Société

La CAN vue depuis le siège avant : klaxons, pourboires et stratégies de survie à Casablanca, Rabat et Marrakech

​Embarquement immédiat à bord des taxis et VTC de l'axe Casa-Rabat-Marrakech. Alors que le Maroc vibre au rythme du football africain, les conducteurs déploient des trésors d'astuces pour transformer les blocages en opportunités. Entre «guide improvisé» pour touristes et partage de trajets pour boucler les fins de mois, découvrez l'envers du décor d'un pays en mouvement.

26 Décembre 2025 À 16:30

Pendant que les supporters célèbrent la Coupe d’Afrique des nations dans les stades et les fan-zones, une autre compétition se joue loin des tribunes. Plus discrète, plus exigeante aussi. Celle des chauffeurs professionnels marocains, taxis et VTC confondus, pour qui la CAN rime avec trafic dense, longues attentes et calculs permanents de rentabilité.

Casablanca : entre improvisation et clientèle fluctuante

À Casablanca, les abords des gares, des hôtels et des grands axes deviennent des points stratégiques. Un chauffeur de taxi, habitué du centre-ville, décrit une journée rythmée par l’anticipation et l’adaptabilité. Il explique multiplier les passages près des zones fréquentées par les visiteurs, interpellant les clients potentiels et proposant des trajets vers les quartiers les plus demandés.

Les supporters venus pour la CAN se comportent parfois différemment des clients habituels : certains ne regardent pas trop le compteur, d’autres offrent volontiers un pourboire. «L’événement crée une atmosphère particulière. On échange davantage, on oriente, on conseille. Le chauffeur devient parfois un guide improvisé», confie-t-il.

Un autre chauffeur, plus rigoureux, préfère travailler strictement au compteur, CAN ou pas. «Je respecte les règles et je ne change pas mes habitudes. Le compteur garantit ma sécurité et ma régularité, même pendant la CAN», explique-t-il. Dans les quartiers comme Maârif ou le centre-ville, le trafic reste dense, absorbant une grande partie du temps de travail, qu’il y ait ou non la CAN.

Rabat : opportunités et contraintes réglementaires

Du côté des plateformes VTC, les réalités diffèrent selon les villes. À Rabat, la CAN se vit autrement, notamment les jours de match. Les restrictions de circulation, les axes temporairement bloqués et l’afflux autour du stade compliquent fortement les déplacements. Pourtant, ces mêmes journées peuvent devenir des opportunités.

Plusieurs conducteurs VTC expliquent que les jours de rencontre, de nombreux habitants préfèrent laisser leur voiture et se déplacer en VTC pour éviter le stress du stationnement. «Les jours de match, la demande augmente clairement. Les gens déposent leur voiture et optent pour le VTC. Nous travaillons davantage, malgré les embouteillages», explique un conducteur basé à Rabat.

Certains reconnaissent également compter sur une forme de tolérance des autorités dans ces moments de forte affluence. «Lors des grands événements, nous espérons que les autorités ferment quelque peu les yeux afin de faciliter la mobilité des supporters», confie un chauffeur, tout en précisant que cette souplesse reste variable selon les villes.

Une vidéo récemment partagée sur les réseaux sociaux illustre parfaitement ces pratiques : on y voit des supporters subsahariens descendus par leur chauffeur avant un contrôle policier, marcher quelques mètres à pied, tandis que le véhicule les attendait de l’autre côté pour continuer le trajet. Les supporters rient de bon cœur de cette astuce, témoignant de l’ingéniosité et de la réactivité des conducteurs face aux obstacles de la ville.

Malgré cette demande accrue, la question de la rentabilité demeure centrale. Plusieurs conducteurs dénoncent des tarifs jugés insuffisants. «Certains chauffeurs travaillent à 2,85 dirhams par kilomètre. À ce niveau, aucune marge bénéficiaire n’est possible», explique un chauffeur VTC. Un autre ajoute : «Dans les embouteillages, il arrive que rester immobile coûte moins cher que d’accepter une course. On use le véhicule sans dégager de bénéfice réel.»

Pour faire face à ces tarifs insuffisants, certains conducteurs pratiquent le partage de trajets, transportant plusieurs passagers sur un même trajet. «Je cherche les endroits où je peux cumuler plusieurs demandes pour des destinations proches. Par exemple, j’ai transporté trois personnes de Bab El Had à Salé à 50 DH chacun. C’est la seule manière de rendre la course acceptable», explique un chauffeur.

Marrakech : vigilance et points stratégiques

À Marrakech, les chauffeurs VTC doivent faire preuve d’une vigilance particulière. Pour optimiser leurs courses et limiter les risques, ils privilégient des zones moins fréquentées par les taxis, tout en maintenant un accès aux clients potentiels. Parmi ces points stratégiques, on compte certains axes touristiques, des places centrales et des zones animées autour des cafés et établissements nocturnes.

«Près du stade, la demande est plus souple et certains collègues osent y effectuer des courses ou accepter des trajets plus longs», raconte un conducteur VTC de Marrakech. Cependant, certains choisissent de rester à l’écart, afin de ne pas se retrouver sans course de retour et de réduire au minimum les risques. En effet, un contrôle policier pourrait entraîner des sanctions sévères, y compris la mise en fourrière du véhicule et d’éventuelles poursuites. Ces stratégies montrent l’ingéniosité et l’adaptabilité des chauffeurs face aux contraintes locales, aux fluctuations de la demande et aux règles parfois floues de la circulation urbaine.

Entre taxis et VTC : deux logiques distinctes

Entre taxis traditionnels et plateformes VTC, les approches divergent nettement. Les taxis s’appuient sur leur cadre légal, leur connaissance du terrain et leur visibilité, affichant souvent les couleurs de la CAN sur leurs véhicules pour attirer les clients. Les VTC, eux, misent sur la flexibilité, la technologie et l’optimisation des trajets, tout en évoluant dans un environnement réglementaire flou et sous la pression constante des contrôles.

La Coupe d’Afrique des nations n’invente pas ces réalités, mais elle les met en lumière. À Casablanca, Rabat ou Marrakech, entre klaxons, embouteillages et stratégies d’adaptation, chaque trajet devient un véritable défi économique et humain, révélant l’ingéniosité, la prudence et l’endurance des chauffeurs marocains.
Copyright Groupe le Matin © 2025