Économie

Nouveau virage pour la filière laitière à travers deux conventions stratégiques

Digitalisation de la gouvernance de la filière, relance de la consommation et recapitalisation du cheptel. Voici donc les principaux axes et orientations de deux nouveaux projets de conventions structurantes à signer prochainement entre l’interprofession laitière (Maroc Lait) et le département de l’Agriculture. Selon nos informations, ces cadres de partenariats viendront jeter les bases du virage de la filière laitière vers la data, la traçabilité et la reconquête du consommateur. En attendant la signature de ces conventions, le retour décisif des pluies après sept années de stress hydrique redonne espoir à tout l’écosystème laitier marocain. À la croisée des réformes structurelles et d’une conjoncture climatique plus clémente, Maroc Lait enclenche une offensive d’envergure pour refonder la filière laitière, restaurer la confiance des producteurs et sécuriser l’approvisionnement national à l’horizon 2030. Une séquence stratégique rare, où politique sectorielle, investissement et climat convergent pour redessiner les équilibres d’un secteur clé de la souveraineté alimentaire.

Le secteur laitier au Maroc agrège près de 260.000 producteurs, dont 90% sont de petits éleveurs disposant de moins de dix vaches laitières, soulignant son fort ancrage social et rural. Cette production s’appuie sur un réseau de 2.700 centres de collecte, dont 1.900 coopératives, avant d’être valorisée par 13 opérateurs industriels qui transforment plus de 86% du volume national

24 Décembre 2025 À 10:15

L’écosystème laitier au Maroc s’apprête à franchir une nouvelle étape décisive dans son développement. À l’heure où la filière laitière nationale fait face à des défis structurels majeurs – pression sur les coûts de production, volatilité de la demande, exigences accrues en matière de qualité et de traçabilité –, l’interprofession du secteur (Maroc Lait) doit signer incessamment deux conventions stratégiques avec le département de l’Agriculture. Ces deux nouveaux cadres partenariaux constituent des piliers opérationnels du contrat-programme 2021-2030 de la filière. L’une est dédiée à la digitalisation et à la gouvernance des données, l’autre à la relance de la consommation et à la reconquête de la confiance des consommateurs. Ensemble, ces conventions viendront dessiner une nouvelle architecture de développement pour l’ensemble de l’écosystème laitier.

Concrètement, la première convention porte sur la mise en œuvre du Système d’information marocain de gestion de la filière lait (SIMALAIT). Ce projet s’inscrit dans l’un des axes majeurs du contrat-programme, à savoir l’accès au progrès technologique et la modernisation des outils de pilotage de la filière. Selon les premières indiscrétions autour de ce projet, SIMALAIT vise à doter la filière d’un outil informatique intégré, moderne et sécurisé, capable de centraliser, traiter et valoriser les données stratégiques liées à la production laitière nationale. Il s’agira notamment de structurer les données relatives à l’insémination artificielle, au contrôle des performances et aux exploitations laitières, d’améliorer la gestion du cheptel bovin et la production de génisses marocaines, d’accompagner les acteurs de la filière dans l’accès aux e-services et d’élargir la digitalisation des actions d’encadrement des producteurs.



La convention prévoit un ensemble d’actions structurantes. Il s’agit de la conception d’un logiciel national de gestion du troupeau bovin, intégrant notamment l’édition de pedigrees, la mise en place d’une infrastructure Cloud sécurisée pour l’hébergement du système, l’équipement informatique des structures centrales et régionales, ainsi que l’opérationnalisation du système à travers la formation et l’encadrement des utilisateurs. De même, la convention à entériner entre l’interprofession laitière et la tutelle prévoit un important volet communication et sensibilisation, mobilisant les canaux digitaux et des événements régionaux, ainsi que le développement d’outils digitaux spécialisés (fiches de lactation, inventaires des reproducteurs éligibles à la sélection).

D’une durée de trois ans, cette convention est dotée d’un budget global de 18 millions de dirhams, traduisant l’ambition de faire de la data un véritable levier de performance et de gouvernance sectorielle.

S’agissant de la seconde convention, également en attente de signature avec l’Agriculture, elle concerne la campagne de promotion des produits laitiers. Elle répond à un enjeu tout aussi stratégique : redynamiser la demande intérieure et repositionner le lait au cœur des habitudes de consommation. Ce cadre de partenariat est bâti autour de trois axes prioritaires : redonner toute sa place au lait, en ravivant l’intérêt des consommateurs à travers l’innovation et une communication émotionnelle forte ; rassurer sur la qualité, la sécurité sanitaire et les bienfaits nutritionnels des produits laitiers, en levant les freins et en restaurant des repères clairs ; et mobiliser l’ensemble de l’écosystème autour d’un projet fédérateur, porteur de croissance durable pour la filière.

Pour atteindre ces objectifs, la campagne reposera sur des spots télévisés et radiophoniques, des panneaux d’affichage à forte visibilité et une campagne digitale structurée, adaptée aux nouveaux usages et aux différents segments de consommateurs. Comme la première, cette convention s’inscrit sur une durée de trois ans, avec un budget global de 18 millions de dirhams, confirmant la volonté de donner à la communication les moyens de ses ambitions.

À travers ces deux conventions, Maroc Lait et le département de l’Agriculture posent les bases d’une refondation simultanée de l’amont et de l’aval de la filière : d’un côté, une gouvernance modernisée, fondée sur la donnée, la traçabilité et la performance ; de l’autre, une stratégie offensive de valorisation des produits et de reconquête du consommateur. Dans un contexte de transition et de fortes attentes économiques et sociales, ces deux projets apparaissent comme des leviers clés pour sécuriser l’avenir de la filière laitière marocaine à l’horizon 2030.

Pluviométrie : un signal positif pour toute la chaîne laitière

Au-delà des conventions, la conjoncture climatique offre aussi un signal encourageant. Pour Rachid Khattate, président de Maroc Lait, le retour des pluies change clairement la donne pour la filière. Selon le patron de l’interprofession, la reprise de la pluviométrie est d’abord un soulagement pour les élevages laitiers. Elle garantit la disponibilité des pâturages et permet surtout de desserrer l’étau sur les coûts des aliments pour bétail, lourdement impactés par la succession de sept années de sécheresse.

Autre effet immédiat : la relance des cultures fourragères. Les éleveurs peuvent à nouveau produire une partie de leur alimentation animale et sécuriser les rations de leurs cheptels et, dans certains cas, dégager des excédents commercialisables. Ce qui constitue, selon Khattate, un levier direct pour améliorer les revenus des exploitations laitières.

Mais l’impact ne s’arrête pas là. Les pluies contribuent également à recharger les nappes phréatiques, un enjeu central pour une activité fortement consommatrice d’eau. «Le fait est que la disponibilité hydrique devient ainsi un facteur de stabilisation pour les élevages laitiers, particulièrement vulnérables en période de stress hydrique», souligne le chef de l’interprofession.

Dans un secteur étroitement dépendant des conditions climatiques, la régularité des pluies dans le temps et dans l’espace joue un rôle déterminant. Elle restaure la visibilité et redonne confiance aux producteurs. Résultat : les investissements dans la filière repartent. De nombreux agriculteurs envisagent de renforcer leurs cheptels laitiers, un mouvement qui pourrait se traduire par une hausse des volumes de lait produits. Un enjeu d’autant plus stratégique que le secteur s’approche du mois sacré du Ramadan, période traditionnellement marquée par un pic de consommation de l’«or blanc».

Dans ce contexte, climat plus favorable et réformes structurelles avancent de concert, une combinaison clé pour remettre durablement la filière laitière sur une trajectoire de croissance.

La reconstitution du cheptel, une priorité de Maroc Lait

La recapitalisation du cheptel laitier est érigée en priorité dans le plan de bataille de Maroc Lait. Aux yeux de Rachid Khattate, il s’agit d’un chantier devenu incontournable après plusieurs années de crises successives. La sécheresse, d’abord, qui a fortement dégradé les parcours naturels, pilier de l’alimentation du cheptel laitier. Puis est venue la crise sanitaire, avec un effet immédiat : l’arrêt des importations de génisses laitières et des semences destinées à l’insémination artificielle.

La combinaison a été brutale. Privés de pâturages et confrontés à une flambée des coûts des aliments composés, de nombreux petits éleveurs n’ont pas tenu. Faute de viabilité économique, ils ont été contraints de liquider leurs effectifs. La filière en a payé le prix fort. En 2023, la production laitière comme le cheptel ont chuté de 30%, un décrochage historique.

Face à cette situation, un programme de recapitalisation a été lancé dès 2023. En coordination avec Maroc Lait et les Directions régionales de l’agriculture, le dispositif a combiné aides à l’acquisition de génisses et subventions sur les aliments composés. Une réponse d’urgence, mais nécessaire. Car sans pâturages, l’éleveur n’avait plus d’alternative : il devait acheter l’essentiel de l’alimentation du bétail à des prix qui ont parfois bondi de 30%.

Les premiers résultats sont là. Grâce à ces mesures, la production laitière avait progressé de 10% en 2024. Un signal de reprise, encore fragile, mais réel, qui se trouve aujourd’hui conforté par le retour de la générosité du ciel. Pour rappel, en 2019, le cheptel laitier national comptait 1,8 million de têtes, pour une production annuelle de 2,5 milliards de litres de lait frais. Un niveau que la filière cherche désormais à reconstruire.

Centre Aïn Jamaâ : vers la souveraineté en semences

Pour accélérer la recapitalisation, un autre levier stratégique est activé. À partir de cette année, Maroc Lait prend en charge le centre d’insémination artificielle de Aïn Jamaâ, jusqu’ici géré par l’État. Un protocole a été signé avec le département de tutelle dans l’objectif de permettre à l’interprofession de gérer cette plateforme de manière autonome. L’ambition est claire : développer la production locale de semences et rompre avec une dépendance totale aux importations. Car avant la crise, le centre recourait exclusivement aux semences importées. Lorsque les restrictions sanitaires ont été mises en place, le processus s’est quasiment arrêté. Les effets ont été immédiats sur le terrain. Faute de semences, les éleveurs n’ont plus pu renouveler leurs cheptels. Et beaucoup ont abandonné l’activité.

Avec la relance de la production locale, la donne change. La filière vise une souveraineté sur une ressource vitale. Et une recapitalisation plus rapide, plus fluide, moins vulnérable aux chocs externes. Pour Rachid Khattate, cette étape est décisive. Elle conditionnera la capacité du secteur à se projeter et à reconstruire, sur des bases plus solides, l’appareil productif laitier national. «Dans un contexte international marqué par le durcissement des mesures liées à l’exportation de génisses laitières, notamment en Europe, notre principal partenaire, notre filière a tout intérêt à développer des pépinières locales de production de génisses laitières. C’est d’ailleurs une orientation qui figure au cœur de la stratégie de Maroc Lait», explique Khattate.

Selon les données de 2022, la filière laitière marocaine affichait des fondamentaux solides. Elle reposait sur un cheptel de 1,82 million de têtes et assurait une production annuelle de 2,5 milliards de litres de lait, tirée principalement par les gains de productivité et l’amélioration génétique. Le secteur agrège près de 260.000 producteurs, dont 90% sont de petits éleveurs disposant de moins de dix vaches laitières, soulignant son fort ancrage social et rural. Cette production s’appuie sur un réseau de 2.700 centres de collecte, dont 1.900 coopératives, avant d’être valorisée par 13 opérateurs industriels qui transforment plus de 86% du volume national. En aval, la distribution mobilise près de 80.000 points de vente, dominés à 85% par de petits commerçants, garantissant une large couverture du marché intérieur. Au total, la filière génère environ 49 millions de journées de travail par an et un chiffre d’affaires annuel de 13 milliards de dirhams, confirmant son poids économique et social stratégique pour le pays et pour Maroc Lait dans la conduite des réformes à l’horizon 2030.

Maroc Lait, chef d’orchestre d’une filière stratégique pour la souveraineté alimentaire

Acteur central de l’écosystème laitier, Maroc Lait joue un rôle structurant dans le développement et la sécurisation du secteur au Maroc. Sa mission est claire : assurer un approvisionnement régulier du marché en produits laitiers, répondant aux attentes des consommateurs, tant sur le plan qualitatif que quantitatif. Pour y parvenir, l’interprofession agit sur l’ensemble de la chaîne de valeur, en amont comme en aval.

Sur le front du développement, Maroc Lait intervient notamment à travers la Recherche et Développement (R&D), afin d’améliorer la performance et la compétitivité de la filière, en plus de la promotion des produits laitiers sur les marchés intérieur et extérieur. L’interprofession signe, par la même occasion, des partenariats avec les institutions nationales et les organisations internationales impliquées dans le développement du secteur.

Elle œuvre pour l’inclusion de tous les acteurs, en particulier les éleveurs producteurs. Cela constitue d’ailleurs un axe central de son action et se traduit par une démarche continue d’accompagnement et de partage, articulée autour de l’encouragement de l’agrégation, d’un encadrement de proximité via les unités régionales d’encadrement laitier (UREL), et de la vulgarisation des normes de qualité, de conditionnement et d’emballage. Le tout assorti de la formation et de la mise à niveau professionnelle des producteurs, ainsi que de la diffusion d’informations sur les produits, les marchés et les standards métier.

Ces missions sont déclinées en plans d’action annuels, alignés sur les objectifs de la stratégie nationale «Génération Green 2021-2030», et mises en œuvre dans le cadre d’une approche partenariale avec l’État, via le contrat-programme de la filière. En interne, Maroc Lait s’inscrit également dans une logique de gouvernance modernisée, visant à piloter la Fédération comme une véritable entreprise : gestion des ressources humaines, procédures, suivi des objectifs, maîtrise budgétaire et digitalisation. Un positionnement qui conforte son rôle de chef d’orchestre du développement de la filière laitière marocaine.
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