Fadwa Misk
16 Novembre 2023
À 19:11
Un public présent en nombre, une écoute mutuelle et plusieurs propositions d’actions : c’est le bilan de ce premier débat sur l’édition, organisé par Groupe Le Matin à Anfa Park, le mercredi 15 novembre.
Répondant à la demande des professionnels des métiers du livre, suite à la
parution de l’article sur la détresse des écrivains du Maroc, le débat a réuni plusieurs intervenants de qualité, à savoir le ministre de la Culture, Mohammed Mehdi Bensaïd, l’écrivaine Mouna Hachim, l’éditeur Camille Hoballah et le juriste Elias Khrouz.
Si le débat a commencé avec quelques frictions et tensions palpables, le désir partagé de promouvoir le livre l’a emporté sur les différends. La création d’un vrai marché du livre, la promotion de la lecture, le soutien des libraires et la justice pour régler les manquements aux droits d’auteur sont autant de sujets débattus, avec passion et franchise.
Une nouvelle gouvernance du livre
Dans le discours inaugural, le ministre a dévoilé une vision novatrice pour la gestion du secteur du livre, mettant l’accent sur une gouvernance axée sur l’accompagnement et la promotion. Une attention particulière a été accordée au soutien inébranlable des librairies, envisageant celles-ci comme des acteurs essentiels dans la diffusion et la valorisation de la littérature.
Le ministère s’est engagé également à participer à la formation active et efficiente aux métiers du livre, établissant des partenariats solides avec le ministère de l’Emploi et les parties prenantes du secteur. L’objectif est d’évaluer de manière approfondie les besoins spécifiques de l’industrie du livre, favorisant ainsi le développement de compétences adaptées aux évolutions du marché.
Un autre volet essentiel de cette nouvelle orientation concerne la protection des droits d’auteurs. M. Bensaïd a clairement souligné qu’«il n’y a pas de littérature ou d’édition sans écrivains», pour dire l’importance de préserver la propriété intellectuelle et d’assurer une rémunération équitable aux créateurs, pour garantir un écosystème éditorial sain et durable.
Enfin, le ministre a dévoilé son ambition de transformer le Maroc en une plateforme régionale de l’édition et de la traduction. Ce virage stratégique vise à exploiter pleinement le potentiel du pays en tant que carrefour culturel et linguistique, ouvrant ainsi de nouvelles perspectives pour l’industrie du livre dans la région.
Les droits des auteurs bafoués
L’écrivaine Mouna Hachim a fait un tour complet des problématiques vécues par l’ensemble des écrivains, de l’absence de comités de lecture, à la promotion qui incombe à l’auteur lui-même, tout en soulignant l’absence de reddition des comptes et, par conséquent, l’ensevelissement des droits d’auteur.
En termes de loi, «la législation marocaine n’a pas besoin d’être changée. Le recours à la justice donne automatiquement raison à l’auteur, qui malheureusement refuse d’entamer une procédure légale, en sachant qu’au bout de trois mois suivant une commande de livre insatisfaite, il est en droit de résilier son contrat d’édition», précise le juriste Elias Khrouz. Mais la démarche n’est jamais entreprise, probablement «par peur d’être blacklisté chez l’ensemble des éditeurs», suppose-t-il.
Si l’éditeur Camille Hobballah a préféré éluder la question, le ministre a, quant à lui, confirmé les propos de l’écrivaine, en choisissant délibérément d’œuvrer pour la création d’un marché du livre, plutôt que de sombrer dans l’arbitrage. «Si l’on crée un marché où les livres sont accessibles partout et à des prix abordables, entre 20 et 30 dirhams, l’éditeur pourra s’en sortir et payer son dû à l’auteur», suggère-t-il.
Pour Elias Khrouz, la proposition émanant de l’écrivaine Ihssane Bekkay, de rédiger un contrat type, est pertinente. Elle permettrait d’établir un modèle de contrat avec un minimum de conditions à même de satisfaire les auteurs, lequel reste perfectible et modulable selon les besoins et les exigences de chaque écrivain.
Subventions et nerf de la guerre
«Beaucoup de gens pensent que les écrivains sont des êtres extraordinaires qui n’ont pas de factures à payer», ironise Mouna Hachim, qui explique qu’au Maroc, personne ne peut vivre de son art, même lorsqu’il perçoit intégralement son dû. Camille Hoballah affirme qu’un éditeur ne vit pas non plus de l’édition de la littérature, vu le marché infime du livre et de la lecture.
À ce propos, le ministre de la Culture fait part de son projet de booster le marché du livre, en multipliant les points de vente, à savoir les librairies. M. Bensaïd espère y parvenir en octroyant l’aide à la création ou à la rénovation, en favorisant des loyers préférentiels au sein des différentes communes aux personnes désireuses de créer des librairies et en encourageant les libraires à l’animation, en dehors des salons du livre. Il a également réitéré son désir profond de favoriser l’édition du livre de poche, afin d’encourager à la lecture et de combattre le piratage.
Pour contribuer à la solution, l’écrivaine Mouna Hachim soumet une proposition : utiliser le montant des subventions, normalement données à l’éditeur, pour acheter des livres aux libraires et les distribuer aux bibliothèques du Royaume, afin de rémunérer l’ensemble de la chaîne du livre. Cette proposition est largement soutenue par Camille Hoballah qui ajoute que les subventions devraient aller davantage aux activités promotrices de la culture.
Les deux heures de débat ne sont pas venues à bout des problématiques de la filière du livre, mais ce premier rendez-vous est le précurseur d’un dialogue depuis très longtemps reporté. Le débat reste à suivre de près, sur «Le Matin» et les différents supports et chaînes du «Book Club Le Matin».
Initiatives culturelles à Anfa Park : Convention Groupe Le Matin-AUDA
À l’occasion du débat sur l’édition, une convention a été signée entre Groupe Le Matin et l’Agence d’urbanisation et de développement d’Anfa (AUDA), pour lancer des initiatives culturelles à Anfa Park, dont l’installation d’un kiosque-bibliothèque ouvert gratuitement au public, ainsi que l’organisation de quelques rencontres littéraires du «Book Club». Mohammed Haitami, PDG du Groupe, a fait part du désir de dupliquer l’expérience dans d’autres communes du Maroc, affirmant l’engagement infaillible du Groupe pour la cause du livre et de la lecture.