L’été rime souvent avec voyages, découvertes et moments en famille. Pourtant, de plus en plus de
familles marocaines trouvent que cette saison, synonyme d’évasion et de repos, devient un casse-tête budgétaire. La flambée des prix touche toutes les étapes du séjour : hébergement, restauration, transport... Et sur les réseaux sociaux, deux récits s’opposent. D’un côté, des factures d’hôtels et d’additions de restaurants, partagées pour dénoncer des tarifs jugés abusifs. De l’autre, des vidéos où l’on voit les plages du Nord bondées, les terrasses d’Agadir pleines à craquer et les ruelles de Marrakech envahies par les visiteurs, donnant l’impression que le pays tout entier est parti en
vacances.
Parmi ceux restés sur le quai, Abdelkader, père de trois enfants, confie qu’il n’a pas pu emmener sa famille cette année. En juin, il rêvait encore de quelques jours loin de Casablanca, mais en calculant
le coût des locations, des repas et du transport, la note dépassait largement ses moyens. «On a dû renoncer. On se contente de sorties à la plage, mais ce n’est pas pareil», soupire-t-il.
À l’inverse, Samir, père de famille, a maintenu son départ annuel vers le Nord. Pourtant, il a vite constaté que tout coûtait plus cher : du prix de l’hébergement au simple café en terrasse. «Ce n’est pas seulement les vacances, c’est la vie entière qui est devenue plus chère, explique-t-il. On profite quand même, mais on rentre avec la sensation d’avoir dépensé plus pour la même chose».
Locations saisonnières : des tarifs stables, mais une clientèle en recul
Une perception que confirme partiellement
Youness Mohssine, agent immobilier spécialisé dans la location saisonnière. «Cette année, nous avons effectivement observé
une baisse des réservations, notamment dans les résidences balnéaires avec piscine de la région de Casablanca et Sidi Rahal. Pourtant, les tarifs appliqués sont restés les mêmes que les années précédentes. Le problème vient surtout de
la baisse du pouvoir d’achat : avec la cherté de la vie, les gens n’arrivent plus à mettre de côté pour les vacances comme avant.» Il précise que le prix de ces locations reste élevé, surtout en juillet et encore plus en août, mais que les propriétaires ne peuvent pas les réduire en raison du coût d’achat, des impôts, de l’entretien et des charges de syndic. Résultat : «Dans la région de Sidi Rahal, le taux d’occupation ne dépasse pas
50 à 60% cette saison, alors qu’il atteignait les 100% auparavant. Et la clientèle est désormais majoritairement locale, alors qu’avant, nous avions beaucoup de MRE (Marocains résidant à l'étranger).»
Même constat du côté des agences de voyages.
Mohamed Semlali, président de la Fédération nationale des associations des agences de voyages du Maroc (FNAAVM), note également une baisse des réservations pour la clientèle marocaine, malgré une offre estivale variée. Selon lui,
le tourisme intérieur pourrait devenir une bouée de sauvetage pour ces agences, à condition d’un soutien concret de l’État. «Il faut rendre les séjours au Maroc plus abordables, surtout en tenant compte du fait que les Marocains voyagent majoritairement en famille, souvent nombreuse», plaide-t-il. Il appelle aussi à revoir les infrastructures d’hébergement et les tarifs afin d’encourager davantage les familles à passer leurs vacances dans le pays.
Hôtellerie : des établissements qui affichent complet malgré tout
Mais toutes les structures ne sont pas confrontées à cette baisse.
Amine Zghaoui, directeur commercial et marketing pour le Maroc et directeur général adjoint de l’hôtel Aqua Mirage, assure que son établissement affiche complet, comme les années précédentes. «C’est une saison magnifique,
sans aucun ralentissement ni baisse des réservations. Les ventes pour juillet et août étaient bouclées dès la fin mars», affirme-t-il. La majorité de la clientèle est étrangère, avec une habitude bien ancrée : réserver plusieurs mois, voire plus d’un an à l’avance. Les touristes marocains, eux, planifient souvent leurs vacances à la dernière minute, ce qui limite leurs chances de trouver des disponibilités, non par manque de budget, mais par manque de timing.
Sur la question
des tarifs, il assure qu’ils sont identiques à ceux de l’an dernier dans son établissement, même si la pression des coûts – inflation, hausse des charges énergétiques, augmentation des salaires liés au SMIG, entretien des infrastructures – laisse entrevoir une possible hausse future. Pour attirer davantage de clients nationaux, il préconise de développer
une culture de la réservation anticipée au Maroc. «Après la pandémie, la clientèle marocaine représentait la majorité de nos réservations estivales, car les étrangers attendaient la dernière minute pour confirmer leurs voyages. Aujourd’hui, la situation est revenue comme avant la Covid : les étrangers réservent tôt et bloquent les dates. Si les Marocains adoptent la même anticipation, ils auront plus de chances de profiter des séjours qu’ils souhaitent», explique-t-il.
Ali Ghannam souligne toutefois un autre aspect. Pour le président de l’Observatoire du tourisme, le tourisme interne reste «un pilier fondamental» du secteur, représentant environ un tiers des nuitées globales. À fin mai 2025, les chiffres du marché national affichent même
une progression de 5% par rapport à la même période de l’an dernier, «ce qui témoigne d’une dynamique globalement positive».
De nouvelles habitudes de voyage face à la cherté
Cette évolution s’inscrit, selon lui, dans des tendances similaires à celles observées à l’international : les ménages adaptent leurs habitudes face aux contraintes économiques, sans pour autant renoncer totalement aux vacances. «Il ne s’agit pas d’un désintérêt, mais d’un recentrage sur des formes de tourisme différentes : destinations de proximité, séjours plus courts, réservations à la dernière minute, choix plus sélectifs des prestations.»
Concernant la perception d’
une flambée des prix, Ali Ghannam rappelle qu’elle «n’est pas propre au Maroc». Plusieurs destinations dans le monde subissent des hausses de coûts qui touchent l’ensemble de la chaîne touristique : énergie, matières premières, main-d’œuvre, mais aussi exigences accrues en matière de qualité de service et de durabilité. À cela s’ajoutent
des pics de demande dans certaines zones très prisées, «ce qui exerce une pression supplémentaire sur les prix».
Il note cependant que les acteurs publics et privés «travaillent à élargir l’offre touristique nationale, la rendre plus diversifiée, inclusive, compétitive et adaptée au pouvoir d’achat du touriste marocain». Face à la cherté, les comportements évoluent : «Les touristes font des arbitrages : choix de destination, mode de réservation, flexibilité... toujours dans la recherche d’un rapport qualité/prix optimal».
Quant au nombre de Marocains qui renoncent complètement à partir, l’Observatoire ne dispose pas encore de données précises. «Cela nécessite des enquêtes ciblées», explique-t-il, précisant qu’une étude spécifique sur le tourisme interne sera bientôt lancée pour mieux mesurer ces tendances.
Sur la question
des prix locaux parfois jugés supérieurs à ceux de l’étranger, il reconnaît que
«cette perception est légitime», notamment face à certaines offres européennes subventionnées ou bénéficiant d’économies d’échelle. Mais il rappelle que le Maroc dispose d’une grande diversité de destinations et de formules capables de répondre à différents budgets, tout en soulignant l’importance de «mieux faire connaître ces offres, renforcer la transparence tarifaire et améliorer l’adéquation entre prix et qualité perçue».
Pour lui, le défi est clair : diversifier les produits, optimiser l’expérience et améliorer le rapport qualité-prix afin que chaque voyageur «puisse trouver des options adaptées à ses attentes et à ses moyens». Et de conclure : «L’accessibilité des vacances pour toutes les classes sociales est une priorité. Cela passe par des politiques tarifaires adaptées, le développement de produits accessibles toute l’année, la valorisation des destinations de proximité et le soutien aux initiatives locales».