Nadia Ouiddar
26 Novembre 2023
À 10:10
Le Matin : Comment avez-vous accueilli cette distinction?
Karima Echcherki : Je voudrais préciser que je ne suis pas la gagnante du Prix littéraire René Depestre, mais Mélanie Lusetti avec son roman «Cette histoire de bus». Je l’en félicite et lui souhaite du succès avec son livre qui sera publié par les Éditions Milot. Néanmoins, je suis ravie d’avoir obtenu le premier Prix coup de cœur. C’est un premier roman et cela signifie que mes mots ont réussi à toucher les membres du jury. Rachida Belkacem, romancière franco-marocaine et présidente du jury, a présenté mon livre de la façon suivante : «Une histoire poignante qui amène le lecteur à s’interroger sur son rapport à la société, son conditionnement et la capacité de l’être humain à se singulariser face à l’épreuve».
J’en profite pour remercier les autres membres du jury, entre autres, Marion Bauer, Donel Saint-Juste, Rut-Scheila et Luis Cuevas.
De quoi parle votre roman?C’est l’histoire d’une fratrie et des liens qui les unissent les uns aux autres et qui insiste sur les liens tissés individuellement avec la mère. Lorsque celle-ci meurt, le travail de deuil révèle les fragilités de chacun et fait remonter à la surface les conflits et les vieilles rancunes. La fratrie traverse une zone de turbulences où les relations sont mises à mal parfois, jusqu’au bord de la rupture. Dans une société marocaine submergée par les contradictions, les liens familiaux, pour ne pas dire claniques, se dissolvent pour faire place à l’individualité.
Un labyrinthe de sentiments et chacun essaye d’en trouver l’issue.
Qu’est-ce qui vous a inspiré cette histoire?Ce qui m’a inspiré ce roman, c’est l’image sacrée de la mère dans la société marocaine, comme en témoigne la photographie des joueurs de l’équipe de football nationale accompagnés de leurs mères se présentant devant Sa Majesté le Roi Mohammed VI pour recevoir leurs décorations. Cette photographie qui a fait le tour du monde en a surpris plus d’un.La mère est la gardienne des traditions dans les sociétés patriarcales comme la nôtre. Elle est également le noyau de la famille et assure, bon gré mal gré, la cohésion des différents membres qui gravitent autour d’elle. Cette sacralité de la mère est aussi confortée par l’islam qui dit que «Le paradis est sous les pieds des mères». Les enfants sont donc sans cesse en quête de la bénédiction de la mère qui interfère dans leurs vies : choix du conjoint, choix de carrière... Il devient donc difficile pour certains de couper le cordon ombilical et de s’épanouir en dehors des désiderata de la mère. Au-delà de l’attachement, il y a une forme de soumission à la mère. Les thèmes de «La mère sacrifice» et de son deuil n’ont pas fini d’alimenter la littérature.
Parcours de l’auteure
Karima Echcherki est née à Rabat en 1962. Elle est enseignante à la Faculté des sciences et techniques de Mohammedia. L’écriture est une véritable passion pour cette Marocaine attirée par le monde de la littérature française.
Elle a déjà publié le recueil de nouvelles «Les inconsolées» centré sur la place de la femme, enjeu primordial au cœur de la société marocaine. Elle a également écrit «453, l’avortement, le combat d’une vie» inspiré par l’expérience personnelle du Pr Chafik Chraïbi, gynécologue-obstétricien, et l’Association marocaine de lutte contre l’avortement clandestin (AMLAC).