Société

La Marocaine Mounia Laassiri parmi les cinq scientifiques distingués par l’Unesco et la Fondation Al-Fozan

Le 19 septembre 2025, le siège de l’Unesco à Paris a accueilli la cérémonie de remise du Prix international Unesco-Al Fozan, consacrant cinq jeunes chercheurs venus des cinq grandes régions du monde. À travers cette distinction, fruit d’un partenariat avec la Fondation Abdullah Al-Fozan, l’Organisation réaffirme le rôle central de la science comme moteur de progrès et de coopération. Les lauréats, dont les travaux couvrent des champs aussi essentiels que la physique, l’océanographie, la biostatistique ou la préservation de la biodiversité, témoignent de la vitalité d’une génération en mesure d’apporter des réponses aux défis contemporains. En distinguant leurs apports décisifs dans les disciplines scientifiques et technologiques, l’Unesco entend rappeler que la recherche n’est pas seulement un horizon à conquérir, mais une œuvre en cours, déterminante pour l’avenir des sociétés.

22 Septembre 2025 À 18:29

En présence de représentants des États membres et de nombreuses personnalités internationales, la cérémonie a mis en lumière la volonté de l’Unesco de placer les disciplines STIM (sciences, technologie, ingénierie et mathématiques) au service de la coopération entre les peuples et du développement partagé. «Ces jeunes chercheurs ne représentent pas seulement l’avenir: ils font déjà la différence», a rappelé Audrey Azoulay, directrice générale de l’Unesco, soulignant que la science, lorsqu’elle est ouverte et accessible à tous, constitue un outil décisif pour relever les défis contemporains et consolider les fondements de la paix.

Cette vision est partagée par la Fondation Abdullah Al-Fozan, partenaire du Prix, qui s’attache à faire de la jeunesse scientifique un acteur central du développement et de la coopération internationale. L’institution insiste sur la nécessité de soutenir les nouvelles générations de chercheurs, afin de renforcer la recherche, l’enseignement et l’innovation au service des Objectifs de développement durable. Comme l’a exprimé sa directrice exécutive, Dr Nada Al-Nafea, «la prospérité des sociétés se mesure à l’investissement dans le capital humain».

Remis tous les deux ans, le Prix international Unesco-Al Fozan illustre ainsi l’importance de la coopération scientifique internationale et de la valorisation des jeunes talents. En distinguant des chercheurs issus de contextes variés, l’Unesco et la Fondation Al-Fozan affirment que l’innovation scientifique transcende les frontières et constitue un levier essentiel de développement, d’égalité et de paix.

Une sélection portée par l’excellence scientifique mondiale

Pour cette deuxième édition, pas moins de 269 candidatures ont été soumises à l’examen d’un jury composé de cinq personnalités scientifiques incarnant la diversité et l’excellence de la recherche mondiale. La présidence en a été confiée à Heiner Linke, professeur de nanophysique à l’Université de Lund (Suède) et vice-président des réunions des lauréats du Prix Nobel de Lindau.

À ses côtés prenaient part Katya Echazarreta (Mexique/États-Unis), ingénieure électricienne engagée dans la promotion des carrières scientifiques auprès des femmes et première Mexicaine à avoir voyagé dans l’espace, Kétévi Assamagan (Togo), physicien au Laboratoire national de Brookhaven (États-Unis) et cofondateur de l’École africaine de physique, Hani Choudhry (Arabie saoudite), professeur de génomique et de biotechnologie, également vice-gouverneur de l’Autorité de recherche, de développement et d’innovation de son pays, ainsi que Xuanmei Fan (Chine), directrice du Laboratoire national clé de prévention des géorisques à l’Université de Chengdu et cofondatrice du Partenariat mondial pour l’informatique intelligente.

Les lauréats 2025: une génération porteuse d’avenir

Le palmarès 2025 reflète l’extraordinaire diversité des trajectoires scientifiques à travers le monde. Pour l’Afrique, le Prix a distingué Ndaudika Mulundileni (Namibie), dont le Mindsinaction STEAM Centre a permis d’introduire la robotique, le codage et l’innovation auprès de la jeunesse et des enseignants, contribuant à ancrer une véritable culture scientifique dans son pays.

Dans la région des États arabes, la distinction est revenue à Mounia Laassiri (Maroc). Physicienne nucléaire et des particules, chercheuse au Laboratoire national de Brookhaven et associée à l’Université de Johannesburg, elle s’est imposée par ses travaux dans le domaine des hautes énergies et par son engagement en faveur de la formation scientifique en Afrique et dans le monde arabe. Sa présence au palmarès a conféré à cet événement une portée singulière pour le Maroc, où son parcours est salué comme l’expression d’une excellence scientifique qui s’affirme sur la scène internationale.

En Asie-Pacifique, le Prix a couronné Lijing Cheng (Chine), océanographe dont les recherches sur le changement climatique marin nourrissent les évaluations du GIEC et orientent les politiques internationales d’adaptation. Pour l’Europe et l’Amérique du Nord, la lauréate est Kyriaki Michailidou (Chypre), spécialiste en biostatistique, dont les modèles de prédiction du risque de cancer du sein ont trouvé place dans les recommandations cliniques internationales. Enfin, en Amérique latine et aux Caraïbes, la distinction est revenue à Rosa Vásquez Espinoza (Pérou), biologiste chimique et fondatrice d’Amazon Research Internacional, qui associe innovation scientifique et savoirs autochtones pour préserver la biodiversité amazonienne et renforcer l’autonomie des communautés locales.

Ces cinq lauréats incarnent une génération qui, par ses travaux, dépasse les frontières et place la science au cœur des réponses aux défis contemporains. Parmi eux, la distinction de Mounia Laassiri retient particulièrement l’attention.

Mounia Laassiri: «Malgré ses lacunes, notre système éducatif nous apprend à être débrouillards et compétitifs»

Le Matin.: Que représente pour vous cette prestigieuse distinction attribuée par l’Unesco et la Fondation Al-Fozan ?



Mounia Laassiri
: C’est un encouragement à poursuivre et à intensifier mes efforts pour apporter ma contribution, à travers la recherche et l’enseignement, au service des communautés scientifiques. C’est aussi une reconnaissance du soutien constant que j’ai reçu de ma famille, de mes encadrants et de mes collègues.

Vous avez mené l’essentiel de votre parcours académique au Maroc avant de rejoindre des laboratoires de renommée internationale. Qu’est ce qui a motivé votre choix vers cette spécialité de pointe qu’est la physique nucléaire et des particules ?

J’ai fait mes études jusqu’au doctorat au Maroc, avant de poursuivre mes recherches postdoctorales à l’étranger. Je travaille aujourd’hui au Brookhaven National Laboratory de New York dans le domaine de la physique des hautes énergies. Ce qui m’a orientée vers ce champ, c’est le désir de comprendre et d’expliquer les phénomènes naturels grâce aux outils mathématiques et à l’expérimentation. Au Maroc, et plus largement en Afrique, l’enseignement des sciences physiques est resté longtemps très théorique, faute d’équipements, ce qui limite réellement les possibilités d’aller plus loin dans les recherches.

Quels sont les obstacles que vous avez dû surmonter ?

L’absence d’outils expérimentaux durant ma formation a représenté un frein. Face aux étudiants étrangers qui bénéficiaient d’une préparation plus complète, nous avons dû redoubler d’efforts pour combler ce retard. Cela m’a appris la persévérance et la nécessité de travailler sans relâche pour m’imposer à l’international.

Votre parcours est un exemple de courage et de ténacité. Qu’avez-vous envie de dire aux jeunes chercheurs des pays émergents, en particulier les jeunes femmes ?

J’espère que mon cas leur servira de motivation et qu’ils comprennent que la constance et l’effort finissent toujours par payer, en dépit des difficultés. Malgré les lacunes dans nos systèmes éducatifs, notre formation nous apprend à être débrouillards et compétitifs. C’est ce qui nous permet de nous imposer sur la scène internationale, même dans les espaces où on est le moins attendu.

Pouvez-vous nous expliquer l’objet et l’importance de vos recherches ?

Je travaille sur l’amélioration des détecteurs d’ATLAS, l’une des principales expériences du CERN (Organisation européenne pour la recherche nucléaire, installée près de Genève), qui étudie les particules produites par les collisions au grand collisionneur de hadrons. Cela permettra d’explorer de nouveaux phénomènes et de détecter de nouvelles particules, afin de mieux comprendre les lois fondamentales de la matière. Ces recherches touchent à des questions majeures comme l’existence de la matière noire ou l’asymétrie entre matière et antimatière. Les innovations technologiques nécessaires pour améliorer ces détecteurs ont aussi des retombées socio-économiques considérables, et forment des étudiants dont les compétences bénéficient à de nombreux autres secteurs, de la finance à la médecine.

Quels sont vos projets actuels et vos perspectives de recherche ?

Je mène également des recherches sur l’enchevêtrement quantique en utilisant le boson de Higgs (particule découverte en 2012 au CERN et considérée comme essentielle pour expliquer l’origine de la masse des particules élémentaires). Je consacre aussi une partie de mon activité à l’éducation scientifique en Afrique: motiver les lycéens à s’intéresser aux filières scientifiques, accompagner les enseignants dans l’amélioration de leurs méthodes et combler les lacunes universitaires. Enfin, je m’efforce de faciliter des collaborations entre équipes de recherche africaines et laboratoires internationaux.

Quels défis voyez-vous pour l’avenir de votre domaine, à l’échelle mondiale comme régionale ?

Les recherches en physique des hautes énergies nécessitent des instruments d’une sophistication extrême comme le grand collisionneur de hadrons du CERN. Ces projets ne sont possibles que grâce à la coopération internationale. Mais la participation des pays africains et arabes reste trop limitée. L’un des défis majeurs est donc d’élargir leur présence et leur visibilité. Un autre défi consiste à mieux faire percevoir au grand public l’importance de la recherche fondamentale et ses retombées socio-économiques, afin de garantir le soutien nécessaire à la poursuite de ces projets.

Quel est votre message aux jeunes chercheurs, et en particulier aux jeunes femmes ?

La physique nucléaire et des particules reste un domaine où les femmes, les Africains et les Arabes sont peu représentés. Cela peut être intimidant. Mais notre formation nous donne les moyens de surmonter ces obstacles. J’encourage les jeunes à persévérer, même lorsqu’ils sont minoritaires, et à rechercher des encadrants attentifs et bienveillants. J’ai moi-même bénéficié de tels soutiens, et je souhaite à mon tour être un modèle pour les générations à venir.

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