LE MATIN
23 Mai 2020
À 18:05
Nous avons vu dans nos articles précédents que l’après-Covid-19 ne ressemblera pas à l’avant-Covid-19 et que ce changement, parfois radical d’environnement, tient à plusieurs raisons dont la métamorphose des besoins des consommateurs causée par la pandémie et le contexte de sa lutte. Dans le nouvel environnement en cours de gestation de l’après-Covid-19, il est certain que la survie et le succès des entreprises vont dépendre de nombreux facteurs dont leur secteur d’activité, leurs capacités financières et humaines, les mesures de soutien dont elles vont bénéficier, etc. Néanmoins, huit caractéristiques nous semblent importantes à avoir pour que l’entreprise de l’après-Covid-19 puisse, non seulement survivre, mais également réussir et prospérer.
- Écoute du consommateur : comme nous l’avons énoncé dans un article précédent, le consommateur va sortir de son confinement avec de nouveaux besoins, de nouveaux choix, de nouvelles priorités et de nouveaux filtres de raisonnement marketing. Bien que tous les besoins ne soient pas conscients et qu’il faudra recourir à de nouvelles méthodes pour sonder les besoins latents ou subconscients, l’écoute du consommateur permettra certainement de comprendre ses nouveaux besoins.
- Flexibilité et responsiveness : l’entreprise de l’après-Covid-19 doit pouvoir livrer aux consommateurs les produits et services dont ils auront besoin aussi rapidement que possible. Pour cela, elle doit s’organiser à tous les niveaux de manière à pouvoir s’adapter rapidement en cas de besoin. Les configurations organisationnelles rigides de l’avant-Covid-19 y compris les configurations fonctionnelles devront céder la place à des designs plus légers permettant à l’entreprise de pivoter à tout moment pour s’adapter aux besoins et créer de nouvelles propositions de valeur.
- Innovation : pour pouvoir donner aux consommateurs ce dont ils auront besoin, l’entreprise devra innover sans cesse pour concevoir de nouvelles solutions. Une culture d’innovation doit imprégner l’ensemble des unités de l’entreprise. Cela impactera également le type d’employé dont les entreprises auront besoin dans l’après-Covid-19. L’employé conformiste qui s’accroche à son « job description » n’aura pas sa place dans la nouvelle ère. Le nouvel employé devra pouvoir trouver des solutions rapidement sans perdre de vue les spécificités et la mission de son organisation.
- Transformation digitale et commerce électronique : le contexte actuel de la pandémie a montré que les entreprises qui se sont digitalement transformées, ont pu mieux gérer le travail à distance et la relation avec leurs clients que les autres. Cette tendance va certainement continuer dans l’après-Covid-19. En outre, l’entreprise devra pouvoir gérer différemment ses équipes de travail en permettant de combiner télétravail et travail en présentiel tout en assurant des niveaux de productivité et de motivation optimum. Se transformer digitalement ne veut dire se limiter à avoir un site web. En effet, les entreprises disposant d’une offre adaptée et d’une plateforme e-commerce appropriée disposent de plus de chances de s’adapter au nouvel environnement. « … les magasins en ligne de toutes tailles devraient bénéficier du changement de comportement des consommateurs en faveur des achats en ligne, car ils sont déjà bien placés pour répondre à la demande croissante de biens et de services … Un facteur encore plus limitant pour les entreprises sera peut-être le niveau de préparation de leur offre e-commerce. Si leur plate-forme en ligne n'est pas capable d'offrir une expérience utilisateur compétitive, il y a de fortes chances qu'elle ne parvienne pas à attirer, satisfaire ou retenir les clients. [1] » Le cas de Nike est très intéressant à exposer à cet égard. Ainsi et alors que les grandes marques de vêtements et de chaussures ont enregistré de grosses pertes depuis le début de la pandémie, Nike a pu augmenter son chiffre d’affaires de plus de 30% grâce à « l'intégration particulièrement réussie de ses applications de fitness et de commerce électronique.[2]» Néanmoins, il ne suffit pas de disposer d’un site et d’une plateforme e-commerce. « Si votre site n'est pas trouvé dans les moteurs de recherche pour des recherches pertinentes, ou si la réactivité de votre site est inférieure à celle de vos concurrents, votre capacité à faire face à la concurrence sera fortement diminuée.[3]» À l’issue de leur étude sur les détaillants américains en avril 2020, une équipe de McKinsey a estimé que le commerce électronique des articles d’habillement doit augmenter d’environ 13% dans l’après-Covid-19 aux dépens du commerce traditionnel et devra toucher des produits qui jusqu’ici ne se vendaient que dans les magasins physiques. « Nous exhortons les détaillants à se préparer à la ‘’prochaine normale’’ en prenant dès maintenant des mesures décisives. » les auteurs de l’étude recommandent-ils en conséquence[4].
- Centralité de l’humain : le contexte actuel de la pandémie a montré sans équivoque que par-delà les ressources et les actifs, se sont finalement les êtres humains qui ont fait la différence en prenant des décisions éclairées et en faisant montre de beaucoup d’engagement et d’abnégation. Cette centralité et cette réhabilitation de l’humain à laquelle de nombreux penseurs ne cessent d’ailleurs d’appeler depuis le début de la pandémie, est l’une des principales forces de notre pays que les Marocains ont découvertes avec fierté. Les noms de personnalités publiques et privées ont été popularisées et des vidéos les présentant en action sont devenues virales. Dans l’entreprise de l’après-Covid-19 également, ce sont les êtres humains, par leur engagement et leur abnégation qui feront toute la différence pourvu qu’ils fassent l’objet de la reconnaissance qu’ils méritent et de l’encadrement approprié pour les aider à se remettre en selle.
- Esprit entrepreneurial : l’entrepreneuriat ne consiste pas uniquement à créer des entreprises. Il consiste avant tout à oser et agir. Oser repartir son entreprise après le confinement alors que le virus continue de faire des ravages et qu’aucun vaccin n’a encore été trouvé est un acte qui, à mon sens, est lui-même plus entrepreneurial que celui de l’avoir créée au début. De même, pour identifier et saisir les opportunités de l’après-Covid-19, il est important de disposer d’un sens entrepreneurial aiguisé. Deux traits entrepreneuriaux nous semblent particulièrement importants à cet égard, à savoir, la tolérance de l’ambiguïté et le MVP. La tolérance de l’ambiguïté consiste à ne pas attendre de disposer de toutes les informations nécessaires pour saisir l’opportunité. Eu égard aux cycles de plus en plus courts des opportunités entrepreneuriales, si l’on attend trop longtemps, d’autres saisiraient l’opportunité ou cette dernière disparaitrait. Le MVP ou Minimum Vital Product va dans le même sens. Il ne faut pas attendre d’avoir le produit parfait pour le lancer sur le marché. Dès que le produit correspond au besoin minimum ou de base, il faut le sortir sur le marché en mode essai et le perfectionner au fur et à mesure de la réception des feedbacks.
- Culture d’apprentissage : le MVP exposé précédemment suppose justement de s’ouvrir aux feedbacks des consommateurs et d’en apprendre ce qu’il convient d’apprendre pour améliorer davantage les produits et services. L’écoute des clients et de leurs nouveaux besoins suppose également une culture d’apprentissage au sein de l’entreprise. Et, bien entendu, l’épreuve de Covid-19 ne doit en aucun cas passer aux oubliettes. L’entreprise apprenante doit changer pour pouvoir parer à toute autre crise susceptible de survenir dans l’avenir.
- Gestion écosystémique : il ne faut pas perdre de vue que toute entreprise, quelle qu’elle soit, fait partie d’un écosystème formel ou informel. Avec toute la bonne volonté de ses dirigeants, l’entreprise dont les relations avec ses partenaires en amont et en aval ne sont pas optimisées, ne pourra pas survivre dans l’après-Covid-19 immédiat. Comment en effet, fabriquer et livrer à temps les bons produits pour satisfaire le besoin de ses consommateurs si l’entreprise, elle-même, ne contrôle pas ses délais et conditions d’approvisionnement? L’un des principaux leviers de succès dans l’après-Covid-19 consistera à pouvoir optimiser la gestion intégrée de sa chaine d’approvisionnement y compris en amont et en aval. La transformation digitale présentée plus haut dans cette note doit permettre justement d’assurer cette gestion optimisée.
D’aucuns diront que ces huit clefs expliquaient le succès de nombre d’entreprises également durant l’avant-Covid-19. Certes, néanmoins, c’est leur intégration dans le triptyque : êtres humains (consommateurs et employés), technologie et écosystème qui explique le nouveau rôle qu’elles (les 8 clefs) sont appelées à jouer dans la nouvelle ère. Kevin Sneader et Bob Sternfels de McKinsey & Company[5] rappellent l’élimination du premier tour de la sélection brésilienne de la coupe du monde de 1966. La même équipe est revenue à l’édition suivante (Mexico 1970), non seulement pour rapporter la coupe haut la main, mais également pour être reconnue comme la plus belle de toute l’histoire du football mondial. Qu’est-ce qui a changé entre les deux éditions ? Quasiment toutes les stars, y compris Pelé, étaient là aussi bien en 1966 qu’en 1970. Une leçon féconde en enseignements concernant ce qu’il est possible de faire avec les mêmes ingrédients disposés selon une vision et un plan de match différents. D’ailleurs, les premiers enseignements tirés de la reprise d’activité d’un ensemble d’entreprises dans d’autres pays dont la Chine, confirment l’importance de ces éléments.
[4] McKinsey & Company. “Retail Practice – Reimagining stores for retail’s next normal”, by Praveen Adhi, Andrew Davis, Jai Jayakumar, and Sarah Touse. April 2020
[5] McKinsey & Company. “From surviving to thriving: Reimagining the post-Covid-19 return”, by Kevin Sneader and Bob Sternfels, May 2020.
Lire aussi :
Quelle entreprise pour l’après-Covid-19 ? La fin du business as usual (Partie 1)
Quelle entreprise pour l’après-Covid-19 : De nouveaux consommateurs avec de nouveaux besoins
Quelle entreprise pour l’après-Covid-19 ? En quête de nouveaux modèles d’affaires