeux...
L’histoire d’Imane provoque depuis plusieurs jours une vague d’émotion et d’indignation sur les réseaux sociaux. Le hashtag #Koulouna_Imane (« Nous sommes tous Imane») s’est imposé comme un cri collectif, réclamant justice, protection et même des réformes législatives. Des associations de la société civile se sont immédiatement mobilisées pour lui offrir un accompagnement juridique, psychologique et social, tout en appelant à des sanctions exemplaires contre l’agresseur. L’enquête judiciaire est en cours. Mais au-delà du fait divers, c’est tout un système qui doit être revu en profondeur.
Une histoire de violence institutionnalisée
L’histoire d’Imane ne commence pas le jour de l’agression. L’injustice qu’elle a subie a commencé bien avant et elle a été alimentée par l’indifférence générale et l’inclémence envers les plus vulnérables. Selon ses propres déclarations, elle aurait été violée par cet homme, puis contrainte de l’épouser – non par amour, mais par nécessité administrative : déclarer son enfant à l’état civil. Un mariage imposé, qualifié par les associations de «double peine» : épouser son agresseur pour exister aux yeux de la loi. Ce cadre légal a permis à son «agresseur» des années durant de lui infliger violences conjugales et humiliations de tous genres... jusqu’au divorce. Mais même après avoir réussi à rompre officiellement cette union, Imane n’était pas l’abri de ses représailles haineuses et malveillantes. Car six mois plus tard, son ex-mari s’en prend à elle avec une cruauté indescriptible. Il lui a tailladé le visage avec une arme tranchante. L’agression est si brutale et si frénétique que la victime a failli y laisser la vie.
La violence systémique, au-delà du cas d’Imane
Interrogée par «Le Matin», Bouchra Abdou, directrice de l’Association Tahadi pour l’égalité et la citoyenneté, souligne que ce drame n’est pas un cas isolé : «C’est la face visible d’un phénomène bien plus large : la violence faite aux femmes au Maroc, que la majorité subit encore dans le silence». Cette violence, ajoute-t-elle, prend plusieurs formes : physique, sexuelle, psychologique, économique, et même numérique. Toutes ces agressions sont pourtant punies par la loi 103-13, promulguée en 2018. Présentée à l’époque comme une avancée majeure, cette loi visait à mieux protéger les femmes contre les violences. Mais sur le terrain, le hiatus entre le texte et son application reste alarmant, d’après Bouchra Abdou. Les associations le répètent depuis des années : les protections restent fragiles, parfois inexistantes, et les victimes sont souvent livrées à elles-mêmes. «Le moment est maintenant venu d’amender la loi 103-13», plaide Bouchra Abdou. La tragédie d’Imane montre à quel point il y a urgence à agir : violée, contrainte de se marier, battue, abandonnée, puis agressée de nouveau. Victime de son agresseur, elle a été aussi victime de l’inefficacité des mécanismes de protection prévus par la loi.
L’accompagnement psychologique : une urgence négligée
Pour Bouchra Abdou, dans le cas d’Imane, la justice pénale doit se montrer impitoyable envers l’agresseur, mais la victime doit être prise en charge psychologiquement. «C’est essentiel ! la victime est dans un état de détresse tel qu’elle peut facilement penser au suicide. Il faut une prise en charge immédiate, continue, sécurisante». D’ailleurs, Imane l’a dit, la voix tremblante face aux médias : «J’ai pensé à mettre fin à mes jours. J’aurais préféré qu’il me tue, plutôt que de m’infliger cette agression humiliante». C’est dire l’urgence d’un accompagnement adéquat sur le plan psychosocial. Or Bouchra Abdou tient à souligner qu’aujourd’hui, les centres d’accueil pour femmes victimes de violence ne les hébergent que 72 heures. Une durée courte face à l’ampleur du traumatisme. «Passée cette période, elles sont obligées de retourner souvent dans les mêmes foyers où elles ont été battues, humiliées ou violées. C’est d’une violence insoutenable», s’indigne la militante associative.
L’enfant, l’oublié du drame
Les affres subies par Imane ne doivent pas occulter le destin incertain de l’autre victime. son fils, âgé de 4 ans et demi. Un enfant brisé, confronté trop tôt à l’indicible. «Mon fils ne me reconnaît plus», murmure Imane, anéantie. À ce jour, aucune structure ne s’est intéressée à son sort. Sans prise en charge, ni suivi psychologique, le drame de sa mère risque de l'affecter et pour longtemps. Les pédopsychiatres sont catégoriques : les enfants exposés à la violence en couple ne sont pas de simples témoins. Ils sont des victimes à part entière et leur santé mentale, leur développement affectif et leur sécurité émotionnelle sont profondément perturbés. Grandir dans un climat de peur, c’est bâtir sa vie sur un champ de ruines et c’est courir le risque de reproduire la violence, ou de vivre avec des séquelles durables.
Amour toxique, jeunesse sacrifiée : un autre fléau silencieux
Malgré son destin tragique et sa souffrance incommensurable, Imane trouve le courage de rester débout et surtout d’alerter les autres femmes : «Ne faites jamais confiance à un homme qui se drogue ou qui n’est pas capable d’ouvrir un foyer. Le résultat est devant vous !» lance-t-elle, avec une sincérité amère. En effet, l’histoire d’Imane, c’est aussi celle de milliers d’adolescentes qui tombent amoureuses de l’homme qu’elles pensent idéal... et qui les entraîne dans une relation destructrice. «Tout commence souvent très jeune. À l’adolescence, l’amour paraît idyllique, les émotions nous aveuglent, et les signes d’alerte sont ignorés. La société est indifférente, la famille se tait, l’école ne joue pas son rôle de sensibilisation», déplore Bouchra Abdou.
Malheureusement, ajoute-t-elle, les filles ne sont pas armées pour distinguer une relation saine d’une relation malsaine. «Elles confondent contrôle et attention. Elles tolèrent la violence, au nom de l’amour. Et acceptent l’inacceptable, jusqu’à tomber dans l’irréparable», s’inquiète la militante. Pour elle, le cas d’Imane doit service de leçon mais aussi de signal d’alarme. La violence contre les femmes est toujours banalisée, malgré les avancées juridiques et les efforts consentis pour renforcer leur protection. Défigurée, traumatisée, brisée... Imane est le visage d’une société où la gent féminine n’est toujours pas en sécurité.