Société

Le Maroc avance, mais les écarts se creusent : le signal d’alerte du HCP

Le Maroc progresse, mais tout le monde n'en profite pas autant. Dans son dernier rapport, le HCP révèle que les fractures sociales s’aggravent, avec une précarité urbaine croissante, des écarts de genre persistants et des inégalités territoriales structurelles.

09 Septembre 2025 À 14:55

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Dans un rapport de référence couvrant la période 2000-2023, le Haut-Commissariat au Plan dresse un bilan contrasté du développement au Maroc. Si le pays a franchi le seuil du développement humain élevé et réduit la pauvreté extrême, les inégalités territoriales, la précarité urbaine et les écarts de genre résistent. Pour le HCP, seule une réorientation des politiques vers les territoires et les populations vulnérables permettra d’éviter un Maroc à deux vitesses.



Un constat qui fait écho au discours de Sa Majesté le Roi Mohammed VI à l’occasion de la Fête du Trône, le 29 juillet 2025. Le Souverain y rappelait que « il n’y a de place, ni aujourd’hui, ni demain pour un Maroc avançant à deux vitesses », insistant sur l’urgence d’une action publique plus inclusive, plus territorialisée, et mieux alignée avec les aspirations réelles des citoyens.

Des progrès tangibles...

Le Maroc a amorcé depuis deux décennies une ascension soutenue en matière de développement humain. L’indice IDH a atteint 0,710 en 2023, classant le pays parmi ceux à développement humain élevé. L’espérance de vie a gagné plus de 10 ans depuis 1990, et le revenu par habitant a plus que doublé. Sur le front de la pauvreté extrême, le Royaume affiche un taux inférieur à 0,3 % en 2022.

Pourtant, cette dynamique masque un ralentissement structurel du pouvoir d'achat : alors qu'il progressait en moyenne de 2,8 % par an entre 2000 et 2009, il n'a crû que de 1,1 % par an entre 2010 et 2023. Cette décélération, couplée aux chocs successifs (COVID-19, inflation, sécheresse), a fragilisé les acquis.

Mais des inégalités tenaces et renouvelées

Malgré ces avancées, les inégalités se maintiennent, voire s’accentuent. L’indice de Gini, indicateur de la concentration des richesses, est revenu en 2022 à son niveau de 2001 (40,5 %), après une amélioration passagère. La pauvreté absolue, quant à elle, a doublé entre 2019 et 2022, touchant 3,9 % de la population. Le rapport souligne une vulnérabilité grandissante en milieu urbain, où les filets de protection sociale restent insuffisants. La proportion de personnes à risque de pauvreté est ainsi passée de 7,3 % à 12,9 % sur cette même période.

Autre signe de tension, la répartition des dépenses alimentaires s'est nettement dégradée : l'indice de concentration est passé de 24,2 % en 2019 à 31,7 % en 2022, montrant que les ménages modestes ont vu leur pouvoir d'achat fondre sur les biens de première nécessité.

La pauvreté change de visage, les territoires en première ligne

L’analyse du HCP met en lumière une mutation de la pauvreté. Longtemps cantonnée aux zones rurales, elle gagne désormais les villes, portée par un contexte économique volatile, des crises récurrentes et un marché du travail peu inclusif. Entre 2019 et 2022, la population pauvre a plus que doublé, passant de 623 000 à 1,42 million de personnes.

En parallèle, la pauvreté multidimensionnelle a certes reculé, passant de 11,9 % en 2014 à 6,8 % en 2024, mais elle reste fortement concentrée en milieu rural (72 %). Les privations en éducation représentent près de la moitié de ces situations (47,5 %), devant la santé (30,5 %) et les conditions de vie (22 %).

Genre, emploi et éducation : un potentiel féminin sous-exploité

Le rapport met aussi en exergue les inégalités entre hommes et femmes. Si la scolarisation des filles progresse et dépasse même celle des garçons au collège, la participation économique des femmes stagne à 19 %, contre près de 70 % pour les hommes. L’indice de développement de genre (GDI) reste à 0,859, témoignant d’un retard structurel persistant.

Une nouvelle génération de politiques à inventer

Le HCP plaide pour une refonte des politiques publiques, fondée sur la territorialisation des programmes, la participation citoyenne et l’usage de données probantes. Le Nouveau Modèle de Développement est appelé à jouer un rôle central dans cette dynamique, avec une priorité donnée à l’équilibre social et à la justice spatiale.

En filigrane, le rapport du HCP pose la question du modèle de société : quels mécanismes pour garantir l’inclusion, la résilience et l’équité ? Le Maroc dispose d’acquis solides, mais l’urgence est d’ancrer ces progrès dans des réalités locales concrètes, afin d’éviter que la croissance ne creuse davantage les lignes de fracture sociale et territoriale. L'indice de développement humain ajusté aux inégalités (IDHI) chute ainsi à 0,517, soit une perte de 27 % par rapport à l'IDH nominal, rappelant que la performance globale masque encore de fortes inégalités internes.
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