Société

Quand les oueds et les barrages deviennent des pièges mortels

Chaque été, des dizaines de vies sont fauchées dans les eaux calmes, mais mortelles, des barrages et des oueds marocains. Pour stopper cette hécatombe, les agences des bassins hydrauliques lancent une campagne nationale d’alerte et de prévention contre la baignade dans les zones non surveillées, misant sur la proximité et l’éducation des populations.

14 Juillet 2025 À 16:40

À mesure que les températures grimpent, les mêmes scènes reviennent inlassablement : des enfants et des adolescents se dirigent vers les retenues d’eau à la recherche de fraîcheur, sans mesurer le danger. Barrages, oueds, lacs artificiels... autant de lieux séduisants mais redoutables, devenus chaque été le théâtre de drames évitables. En l’absence d’infrastructures publiques adaptées, ces zones non surveillées deviennent les seules alternatives pour des milliers de citoyens en quête de répit.



En 2022, 151 cas de noyade ont été enregistrés dans les régions du centre et du nord du Royaume, un chiffre qui s’est répété à l’identique dès le 1er août 2023. Les victimes sont, dans la majorité des cas, des enfants ou des jeunes en bas âge, souvent issus de milieux modestes. Des faits divers tragiques, comme celui de la fillette de 11 ans décédée au barrage Dar Khroufa en août 2023, ou celui de trois enfants noyés à Aït Baha en janvier 2025, viennent rappeler la brutalité de ces réalités.

Une campagne nationale de prévention sur tous les fronts

Face à cette situation alarmante, les agences des bassins hydrauliques du Royaume ont lancé, durant l’été 2025, une campagne nationale de sensibilisation. Portée par des slogans explicites – « Ne risquez pas votre vie... la baignade dans les barrages est une mort silencieuse » – cette initiative vise à frapper fort pour enrayer la série noire estivale.

A titre d'exemple, l’Agence du bassin hydraulique de Guir-Ziz-Rhéris a intensifié ses actions entre le 9 et le 23 juillet, notamment autour d’Ifrane et du barrage Ben Smim. Des campagnes similaires ont été déployées par d’autres structures comme l’Agence du bassin hydraulique de Sebou, qui inscrit ces efforts dans son programme annuel de communication environnementale, ou encore l’Agence du bassin hydraulique de Bouregreg-Chaouia, particulièrement concernée par les zones à forte densité autour de Casablanca, Rabat et Béni Mellal.

Ces opérations s’appuient sur une approche de proximité : affiches, dépliants, rencontres citoyennes, visites sur les lieux à risque, avec l’appui des autorités locales et d’acteurs de la société civile. La prévention devient ici un levier d’action directe, là où les drames frappent le plus.

Des eaux calmes en apparence, des pièges redoutables en réalité

Ce qui rend ces zones si dangereuses, c’est leur aspect trompeur. « Les barrages ont des profondeurs qui peuvent dépasser les 100 mètres, des fonds vaseux, des courants soudains, et leurs eaux calmes masquent des pièges mortels », explique Oumaïma Akhiyi, chercheuse en environnement. Contrairement aux plages surveillées, ces lieux ne disposent ni de postes de secours, ni d’agents de surveillance, ni de signalisation systématique.

À cela s’ajoute l’absence d’alternatives sûres. La rareté des piscines publiques ou d’espaces aménagés pousse les jeunes vers ces points d’eau non sécurisés. Résultat : chaque été, les services de la Protection civile sont mobilisés pour intervenir dans des situations d’urgence, souvent trop tard.

L’éducation et la proximité, clés d’une prise de conscience collective

La stratégie déployée par les agences hydrauliques repose sur la pédagogie de terrain : expliquer, alerter, dialoguer. En privilégiant le contact direct avec les citoyens, en particulier dans les zones rurales, ces campagnes cherchent à changer les comportements et à ancrer une culture de la prudence face à l’eau.

Les autorités misent aussi sur la responsabilisation des familles et l’implication des acteurs locaux. Car au-delà des dispositifs de communication, c’est une véritable mobilisation citoyenne qui est appelée à se renforcer pour protéger les plus vulnérables.

À l’heure où le changement climatique accentue les vagues de chaleur, la prévention des noyades devient un enjeu de santé publique. L’interdiction de la baignade dans les zones à risque ne suffit pas : seule une prise de conscience collective, nourrie par l’information et l’éducation, pourra sauver des vies.
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