Dr. Brahim Allali, Professeur retraité de HEC Montréal - Consultant international Directeur Général de Reload Consulting
Si le monde de l’après-Covid-19 sera très certainement différent de celui d’avant, c’est en grande partie parce que la pandémie et les mesures que sa lutte a nécessité de mettre en place, ont causé une véritable révolution dans les besoins aussi bien des consommateurs que des entreprises, voire des États. Ce sont justement ces besoins qui vont conditionner les configurations organisationnelles et managériales à définir pour rendre possibles les nouvelles propositions de valeurs permettant de les satisfaire.
Cette révolution, voire métamorphose des besoins est toujours en cours. Néanmoins, l’on sait d’ores et déjà, alors que l’on est encore en plein confinement, qu’un ensemble de besoins, voire de meta-besoins s’est affirmé avec force. Ainsi et sans grande surprise, le besoin de se sentir en sécurité et de se prémunir contre le risque de contamination, s’est érigé en besoin suprême de la grande majorité des personnes. La quête de satisfaire ce besoin a amené, dès le début de la pandémie, les consommateurs à se procurer des solutions hydroalcooliques, puis, un peu plus tard quand de nouvelles données scientifiques sur la transmission du virus sont devenues disponibles, les masques et dispositifs de protection.
Le besoin de pouvoir commander les produits dont on a besoin et de se les faire livrer chez soi sans avoir à s’aventurer à l’extérieur s’est également imposé avec force donnant lieu à l’apparition de nouvelles initiatives entrepreneuriales et souvent aussi bénévoles pour l’assouvir.
Comme corolaire, les achats en ligne et les paiements mobiles se sont également imposés même auprès des consommateurs sceptiques qui s’étaient toujours refusés à les utiliser. Les sites des distributeurs et des commerçants qui ne permettaient pas d’effectuer ce genre d’opérations ont fait rater de nombreuses opportunités d’achat à leurs propriétaires. « Cela semble refléter les changements de comportement des consommateurs qui passent de l'achat hors ligne à l'achat en ligne. Ils [ces changements de comportement] montrent également que, comme les gens passent plus de temps à la maison, les marques ont réagi en passant des médias hors ligne aux achats en ligne, 14% d'entre elles [les marques] ayant signalé cette ligne de conduite.»
Dans une étude publiée dans Business Insider Intelligence et eMarketer en mars 2020, les auteurs prophétisent que le commerce électronique va se développer car les consommateurs évitent de plus en plus les magasins physiques. « Leurs données suggèrent que 74,6 % des internautes américains ont déclaré qu'ils seraient susceptibles d'éviter les centres commerciaux et les galeries marchandes si l'épidémie de coronavirus dans le pays s'aggravait, et plus de la moitié d'entre eux éviteraient les magasins en général.» et effectuerait ses achats quasi exclusivement en ligne.
Les achats et paiements en ligne supposent l’existence de garanties permettant de les sécuriser. Ainsi, la cybersécurité s’érige par ricochet comme un besoin important qui conditionne le passage à l’acte d’achat pour nombre de consommateurs et en particulier les baby-boomers qui sont en règle générale, les monético-sceptiques.
Dans la même veine, de nombreuses personnes confinées ont dû continuer à travailler à partir de chez elles. Jamais auparavant dans l’histoire de l’humanité, le télétravail n’a connu pareil engouement. Dans de nombreux pays dont le Maroc, il n’avait jamais pu s’affirmer avec autant de force en dépit de tous les avantages éconologiques (économiques et écologiques) qui lui sont reconnus. L’environnement crée par Covid-19 en a fait l’une des rares solutions pour continuer à travailler. Aussi, tout ce qui est de nature à faciliter le télétravail a connu un développement sans précédent : acquisition de tablettes et d’ordinateurs, connexion Internet fiable, applications permettant la tenue de réunions virtuelles et l’échange de données, etc. Remarquons au passage que ce besoin a également été nourri par celui de permettre aux enfants scolarisés de continuer à apprendre à distance.
Néanmoins, au Maroc, certains besoins qui devaient normalement s’exacerber avec la pandémie et le confinement, ont été vite surmontés et sont tombés de la liste des priorités. Ainsi, il était attendu que les produits essentiels dont les produits alimentaires, de même que le butane, se raréfient et que leurs prix atteignent des prix astronomiques. Les images des tablettes vides des magasins en Europe et aux États-Unis et des files interminables des consommateurs devant les supermarchés faisaient en effet craindre le pire. Il n’en fut rien grâce aux mesures préventives et correctives louables prises par les autorités.
Cette métamorphose des besoins a donc érigé certains d’entre eux en besoins impérieux alors que jusque-là, ils n’avaient pas autant d’importance, voire pour certains, étaient inconnus. D’autres besoins de l’avant-Covid-19 ont perdu de leur importance ou ont même disparu, parfois juste parce que la solution permettant de les satisfaire a elle-même disparu ou n’est plus possible dans le contexte du confinement : prendre son café avec ses amis dans son café favori par exemple. Des besoins ont perdu de leur importance également du fait de l’affaiblissement des revenus des consommateurs et de la perte de confiance causée par la pandémie. Dans un sondage en avril 2020 conduit aux États-Unis, 67% des répondants ont affirmé qu’ils réduiront leurs achats de certains produits dont les vêtements dans l’après-Covid-19[1].
Face à cette métamorphose des besoins, certains secteurs d’activité se sont retrouvés favorisés par l’émergence de besoins correspondant justement aux produits qu’ils fabriquaient ou aux services qu’ils prêtaient avant Covid-19. En revanche, d’autres secteurs ont été très sévèrement impactés par l’effet de Covid-19 : tourisme, hôtellerie et restauration, BTP, transport, etc. Les efforts à déployer par les entreprises pour adapter leurs propositions de valeur, voire en créer de nouvelles, ne sont pas alors les mêmes. Certaines des entreprises vont devoir se réinventer pour survivre. D’autres en revanche, vont se retrouver dans l’après-Covid-19 comme poisson dans l’eau. Néanmoins, quel que soit le secteur d’activité de l’entreprise et sa proposition actuelle de valeur et outre la compréhension de la nouvelle structure des besoins, la transformation digitale semble être la condition de base à remplir pour survivre et prospérer dans l’après-Covid-19.
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[1] McKinsey & Company. “Retail Practice – Reimagining stores for retail’s next normal”, by Praveen Adhi, Andrew Davis, Jai Jayakumar, and Sarah Touse. April 2020. Voir également Shubham Singhai and Kevin Sneader, “The future is not what it used to be: Thoughts on the shape of the next normal”, April 2020.
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