Société

Rougeole au Maroc : Méfiance vaccinale, désinformation et manque de communication en cause

La rougeole, pourtant évitable grâce à la vaccination, connaît une recrudescence inquiétante au Maroc. En cause : une chute de la couverture vaccinale et une perte de confiance des citoyens dans les campagnes de vaccination. La députée Loubna Sghiri et le professeur Jaâfar Heikel appellent à des mesures urgentes pour éviter une crise sanitaire majeure.

09 Février 2025 À 17:20

La rougeole, maladie hautement contagieuse, qui refait surface au Maroc, aurait pu être évitée si des mesures préventives avaient été prises à temps. Ce constat accablant a été partagé lors d'une conférence organisée, le samedi 8 février à Casablanca, par le réseau associatif TIZI sur le thème : « Rougeole et vaccination au Maroc. Méfiance, désinformation ou simple négligence ? », avec la participation de la députée Loubna Sghiri, membre du groupe du Parti du progrès et du socialisme (PPS) à la Chambre des Représentants, et de Dr Jaâfar Heikel, professeur de médecine et docteur en économie.

Une crise de confiance au cœur de la résurgence

Les chiffres sont alarmants : 25.000 cas recensés et 120 décès liés à la rougeole, une maladie cinq fois plus contagieuse que la COVID-19. Selon le professeur Jaâfar Heikel, cette recrudescence est étroitement liée à une chute dramatique de la couverture vaccinale, passée de 97 % avant la pandémie à 83 % aujourd’hui. Ce taux est insuffisant pour éviter une épidémie, le seuil de protection collective étant situé entre 90 % et 95 %.



Le professeur a mis en avant une perte de confiance croissante des parents dans le programme national de vaccination. Cette crise de confiance, exacerbée par la désinformation et l'absence de communication efficace, a poussé de nombreuses familles à négliger ou à rejeter les vaccinations, pourtant essentielles pour prévenir des maladies graves comme la rougeole.

Un manque de planification et d'anticipation

Le professeur Heikel a également souligné l’absence de planification stratégique de la part des autorités sanitaires. Selon lui, la baisse de la couverture vaccinale post-COVID était prévisible et aurait dû être anticipée par un programme de rattrapage vaccinal rapide et ciblé. « Vacciner un enfant coûte 1 dirham, tandis que traiter un cas de rougeole en coûte 8, sans compter les vies perdues, qui n’ont pas de prix », a-t-il rappelé.

Des foyers épidémiques ont émergé dans des régions comme Souss-Massa et Tanger-Tétouan-Al Hoceïma, où l’accès aux centres de santé est limité et où les vaccins ne sont pas toujours disponibles. Cette situation illustre les conséquences d’une mauvaise gestion et d’un manque d’anticipation face à une crise évitable.

La députée du PPS Loubna Sghiri, qui a également animé cette conférence, a vivement critiqué l’inaction du ministère de la Santé. Elle a rappelé avoir adressé une question écrite au Parlement pour demander des explications sur la hausse des cas de rougeole, mais aucune réponse officielle n’a été communiquée à ce jour. « Ce mutisme ne fait qu’alimenter la méfiance des citoyens envers les institutions sanitaires », a-t-elle déploré. La députée a également appelé à une meilleure répartition des vaccins, une hausse du budget du ministère de la Santé et un renforcement de la sensibilisation pour regagner la confiance des citoyens. « Ce sujet doit devenir une priorité nationale portée par le chef du gouvernement », a-t-elle insisté. Elle a émis l'idée de constituer une commission parlementaire dédiée à ce problème de santé pour accélérer l'action.

Restaurer la confiance : une priorité nationale

Pour sortir de cette crise, experts et élus s’accordent sur un impératif : restaurer la confiance des Marocains dans les campagnes de vaccination. Cela passe par une communication transparente, basée sur des données scientifiques, mais aussi par des actions concrètes sur le terrain, comme la vérification des carnets de vaccination et des campagnes de sensibilisation ciblées.

La résurgence de la rougeole au Maroc est un rappel tragique des conséquences de l’inaction et de la désinformation. Avec une action concertée et une communication proactive, il est encore possible de freiner cette épidémie et d’éviter une crise sanitaire majeure.

L'hésitation vaccinale, une préoccupation mondiale

L’Hésitation Vaccinale (HV) est définie par l’OMS comme « l’acceptation tardive ou le refus de vaccins malgré l’offre de services de vaccination ». L’HV résulte d’un processus individuel de décision influencé par 3 attitudes types (« modèle 3C des antécédents psychologiques ») telles que :
  • Manque de Confiance dans les vaccins (en l’efficacité, la sécurité...) ou dans les institutions impliquées dans la vaccination (les agences, les décideurs...);
  • Complaisance (perception d’un risque faible d’acquérir la maladie à prévention vaccinale ou d’une faible protection vaccinale);
  • Perception d’un manque de Commodités (difficultés pratiques en termes de l’offre de vaccination, accessibilité, coût, attrait des services.
Au-delà de ces attitudes, les chercheurs ont pu décrire des déterminants de la décision de se faire vacciner, qui repose sur un mélange complexe de facteurs culturels (connaissance et croyances), psychologiques (expériences passées), sociaux, spirituels (valeurs morales et religieuses), politiques et cognitifs...L’HV varie dans le temps, dans l’espace et diffère selon les vaccins et les maladies considérées. Elle dépend également de l’exposition aux médias et réseaux sociaux.
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