Saïd Naoumi
20 Février 2025
À 10:40
Le
Conseil de la concurrence appelle à la mise en place d’une base de données de screening dans les
marchés publics. Sa mission, dépister les pratiques anti-concurrentielles et les sanctionner, même après l’exécution d’un marché donné. Le président de l’institution,
Ahmed Rahhou, qui abordait la problématique de la
concurrence autour de la
commande publique, le 18 février à Rabat, assure que pratiquement l’ensemble des plaintes des soumissionnaires reçues par le Conseil est dirigé contre l’État pour ce qu’on appelle des «cahiers des charges orientés en faveur de tel ou tel opérateur». Ce qui dénote, selon lui, la persistance d’une incompréhension des rôles des uns et des autres.
«Les
autorités de la concurrence interviennent dans le cadre des
marchés publics particulièrement par rapport aux ententes pour fausser les marchés, augmenter les prix, bloquer l’entrée d’un opérateur ou exclure un autre ou encore pour faire tourner les marchés. Ce sont là les pratiques auxquelles s’attaque le Conseil. Or les plaintes que nous recevons aujourd’hui sont des plaintes contre des cahiers des charges taillés sur mesure. Ce qui ne relève justement pas des prérogatives du Conseil, mais plutôt du
droit administratif», explique le gendarme de la concurrence au Maroc. Selon lui, un ordonnateur public dispose de la liberté de constituer son cahier des charges, sous le contrôle de la
Cour des comptes et des autres dispositifs de contrôle de l’État à l’instar de l’
Inspection générale des finances (IGF). «Les plaintes contre les cahiers des charges biaisés ou taillés sur mesure relèvent de la Commission nationale des marchés publics et des tribunaux administratifs», martèle Rahhou.
Le président du Conseil indique que le travail de sensibilisation mené par ses services auprès des soumissionnaires consiste à leur souligner les cas précis où ils ont la possibilité de déposer plainte auprès du Conseil. En clair, une plainte auprès du Conseil est recevable lorsqu’elle révèle des pratiques anti-concurrentielles provenant d’un concurrent pour un marché donné. «Et cela commence à donner des résultats. La preuve, nous recevons désormais des dossiers, peu nombreux, certes, mais qui révèlent des entorses au libre jeu de la concurrence, par exemple les cas où le soumissionnaire est exclu d’un marché parce que son concurrent a présenté trois offres différentes pour le même marché», explique-t-il. C’est pour cela, d’ailleurs, que le Conseil souhaite qu’il y ait une évolution du cadre réglementaire régissant les marchés publics de manière à ce qu’il y ait une base de données de screening.
Viandes rouges : une enquête pour bientôt
Interpellé par rapport à l’inflation qui touche les
viandes rouges, Rahhou affirme que ni le Conseil de la concurrence ni le gouvernement n’ont la prérogative de contrôler les prix de ces denrées alimentaires pour la simple raison que le
Maroc dispose d’un régime de
liberté des prix. «Le seul cas où le Conseil peut intervenir est lorsque les prix sont faussés par le non libre jeu de la concurrence, les ententes, les restrictions sur le marché, les stockages illicites... Bref, toutes les pratiques clairement interdites par la loi sur la concurrence», précise Rahhou.
De même, poursuit-il, le Conseil ne bouge pas lorsque les prix montent ou baissent, mais lorsque ces mouvements des prix sont artificiels. Pour lui, la problématique de l’inflation des viandes rouges, en dépit des exonérations à l’import mises en œuvre par l’État pour réguler le marché, ne relève pas des prérogatives du
Conseil de la concurrence. Il s’agit d’une question de
politique publique que seul le
gouvernement a les moyens d’en estimer l’impact.
Ceci dit, assure-t-il, avec la succession des années de sécheresse, la réduction du cheptel et la montée des cours intrants comme l’aliment composé, sont des facteurs qui ont évidemment contribué à enflammer des prix des viandes rouges. Sans donner une échéance précise, Rahhou n’exclut toutefois pas une intervention du Conseil par le truchement d’un avis sur la filière des viandes rouges. «Nous estimons aujourd’hui que le Conseil a d’autres priorités et que le secteur des viandes rouges fera certainement l’objet d’un avis du conseil», indique Rahhou.
Le patron du Conseil pointe cependant les pratiques des intermédiaires et des spéculateurs. «Nos enquêtes sur le
marché du gros nous ont révélé que les intermédiaires engrangent plus de 50% des gains au détriment des producteurs agricoles. Sans jugement de valeur, ces acteurs sont essentiels dans la chaîne de valeur agricole. Car il est quasiment difficile pour un producteur agricole d’assurer la production et de s’occuper de sa commercialisation. Ce dernier doit se concentrer sur son cœur de métier. L’intermédiaire, lui, constitue le maillon entre le producteur et le consommateur. Là où il serait opportun d’intervenir, c’est d’estimer la valeur ajoutée générée par l’intermédiaire et définir en conséquence sa rémunération», détaille Rahhou.