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Les écrivains, ces parents pauvres de la culture

Si le chantier des droits d’auteur au Maroc est sérieusement entamé, le secteur de l’édition demeure intouché. Manque d’accompagnement, diffusion pauvre et absence de transparence sont autant de doléances exprimées par les écrivains. Les éditeurs, eux, s’en étonnent.

Les écrivains, ces parents pauvres de la culture

Dans le monde merveilleux de la littérature, le désenchantement est la règle. Au terme de plusieurs mois de labeur et de gestation, l’accouchement survient et l’on est l’heureux parent d’un nouveau-né, que l’on aime et que l’on trouve abouti. Mais dès lors que le baptême est célébré, on est quasi dépossédé de sa création. «Depuis que l’éditeur m’a refilé ma vingtaine d’exemplaires, il ne répond plus à mes mails ou à mes questions, ne serait-ce que pour me dire si le livre est diffusé dans telle ou telle librairie, ou s’il est présent dans les salons internationaux !» se plaint A.K., une écrivaine dont le roman est sorti en 2021. Tout ce qu’elle en perçoit, c’est le compte de «tags» des lecteurs sur les réseaux sociaux et elle ne sait si elle doit s’en réjouir ou s’en désoler.

Ce mutisme heurte souvent la sensibilité de l’écrivain, qui assimile cette attitude à de l’indifférence, voire de l’incompétence. «Il ne faut pas se leurrer. Ce n’est pas du tout une question d’ego ! L’écrivain a besoin d’informations claires au sujet de son ouvrage, afin de savoir rectifier son approche, cibler son public ou carrément laisser tomber l’écriture. Le silence est totalement irrespectueux !» s’exprime K.B. Tout contrat d’auteur stipule, pourtant, une communication suffisante et une reddition des comptes annuelle. Mais rares sont les éditeurs qui s’y tiennent, selon les auteurs interviewés.

Les éditeurs démentent

Responsable d’une maison d’édition prestigieuse, S.M. affirme le contraire. «Tous nos auteurs reçoivent leurs états de vente et les montants qui leur sont dus. Quelques retards peuvent survenir en attendant les bilans du distributeur, mais cela ne dépasse jamais un mois ou deux». C’est le même son de cloche chez H.S., l’un des rares éditeurs inattaquables de la scène : «Nous payons l’auteur même quand ses droits s’élèvent à 150 dirhams. Comme nous faisons ce métier avec passion, nous ne pouvons nous permettre de nuire à nos auteurs. Et nous maintenons une communication régulière. C’est pour cela que nous avons toujours plus de demandes de publication». M.C., l’un des plus anciens éditeurs du Maroc, rémunère ses auteurs en exemplaires imprimés. Pour lui, il s’acquitte ainsi des droits d’auteur, lorsque les temps sont durs, tout en leur faisant «des remises avantageuses sur le prix du livre». Dans l’ensemble, tous les éditeurs interviewés affirment mordicus qu’ils «trouvent le moyen de rétribuer» leurs auteurs. Pourtant, une très grande majorité d’écrivains attestent le contraire. Au mieux, les états de vente s’arrêtent à la première année et, avec eux, toute information claire et crédible sur le livre. Ce genre de comportements et bien d’autres sont connus de H.S. «On ne va pas mentir. Un éditeur honnête ne roule pas sur l’or. Pour payer ses auteurs et faire correctement son job, il doit souvent se diversifier et ne pas compter exclusivement sur les ventes de livres».  

Zéro dirham pour l’auteur ?

Mais quand bien même la communication est fluide et l’éditeur «discuteur», il n’y a aucun moyen pour les écrivains de connaître le nombre réel d’exemplaires imprimés ou vendus de leur livre. «J’ai touché 2.500 DH au terme de la première année, ce qui était pas mal étant donné que mes confrères n’en voient pas la couleur ! Depuis, je n’ai plus rien alors que mon livre se vend toujours et en quantité. Je suis certaine d’avoir écoulé plusieurs éditions», assure M.L., une autrice qui continue à signer des exemplaires, se suffisant de la joie de recevoir des avis de lecteurs : une rémunération morale que beaucoup d’auteurs chérissent plus que l’argent. «Pour être honnête, quand j’ai décidé d’écrire, je savais déjà que les Marocains ne lisaient pas beaucoup et que je n’allais pas vivre de mon écriture. Ce n’est certes pas une raison de me faire truander, mais je me console en sachant mes ouvrages présents sur les étals», partage M.B., romancier.

Mais c’est toujours mieux que du côté de certains éditeurs qui demandent des 20.000 et des 30.000 DH, en guise de «participation» de l’auteur aux frais d’édition. «Ne pas gagner sa vie en écrivant c’est une chose, mais perdre ses économies pour être considéré comme écrivain, cela vaut-il vraiment la peine ?», se demande A.K. qui a fini par se faire publier «gratuitement». Et pendant ce temps, les auteurs voient passer sous leurs nez les montants de subvention accordés à l’éditeur par le ministère de la Culture ou d’autres institutions internationales. «C'est-à-dire que l’éditeur ne débourse rien pour la publication de mon livre et garde pour lui tout le fruit de mon travail !», s’insurge S.A.

Un accompagnement quasi nul des écrivains

Convaincus par le triste postulat que les Marocains ne lisent pas, la plupart des écrivains ne tentent même plus d’exiger leur dû aux éditeurs. Par contre, ils souhaitent tous un accompagnement digne du sacrifice. «Il ne faut pas oublier qu’un éditeur intervient bien avant la publication. Un vrai travail d’édition suppose une lecture avisée et parfois une réécriture, un travail de mise en page et un choix minutieux de la couverture, tout en respectant un calendrier de publication qui puisse mettre l’œuvre en valeur. Un vrai éditeur n’est pas un imprimeur», nous explique H.S.

Après l’impression, le livre requiert une promotion correcte et une diffusion suffisante. La première étape de la promotion concerne la presse et bien que la plupart des éditeurs ne refusent pas les requêtes des journalistes désireux de découvrir un ouvrage, peu d’entre eux prennent l’initiative d’envoyer spontanément un exemplaire à un journaliste culturel. L’éditeur F.A. nous explique que «les journalistes lisent peu et ne demandent presque jamais les livres. Envoyer spontanément des exemplaires est une perte de temps et de livres !»

Toujours dans l’étape de la promotion, il y a les rencontres autour des livres. «J’organise mes rencontres moi-même, en comptant sur mes réseaux et mes connaissances. Mon éditeur ne bouge pas le petit doigt, comme si son travail s’était achevé», commente K.B. Quant aux invitations aux salons internationaux, subventionnées par le ministère de la Culture, elles ne sont adressées que lorsque le Maroc est invité d’honneur. Autrement, seul un des auteurs interviewés a assuré avoir eu droit à un billet d’avion, payé par son éditeur, lors d’un Salon du livre en Europe.

Concernant la diffusion, l’absence des livres dans les librairies en dehors de l’axe Casa-Rabat est constamment soulevée. A.R., essayiste et chroniqueur, en est même arrivé à se demander si son livre a réellement vu le jour. «J’en ai reçu quelques exemplaires et depuis personne ne le retrouve nulle part. Les libraires commandent, mais le diffuseur leur assure qu’il n’en a pas et ce cher éditeur ne répond pas à mes appels», raconte-t-il avec une pointe d’ironie.

La traduction vers d’autres langues est, pour sa part, un fait rarissime, sachant que le contrat type d’édition stipule automatiquement que les droits de traduction appartiennent à l’éditeur. «Si au moins les éditeurs traduisaient certains de leurs propres livres, ne serait-ce que vers l’arabe ou vers le français. Très peu d’auteurs ont eu cette chance et très peu de traducteurs travaillent du coup», commente M.B. Les écrivains attendent, alors, le miracle d’être repérés par un traducteur étranger qui les propose à une maison d’édition internationale. «J’ai eu une occasion de me faire traduire vers l’anglais. Mais les démarches étaient tellement fastidieuses que l’éditeur étranger a laissé tomber», se désole A.K.

Rêve de tout écrivain, l’adaptation de son roman pour le cinéma s’avère bien plus problématique. Les réalisateurs marocains sollicitent peu la création littéraire pour faire des films, non par manque d’intérêt, mais souvent pour éviter les négociations avec les éditeurs. «Mon éditeur, qui n’a jamais payé mes droits d’auteur, a fait échouer les négociations avec un grand réalisateur, car il s’est senti “lésé” par la proposition de ce dernier. Avouez que c’est tristement drôle !», s’exclame S.A.

Auteurs/Editeurs : des solutions ailleurs

Bien que l’édition se porte mieux en Europe, il faut croire que la détresse des auteurs est un fléau planétaire. De nombreuses négociations entre les Associations des auteurs et les Syndicats des éditeurs ont été entamées un peu partout ces dernières années. En France, un accord entre les associations des éditeurs et celles des auteurs a vu le jour, dans la douleur, en décembre 2022. Bien qu’il n’apporte pas d’amélioration spectaculaire sur la question de la rémunération, l’accord stipule la mise en place d’une reddition des comptes semestrielle, qui va permettre d’améliorer l’information des auteurs, mais aussi la régularité et la périodicité de leur paiement. L’auteur est également informé à chaque sous-cession de l’œuvre ou d’une partie de celle-ci ou de droits sur l’œuvre, ou toute transmission des droits à un tiers pour l’utilisation de l’œuvre. Un principe de résiliation du contrat de traduction est adopté, en cas de disparition du contrat de cession de l’œuvre première et de fin d’exploitation commerciale de la traduction.

En Espagne, les auteurs ont décidé de procéder autrement et de court-circuiter les éditeurs, en ayant recours au booktracking. Des associations d’écrivains et d’illustrateurs se sont mis d’accord avec le principal collectif des libraires pour avoir le nombre des ventes en temps réel, en accédant directement au système informatique des librairies. Un logiciel payant (10 euros), enregistre chaque passage du code-barre du livre au passage de la caisse. LibriRed donne alors un rapport détaillé des ventes d’un ou de plusieurs ouvrages que l’auteur peut comparer aux comptes présentés par son éditeur. La démarche est en train de se généraliser en Europe.

Des solutions similaires, sont-elles envisageables au Maroc ? «Le booktracking serait bon pour les droits d’auteur. Mais ça ne concernera que les ventes en librairie, alors que beaucoup d’éditeurs marocains font malheureusement de la vente directe, nuisant ainsi aux libraires et à l’ensemble de la chaîne du livre», commente H.S. Mais pour améliorer la prise en charge globale du livre, un dialogue s’impose entre les écrivains, le ministère de la Culture et les associations des éditeurs. «Pour cela, les auteurs doivent être représentés par une association ou plusieurs. Autrement, nous serons toujours en position de faiblesse», propose D.B, romancier et chroniqueur. 

En attendant, le ministère de la Culture peut, tout de même, se saisir de ce dossier et réagir aux doléances des auteurs. S.A. pense qu’il y a moyen de faire pression sur les éditeurs, en conditionnant l’octroi des subventions par une situation transparente et légale. Subventionner directement les auteurs est également une piste donnée par l’autrice et, au pire, expliciter les conditions de l’annulation d’un contrat d’édition, qui donnerait aux auteurs le choix de changer d’éditeur ou de retirer leurs livres du marché.

Mais ces traitements seront toujours symptomatiques, en dehors d’une approche holistique de l’édition. «La situation du livre est intimement liée à l’engagement politique du ministère, mais également des collectivités et des institutions sur l’ensemble du territoire. On ne peut pas continuer à déplorer le manque de lecteurs, alors qu’on n’offre pas des lieux publics, d’accès gratuit, où les livres sont à portée de main. La situation du livre et des écrivains s’en trouvera certainement améliorée», commente l’éditeur H.S., à condition que leurs contrats soient respectés et leurs droits encaissés…

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Témoignage

Karima Ahdad : Exigez vos droits !» 

 

«L’écriture littéraire au Maroc ne rapporte pas de pain. Elle n’apporte ni gloire, ni argent, ni même reconnaissance. Si vous êtes écrivain au Maroc, la seule chose que vous retirez de votre écriture est le plaisir que vous procure le processus créatif. Sinon, vous n'avez rien ou, plutôt, on ne vous donne rien qui puisse vous convaincre de continuer à contribuer à la vie culturelle de votre pays.

Écrire est un métier, nécessitant de grands efforts pour transformer les expériences de vie en créativité. Vous faites un travail très sérieux, peut-être le travail le plus sérieux de votre vie. Vous achetez des livres, lisez beaucoup, vous vous réveillez tôt le matin et restez assis devant votre ordinateur pendant des heures à réfléchir à la manière de formuler une phrase, d'exprimer une idée ou un sentiment, de créer un personnage... Mais n'espérez rien recevoir en échange de ce travail dur, sérieux et fatiguant, même après l'avoir publié, car vous le cèderez gratuitement à votre éditeur, juste pour qu'il vous accorde l'honneur de le publier dans sa prestigieuse maison d'édition. Ensuite vous devrez vous taire, garder votre bouche fermée pour toujours et ne jamais demander vos droits. Oublier même que vous avez écrit ce livre et je vais vous expliquer le pourquoi du comment.

Lorsque vous signez un contrat avec un éditeur, votre manuscrit devient sa propriété. En échange, celui-ci devra vous reverser au mieux 10 ou 12 pour cent de la valeur de vente de chaque exemplaire de votre livre. Si la valeur du livre est de cent dirhams, vous toucherez dix dirhams pour chaque exemplaire vendu. Mais vous devez d’emblée garder à l’esprit que vous n’aurez aucune preuve du nombre d’exemplaires publiés par votre éditeur (il vous dira généralement qu’il en a publié cinq cents ou mille exemplaires), ni du nombre de ventes réalisées par votre livre. Tout ce que vous avez, c'est la parole éditeur, lorsqu’il daigne communiquer… Les éditeurs vous diront souvent que personne n’a acheté votre livre ou n’y a pas prêté attention. Ils vous le diront sur un ton de fausse compassion ou même d’insatisfaction. Ils vous convaincront que vous êtes un écrivain raté et vous feront sentir que publier votre livre était un mauvais pari parce qu’ils y ont investi, mais n’en ont rien retiré. De cette façon, vous fermerez la bouche pour toujours, gêné par vos propres questions sur vos droits. 

Quels droits alors que vous n'avez rien vendu ? Quels droits alors que votre pauvre éditeur a perdu son investissement ? Alors vous vous taisez, reculez et disparaissez en silence.

Mais vous voyez toujours votre livre raté en vente dans les librairies, dans différentes villes et même pays. Vous le découvrez dans des salons du livre et vous en voyez des photos sur les réseaux sociaux. Vous recevez des messages à son sujet de la part de lecteurs sur Facebook et Instagram, en permanence, et ce pendant des années. 

Le millier d'exemplaires ne s’est-il donc pas épuisé ? Comment peut-on être aussi raté ? Votre éditeur, qui n'a assez souvent rien à voir avec la littérature, vous dira que vous n'êtes pas un écrivain raté et vous rassurera que votre livre n’est pas mauvais, mais que vous ne vous en êtes pas soucié correctement, car vous n'avez organisé aucune rencontre ni signature. Vous pensez alors à votre travail alimentaire qui vous permet de vivre dignement et qui vous empêche de courir les librairies pour vendre des vingt et des trente exemplaires que votre cher éditeur empochera totalement, lui qui n’a pas envoyé un exemplaire à la presse…

En fait, votre travail d'écrivain au Maroc n'appartient à aucun type de travail connu dans l'histoire. Vous ne recevez pas de salaire ou de compensation pour cela, mais en même temps, ce n'est pas un travail classé comme travail d'esclave, car le maître fournit son aux esclaves de la nourriture et des vêtements en échange du travail qu'ils font. Quant à vous, votre éditeur ne vous donne rien pour le travail que vous faites pour eux. Vous lui confiez simplement votre travail gratuitement, pour mettre en marche ses rouages de production, puis vous poursuivez votre chemin. Mais vous vous dites que ce n'est pas grave. Je continuerai à écrire, pour le plaisir de créer et de me découvrir moi-même. Et vous continuez, malgré l’indifférence de votre éditeur qui lit vos lettres et n'y répond pas. Vous noircissez les pages de votre nouveau manuscrit, même si vous n'avez aucune idée du sort de votre précédent œuvre. Vous continuez en sachant qu'il existe un ministère de la Culture dans votre pays et que ce ministère dispose d'un budget spécial pour le processus de production du livre afin que la vie culturelle puisse continuer dans le pays.

Vous découvrez tardivement que ce même ministère accorde des aides aux écrivains et à l'édition, mais que ce sont les éditeurs qui les perçoivent ! Vous découvrez aussi que ce soutien autorise l'éditeur à emmener l'écrivain à tous les salons où son livre est présenté, mais vous n'avez jamais été invité à aucun salon pour présenter votre livre, le dédicacer et le faire découvrir. Vous serez très choqué et vous avez raison de le faire. Vous vous sentirez frustré, voire méprisé. Or, ce qu’il faut savoir, c’est que vous avez des droits et que vous ne les avez tout simplement pas obtenus. Et puisque vous possédez la hardiesse de la plume, exigez d'obtenir pleinement vos droits matériels sur votre travail de création, œuvrez à avoir des associations pour vous défendre, afin de pouvoir un jour vivre de votre écriture. Non, ce n’est pas un rêve farfelu. C’est une réalité dans des pays qui respectent leurs créateurs et écrivains. Et, surtout, n’arrêtez jamais d’écrire !»

(Ce texte est traduit de l’arabe)

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Témoignage

Souad Jamai : «Surtout ne vous méprenez pas !»

"Si jamais il vous prend l’envie d’écrire un roman, un recueil de poésie ou autre prose, sachez que vous devrez vous contenter du seul plaisir de l’avoir écrit ! Je vous concède que ce plaisir est immense, que les envolées lyriques, les tournures de phrases, le choix des mots stimulent et nourrissent l’esprit. Certes, le partage avec les lecteurs et les débats qui s’en suivent sont également pourvoyeurs d’un incommensurable bonheur, alimentant le brasier qui enflamme la pensée et nous pousse à écrire encore et encore… Mais, si jamais vous cherchez un autre avantage, je préfère éclairer votre lanterne avant que vous ne vous retrouviez à patauger dans des marécages d’eau boueuse, mais vraiment très boueuse !

La relation entre l’auteur et l’éditeur pourrait être comparée à une relation amoureuse complexe que d’autres ont explorée avant vous, mais que l’on vous laisse découvrir seul – il faut avouer que l’expérience enrichit bien plus que la théorie, mais le problème est que cette théorie n’est pas réactualisée par les expériences de chaque auteur… Et elle n’est consignée nulle part, ce qui nous aurait pourtant évité bien des tracas !

Au premier contact entre l’auteur et l’éditeur, il faut une alchimie pour déclencher l’intérêt de l’éditeur. Puis, il se crée un lien de force : l’auteur étant le quémandeur qui attend l’approbation à l’éditeur, celui-ci se trouve bien entendu en position de force. La manière dont un contrat est négocié est variable selon l’auteur : si vous êtes novices, sans rechigner et sans lire la moindre clause, vous signez le contrat en deux temps trois mouvements ; si vous êtes déjà un auteur confirmé et reconnu, vous n’êtes plus dupe et vous modifiez ou imposez sans vous précipiter.

Mais revenons à l’auteur novice. L’éditeur fort intéressé, exposera son inventaire d’avantages et fera la roue tel un paon pour vous faire admirer ses plus belles plumes, en vous montrant son prestigieux catalogue rempli de promesses. Vous êtes alors sous le charme, vous imaginez déjà les milliers d’euros pleuvoir dans votre compte en banque (oui, car votre éditeur travaille aussi avec Amazon !), vous vous voyez déjà assis sur le divan de La Grande Librairie, partageant le divan avec Yasmina Khadra et lu par Trapenard, en affiche sur toutes les vitrines de librairies, en studio avec les plus grands journalistes littéraires… Et, bien sûr, sans réfléchir un instant de plus, vous signez illico presto avant que l’éditeur ne change d’avis, en constatant votre imposture. Oui, parce qu’en plus, quand ce ne sont pas vos proches qui vous le font ressentir, vous devez aussi gérer ce sentiment nouveau qui s’insurge dans votre esprit, ce sentiment de doute qui vous fait croire que vous êtes un usurpateur, que vous n’êtes pas celui que vous prétendez être. Or c’est bien ce sentiment-là qui fait que vous signez, sans oser regarder de plus près ce contrat aux articles sinueux, dont vous ne comprendrez la teneur qu’après quelques années parsemées de déconvenues.

Une fois ce fameux contrat signé, votre œuvre tant attendu, votre bébé, conçu à la sueur de vos méninges, verra jour dans le meilleur des cas au bout de 12 à 18 mois. Puis arrive la phase d’euphorie, le moment que vous avez attendu toute votre vie d’apprenti écrivain, celui où enfin vous tenez l’objet entre vos mains. Comme dans la passion amoureuse, la décharge de sérotonine est tellement intense que vous voilà transformé, drogué par les hormones du bonheur et bien entendu, vous ne voyez plus les défauts de votre éditeur, cela tombe bien puisque justement c’est la période durant laquelle il se fait oublier, tant il est absent. Mais oui, c’est le moment pour lui de devenir l’homme invisible ! Après tout, selon lui, son travail est achevé et c’est le vôtre qui commence… Vous dépensez alors votre énergie en rencontres, interviews, capsules littéraires et débats. Mais ce n’est pas grave, après tout, qui d’autre que vous pourrait le faire avec autant de motivation ?

À ce stade-là, nous en sommes encore à celui où l’on compatit avec ce pauvre éditeur pris par tant de réunions, tant de publications et tant de Salons… On est dans une phase de flottement, en apesanteur dans un univers nouveau, fait de paillettes et de découvertes. Pendant ce temps, l’éditeur, en comptable bienveillant, comptabilise les recettes et encaisse les subventions. Oui, parce que vous ne le savez peut-être pas, mais il reçoit des subventions pour vous encourager à publier ce que vous avez écrit, avant d’encaisser les ventes de votre livre.

Arrive alors la période des désillusions. Votre premier salon du livre inaugure le ballet des désenchantements ! Très naïvement vous envoyez une demande à votre éditeur pour qu’il s’occupe de votre invitation à l’évènement qui, il faut le préciser, est le moment phare de la vie d’un livre. Pas de réponse. Vous contactez alors la Direction du livre qui vous assure que votre éditeur a bien reçu les subventions pour prendre en charge tous ses auteurs lors des Salons du livre. Et commence alors un va-et-vient qui décourage rapidement plus d’un. Vous ne comprenez pas pourquoi votre livre est en première ligne de vente, mais que personne ne se soucie de celui qui l’a écrit. «C’est bon petit, merci, ton job est fini, le livre se vend bien sans toi !»

La seconde désillusion arrive très vite. Vous recevrez en général la rémunération correspondant à vos droits d’auteur, un an après la première publication, mais oh surprise, la somme est bien négligeable… Vous aviez pourtant compté 10% du prix du livre ! Mais non, c’est vous qui faites erreur, le contrat le précise bien, il fallait lire : 10% du revenu net de vente ! Mais voyons, vous écrivez si bien et vous ne savez même pas lire un contrat ?! Ne vous inquiétez plus, il n’y aura pas d’autres déconvenues puisque ce paiement ce sera le seul et l’unique.

Troisième désenchantement : des connaissances vous appellent, ils ne trouvent votre livre nulle part. Vous réalisez alors deux choses : que votre livre est distribué de façon assez aléatoire et discontinue, mais surtout que le nombre de livres vendus est une donnée inconnue. Qui donc peut estimer ce chiffre X puisque la maison a sa propre imprimerie et sa propre société de distribution ?

Zone obscure et impénétrable ! 

À partir de là, l’éditeur ne vous répond plus ! Quatrième déconvenue : Ne croyez pas que le livre vous fera vivre, car dans le meilleur des cas, en supposant que votre éditeur a vendu les mille exemplaires de la première édition en un an, vous recevrez 8.000 DH à la fin de l’année. Vous avez donc bien intérêt à garder votre premier job, même s’il ne vous fait pas beaucoup rêver ! Alors, un conseil : ne passez pas plus de 2 heures par jour à écrire, car c’est le métier le plus mal payé du monde (2 heures d’écriture impliquent 2 heures de relecture et 2 heures de correction, ce qui nous donne 2500 heures de travail par an pour 8000 DH de gain = 3 DH l’heure d’écriture !). Bien sûr, se faire plaisir n’a pas de prix et, soyons positifs : la gymnastique du cerveau est une forme de prévention contre les maladies neurologiques dégénératives. C’est certes un bénéfice non négligeable… mais pas garanti !

Autre déconvenue qui donne à réfléchir : lorsque vous voulez offrir votre livre à l’une de vos connaissances, vous l’achetez vous-même puisque le livre ne vous appartient plus. Vous vous retrouvez alors dans une situation très embarrassante, celle de payer pour que l’on vous lise et qui, en même temps, contribue à enrichir cet éditeur qui ne vous paie pas.

Alors, au bout de quelques années, vous ressortez ce contrat bien ficelé et vous le relisez. Que dis-je ! Vous le découvrez pour la première fois, car en fait vous ne l’aviez jamais vraiment lu. Et là, vous réalisez que tout le scénario était écrit d’avance, que tout était paré pour vous empêcher de réagir et surtout pour vous empêcher d’en sortir. Vous êtes irrémédiablement piégé ! Votre œuvre ne vous appartient plus, vous en avez été délesté dès le premier jour et vous ne garderez que quelques réminiscences de votre gloire fugace.

Il y a bien d’autres sources de désillusions dans l’édition, mais nous allons clore cet exposé par une note positive. Malgré tout cela, et même si les mots ne quittent jamais votre écran d’ordinateur pour se poser sur les feuilles d’un futur livre, écrire reste un moment privilégié durant lequel l’esprit s’envole vers d’autres espaces et d’autres temps, une sorte de méditation qui vous détache de votre esprit, une source de joie, une liberté que personne ne pourra jamais vous enlever…"

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