Société

Le mariage consanguin cause toujours de nombreuses maladies rares au Maroc (Dre Moussayer)

Les maladies rares constituent un défi majeur pour des milliers de familles au Maroc, car elles sont souvent chroniques, évolutives et invalidantes. Cette complexité rend leur prise en charge spécialisée, multidisciplinaire et coûteuse, tandis que l’accès au diagnostic et aux traitements reste inégal. Pour répondre à ces enjeux, l’Alliance des maladies rares au Maroc (AMRM) organise chaque année un forum associatif visant à sensibiliser le grand public, mobiliser les professionnels de santé et promouvoir des solutions concrètes. La 6ᵉ édition, qui s’est tenue le 18 octobre 2025 à Casablanca sous le thème «Maladies rares et droits aux soins», a ainsi réuni patients, associations et experts, favorisant le partage d’expériences et l’identification de bonnes pratiques. À cette occasion, Dre Khadija Moussayer, spécialiste en médecine interne et gériatrie et présidente de l’AMRM, a souligné l’importance de la coopération et des initiatives concrètes pour améliorer l’accompagnement des personnes concernées.

28 Octobre 2025 À 16:15

Le Matin: Lors du 6ᵉ forum associatif, l’accent a été mis sur le lien entre maladies rares et droits aux soins. Quels ont été, selon vous, les temps forts de cette édition ?

Dre Khadija Moussayer:
L’édition de cette année, à travers les témoignages de patients et de parents de patients, a mis en lumière les nombreuses difficultés auxquelles sont confrontées les personnes atteintes de maladies rares et leurs familles: errance diagnostique, difficulté à trouver des médecins spécialisés, coût élevé des soins, multiplicité des intervenants et indisponibilité de certains médicaments. Lors de ce forum, les droits fondamentaux garantissant aux patients un accès équitable à une prise en charge adaptée ont également été soulignés.

D’après votre expérience, quelles sont les maladies rares les plus fréquentes dans notre pays ?

Certaines maladies rares sont plus fréquentes en raison du mariage consanguin encore courant dans notre pays, comme l’hypothyroïdie congénitale et la phénylcétonurie, une maladie métabolique concernant l’acide aminé phénylalanine. Étant donné que 80% des maladies rares sont d’origine génétique, le mariage consanguin augmente significativement le risque de survenue de maladies génétiques récessives, car il accroît la probabilité que deux individus porteurs d’un même gène muté aient un enfant héritant des deux copies défectueuses. Par ailleurs, certaines maladies rares sont plus fréquentes en lien avec l’origine ethnique et la position géographique, comme la fièvre méditerranéenne familiale, fréquente chez les populations arabes et dans le pourtour méditerranéen, ou la maladie de Behçet, qui, bien que présente dans le monde entier, sévit principalement dans les régions correspondant à l’ancienne route de la soie.
Quelle est aujourd’hui la réalité de ces patients au Maroc ?

La situation est alarmante: les patients et leurs familles font face à d’innombrables difficultés. L’accès au diagnostic est particulièrement compliqué, relevant souvent d’un véritable parcours du combattant, car les familles peinent à trouver des informations et des équipes médicales maîtrisant le diagnostic et le traitement spécifiques à la maladie. Cette difficulté est exacerbée par l’absence de centres de référence dédiés à chaque maladie rare, entraînant errance et retard diagnostiques, préjudiciables pour les patients. De surcroît, le dépistage néonatal, un moyen clé pour améliorer la situation des enfants atteints, n’est pas systématique. Or un diagnostic précoce permet, dans certaines maladies comme l’hypothyroïdie congénitale et la phénylcétonurie, d’éviter des handicaps graves et de sauver l’enfant de séquelles irréversibles. Par ailleurs, l’indisponibilité de nombreux médicaments au Maroc entrave une prise en charge adéquate, aggravant parfois l’état de santé des patients, y compris avec des atteintes cérébrales. Ces difficultés entraînent de multiples vulnérabilités, des obstacles à l’intégration scolaire et un risque accru d’appauvrissement.

L’accès aux soins reste donc un défi majeur pour les patients. Quels sont les principaux obstacles que ceux-ci rencontrent au quotidien ?

Les maladies rares sont, dans la grande majorité des cas, chroniques, évolutives et invalidantes, nécessitant une prise en charge spécialisée, multidisciplinaire et coûteuse. Aujourd’hui, seulement 5% des maladies rares disposent d’un traitement médicamenteux spécifique, appelé médicament orphelin. Dans notre pays, de nombreux médicaments ne sont pas disponibles et les traitements existants sont souvent non remboursés. Cette situation engendre une inégalité d’accès aux soins, compromettant gravement le pronostic vital et fonctionnel des patients. Un accès limité à un traitement adéquat peut entraîner des handicaps irréversibles ou une mort prématurée. L’absence de traitement a donc un coût humain et économique considérable, bien supérieur au coût financier des médicaments.

Les médicaments orphelins sont souvent cités comme inaccessibles. Quelle est la situation actuelle en matière de disponibilité et de remboursement ?

Il est vrai que les médicaments orphelins sont très coûteux, mais leur valeur thérapeutique est inestimable: ils sauvent des vies et préservent les organes vitaux. Leurs prix élevés s’expliquent par le faible nombre de patients et les investissements massifs nécessaires pour leur développement. Depuis 1983, le nombre de médicaments disponibles est passé de 40 à près de 500 traitements différents. Au Maroc, des progrès ont été réalisés, notamment avec l’introduction et le remboursement des traitements pour les maladies lysosomales, comme les maladies de Fabry, de Gaucher et de Hurler, caractérisées par une déficience enzymatique dans le lysosome, responsable du recyclage cellulaire.

Existe-t-il, à votre avis, des avancées récentes ou des signaux positifs de la part des pouvoirs publics sur cette question ?

Pour le moment, les maladies rares restent marginalisées dans les politiques de santé et souffrent d’un manque de reconnaissance institutionnelle. Néanmoins, il est possible de commencer par des actions peu coûteuses, telles que l’instauration du dépistage néonatal et la sensibilisation aux risques du mariage consanguin. Ces revendications prioritaires, formulées depuis la création de l’Alliance des maladies rares, doivent être mises en œuvre afin de réduire le retard dans la prise en charge des maladies rares.

L’Alliance que vous présidez œuvre depuis plusieurs années pour sensibiliser et fédérer les associations. Quelles réalisations ou progrès concrets mettriez-vous en avant aujourd’hui ?

L’Alliance, créée en février 2017 à l’initiative de l’Association marocaine des maladies auto-immunes et systémiques (AMMAIS) et regroupant plusieurs associations de patients, s’est donnée pour objectif de mieux faire connaître les maladies rares auprès du grand public et d’informer les professionnels de santé afin d’améliorer l’accès au diagnostic et aux soins adaptés. Grâce à l’Alliance, les maladies rares font désormais l’objet de publications dans la presse et de programmes médiatiques, et les problèmes majeurs ont été identifiés: absence de dépistage systématique des nouveau-nés, mariage consanguin encore fréquent, manque de centres de référence et indisponibilité ou non-remboursement de médicaments. Par ailleurs, l’Alliance a contribué à la création de plusieurs associations de patients, comme celles des angioedèmes héréditaires, du rachitisme vitamino-résistant et de la neurofibromatose. Soutenir les associations existantes et aider à la création de nouvelles reste une priorité, car ces structures sont des acteurs essentiels de sensibilisation et de partenariat avec les pouvoirs publics.

Quelles recommandations formuleriez-vous pour améliorer durablement la prise en charge des patients atteints de maladies rares au Maroc ?

Il est urgent d’attribuer le statut d’affection de longue durée (ALD) à un grand nombre de maladies rares, en particulier celles disposant d’un traitement médicamenteux, afin de garantir la prise en charge et le remboursement à 100% des soins. Il est également nécessaire d’instaurer un statut de «médicament orphelin» pour permettre un accès plus rapide au marché et raccourcir les délais d’autorisation de mise sur le marché (AMM). Actuellement, les procédures d’enregistrement et de remboursement sont identiques à celles des médicaments conventionnels, alors que les alternatives sont souvent inexistantes pour les traitements des maladies rares. Je souhaite, par ailleurs, adresser un message aux familles et patients concernés: vivre avec une maladie rare est difficile et impacte tous les aspects de la vie. Cependant, la science progresse rapidement et de nouvelles solutions apparaissent. Il est essentiel de continuer à se battre pour une meilleure prise en charge de ces maladies dans notre pays.

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