Hajjar El Haïti
26 Mars 2024
À 17:15
Alors que la sensibilisation à la santé mentale s’intensifie dans le monde, l’Organisation mondiale de la santé (OMS) dévoile un nouveau manuel de diagnostic complet pour les troubles mentaux, comportementaux et neurodéveloppementaux. Ce manuel, mis au point en s’appuyant sur les dernières données scientifiques disponibles et les meilleures pratiques cliniques, vise à aider le personnel de santé mentale qualifié et les autres professionnels de santé à identifier et à diagnostiquer les troubles mentaux, comportementaux et neurodéveloppementaux en milieu clinique. Interrogé sur son évaluation de ce nouveau manuel, Hachem Tyal, psychiatre et psychanalyste, estime qu'il est plus aboutie par rapport aux précédentes.
Pour Dévora Kestel, directrice du département Santé mentale et usage de substances psychoactives de l’OMS, «un diagnostic précis est souvent une première étape indispensable pour des soins et un traitement approprié. En aidant les cliniciens à identifier et à diagnostiquer les troubles mentaux, comportementaux et neurodéveloppementaux, ce nouveau manuel de diagnostic de la classification internationale des maladies (CIM-11) permettra à un davantage de personnes d’accéder aux soins et aux traitements de qualité dont elles ont besoin».
Ces nouvelles lignes directrices pour le diagnostic, qui prennent en compte les mises à jour de la CIM-11, incluent des orientations de diagnostic pour plusieurs nouvelles catégories, y compris le trouble de stress post-traumatique complexe, le trouble du jeu vidéo et le trouble du deuil prolongé. Celles-ci permettront aux professionnels de la santé de mieux reconnaître les caractéristiques cliniques spécifiques de ces troubles, qui peuvent ne pas avoir été diagnostiqués ni traités précédemment. Le document de l’OMS inclut également une approche des troubles mentaux, comportementaux et neurologiques qui tient compte de la vie entière, en s’intéressant notamment aux modalités d’apparition des troubles pendant l’enfance, l’adolescence et le grand âge. Le manuel comporte aussi des approches dimensionnelles et des orientations visant à tenir compte des aspects culturels, pour chaque trouble, en s’intéressant en particulier à la façon dont ces troubles peuvent prendre des formes différentes selon les origines culturelles.
L’OMS rappelle, par ailleurs, que les descriptions cliniques et critères de diagnostic (CDDR) de la CIM-11, qui ont été élaborés et testés sur le terrain, dans le cadre d’une approche rigoureuse, pluridisciplinaire et participative associant des centaines d’experts et des milliers s’adressent aux professionnels de la santé mentale ainsi qu’aux professionnels de la santé non spécialisés qualifiés, comme les médecins de soins de santé primaires chargés d’établir ces diagnostics en milieu clinique, mais aussi à d’autres professionnels de la santé assurant des fonctions cliniques ou autres comme le personnel infirmier, les ergothérapeutes et les travailleurs sociaux, qui ont besoin de comprendre la nature et les symptômes des troubles mentaux, comportementaux et neurodéveloppementaux, même s’ils ne posent pas eux-mêmes de diagnostic.
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Hachem Tyal, psychiatre et psychanalyste : «La version actuelle de la CIM est considérée par les professionnels comme très aboutie par rapport aux précédentes»
En tant que professionnel de la santé, parlez-nous de l’utilité de la classification internationale des maladies de l’OMS dans votre travail ? Et qu’apporte la dernière version CIM-11 ?
Hachem Tyal : La onzième révision (CIM-11), qui est entrée en vigueur début 2022, dispose de 28 chapitres et introduit la médecine traditionnelle (chapitre 26) et des codes d'extension (chapitre X), aussi appelés codes de prolongation, permettant une codification plus précise. Cette nouvelle version a également été conçue afin d'être plus adaptée aux systèmes d'information électroniques de santé actuels.
Cette version a l’avantage d’intégrer de multiples affections qui n’étaient pas prises en compte dans les versions précédentes, soient plus de 55.000 affections disponibles à ce jour. Elle permet de coder en plus des affections cliniques, des circonstances, voire des situations pouvant rentrer dans l’analyse de la morbi‐mortalité. Elle est dite mono‐axiale dans ce sens qu’elle permet d’attribuer à chaque entité un seul code, dans sa catégorie.
La version actuelle est considérée par les professionnels comme très aboutie par rapport aux précédentes. Toutefois reste posé le problème de la difficulté à répondre à un certain nombre de limites posées en pratique clinique, empêchant les cliniciens de choisir convenablement parmi les catégories proposées par la classification. C’est ce qui explique la difficulté importante qui reste persistante, tout particulièrement en psychiatrie, de l’«étiquetage» diagnostic qui est loin d’être satisfaisant dans cette classification, constituant une limite encore indépassable de la CIM-11 malgré l’effort fourni par ses concepteurs.
Pourquoi l’OMS a-t-elle accordé une place importante au facteur culturel dans l’élaboration de la CIM-11 ?
Dans son élaboration, la CIM-11 a cherché à entretenir la cohésion entre les communautés qui y ont recours.
Les facteurs culturels possèdent un fort impact sur ce qui est considéré comme normal ou pathologique. Or, si la culture influence ce qui est normal ou pathologique, il a semblé normal aux concepteurs de cette nouvelle version que cet aspect soit inclus dans la classification. Ceci a le grand avantage d’éviter toute surmédicalisation liée à l’intégration de conditions non pathologiques, d’ordre culturel, au sein de la CIM11.
Dans le cadre de la CIM-11, une méthodologie systématique en trois axes a été mise en place pour développer des outils et du contenu spécifiques à chaque culture. Cette méthodologie a cherché à prendre en considération l’existence de données probantes culturelles, la prévalence du trouble en fonction des cultures et les concepts culturels propres à certains types de préjudices vécus.
Parlez-nous des nouveautés du dernier manuel de l’OMS sur le diagnostic complet pour les troubles mentaux, comportementaux et neurodéveloppementaux..
C’est le chapitre 6 de la CIM-11 qui est consacré aux troubles mentaux, comportementaux et neurodéveloppementaux. Parmi les nouveautés incluses dans le nouveau manuel de l’OMS on trouve un chapitre qui est consacré à la santé sexuelle, intégrant des affections auparavant classées ailleurs ou décrites différemment. Aussi, le trouble du jeu vidéo a été ajouté à la section sur les troubles de l’addiction.
On propose également un nouveau chapitre sur les troubles dissociatifs. Les innovations les plus importantes sont le trouble dissociatif de l’identité (TDI) et le trouble dissociatif de l’identité partiel (TDIP). Les troubles dissociatifs somatoformes sont décrits de manière beaucoup plus détaillée qu’auparavant et sont renommés troubles dissociatifs à symptômes neurologiques.
Il y a aussi un nouveau chapitre consacré spécifiquement aux troubles liés au stress. Dans ce chapitre, le trouble de stress post-traumatique complexe (TSPT-C) et le trouble de deuil prolongé sont présentés.
Des changements marquants ont été apportés également aux troubles de la personnalité, notamment l’abandon des sous-types et l’introduction d’une échelle de gravité. L’accent est désormais mis sur les symptômes observables sur une période d’au moins deux ans ce qui laisse supposer que le diagnostic d’un trouble de la personnalité sera posé plus fréquemment à l’avenir. Le chapitre sur les troubles du contrôle des impulsions a été modifié à travers la réintroduction du diagnostic du trouble explosif intermittent et par le nouveau diagnostic, controversé, du trouble du comportement sexuel compulsif.